Inflation: que peuvent faire les gouvernements ? (2)
8 Décembre 2021
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Dans notre précédent billet, nous avons vu que plusieurs facteurs expliquent la hausse marquée de l’inflation, dont la paralysie des chaînes d’approvisionnement et la hausse des prix de l’énergie. On ne peut donc pas expliquer la situation actuelle par des décisions gouvernementales ou une hausse marquée des salaires et de la consommation. Lorsque l’inflation augmente de manière soutenue, la Banque du Canada a tendance à relever son taux directeur. Ce taux, qui correspond à celui auquel les institutions financières se prêtent de l’argent entre elles, influence en retour les taux d’intérêt sur les différents prêts, dont les prêts hypothécaires, octroyés aux ménages et aux entreprises. Lorsque le taux directeur augmente, les taux d’intérêt, donc le coût des emprunts, augmentent et les liquidités ou la capacité d’emprunt des consommateurs diminuent, ce qui freine la demande et a normalement pour effet de ralentir l’inflation. Une hausse du taux directeur a aussi comme effet de décourager l’investissement des entreprises et de ralentir l’économie, ce qui entraîne généralement du chômage, une diminution du pouvoir de négociation des travailleurs et des travailleuses et une modération salariale. Ainsi, lorsque l’inflation est causée par une surchauffe de l’économie, la hausse du taux directeur peut freiner cette tendance. Par contre, si l’inflation est causée par d’autres facteurs, rien ne sert d’augmenter le taux directeur.
Or, comme nous l’avons vu, la montée actuelle n’a rien à voir avec une trop grande capacité de payer des consommateurs, mais résulte plutôt de la hausse des coûts de production ainsi que de l’incapacité des producteurs de fournir leurs différents produits. En ce sens, une hausse des taux d’intérêt ne ferait qu’appauvrir une large partie de la population. À l’inverse, une telle mesure ferait croître le rendement des futurs placements des banques et des plus riches. Il faut donc saluer la décision de la Banque du Canada et de la Réserve fédérale américaine de maintenir leur taux directeur bas alors que la pression pour les augmenter se fait de plus en plus forte.
Cela ne veut pas pour autant dire que les gouvernements ne peuvent rien faire pour éviter une hausse du coût de la vie trop forte.
À court et à moyen terme
Alors que certains analystes considèrent que la montée de l’inflation se poursuivra pour un certain temps malgré la reprise économique, les gouvernements vont tenter de limiter l’effet de cette hausse de prix sur la consommation des ménages à court terme. Par exemple, le président états-unien Joe Biden a décidé, à l’occasion de la fin de semaine de l’Action de grâce, d’utiliser les réserves fédérales de pétrole dédiées aux catastrophes naturelles pour tenter d’influencer le prix de l’essence à la pompe. Le Canada n’a pas de ressources stratégiques d’énergie et les réserves de pétrole sont coûteuses à exploiter et difficilement transférables à l’intérieur du pays. En ce sens, la meilleure option est d’agir sur l’augmentation des revenus des ménages, particulièrement les moins nantis ou les personnes avec de faibles revenus fixes, pour les aider à absorber la hausse du coût du panier de consommation.
Au Québec, le gouvernement a proposé dans le cadre de sa mise à jour économique quelques mesures à court terme. Il a notamment augmenté le montant du crédit d’impôt remboursable pour la solidarité sociale. Malheureusement, cette bonification représente une augmentation de 2,6 %, alors que la hausse de l’inflation annuelle en octobre 2021 était de plus du double, soit 5,3 %. Ce n’est pas suffisant pour protéger le panier de consommation des Québecois·es. De plus, le gouvernement a augmenté le plafond de l’aide maximale versée aux personnes âgées de 70 ans et plus. Il s’agit d’une bonne mesure, mais le gouvernement fédéral devra également emboîter le pas. Québec tente aussi de soutenir les étudiant·e·s en maintenant la bonification temporaire de l’aide financière aux études qui avait été mise en place dans la foulée de la pandémie. Là encore, une telle mesure devrait avoir un effet positif, mais il serait plus efficace à long terme de simplement indexer tous les transferts provinciaux à l’inflation et d’augmenter leur fréquence. Ceci aurait des effets minimes sur les finances publiques, mais améliorerait grandement la vie des gens affectés par la montée soudaine de l’inflation.
De plus, il devient clair que l’indexation des tarifs d’Hydro-Québec à l’inflation décidée par la CAQ en 2019 est une mauvaise idée. Non seulement rien ne justifiait une telle mesure, mais la hausse des tarifs d’électricité contribue et contribuera à faire croître de manière artificielle l’inflation et à affecter l’ensemble de la population. Le gouvernement peut faire marche arrière et demander à la Régie de l’énergie de fixer les tarifs pour les années à venir, comme c’était le cas avant.
Afin de soutenir les personnes avec des revenus fixes comme les ainé·e·s, le gouvernement fédéral peut pour sa part devancer l’augmentation prévue de 10 % de la pension de la Sécurité de la vieillesse à 75 ans, prévue pour juillet 2022, tout en ajustant les rentes de pension de vieillesse des personnes de 65 ans et plus à l’inflation, du moins momentanément.
Finalement, certains ont récemment argumenté en faveur d’une hausse importante du salaire minimum, ce qui aurait pour effet d’atténuer l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs à bas salaire. On agite souvent le spectre d’une hausse du chômage pour s’opposer à une telle mesure, mais comme nous l’argumentions il y a quelques années lors du débat sur une hausse à 15$, il semble peu probable qu’une telle mesure entraîne des pertes d’emploi massives. De plus, dans le contexte actuel de forte demande de main-d’œuvre, le chômage est probablement ce qu’il y a le moins à craindre.
À moyen et à long terme
Nous l’avons vu, la crise actuelle du pétrole, la paralysie des moyens de transport de marchandises et les sécheresses affectant la production céréalière sont des phénomènes conjoncturels. Toutefois, dans un contexte de crise climatique, il est raisonnable de croire que ces phénomènes perturberont à nouveau l’économie. Il est donc nécessaire de diminuer notre dépendance au pétrole et de faciliter l’accès aux produits locaux. En ce sens, accélérer la mise en œuvre de politiques favorisant le transport actif et collectif, l’électrification des moyens de transport et la production locale pourrait atténuer à l’avenir les effets de la hausse des prix du pétrole et des variations internationales des prix.
D’autre part, la mise en place, non seulement de politiques d’achat local, mais aussi de souveraineté alimentaire permettraient de se prémunir contre une trop grande montée de l’inflation alimentaire tout en affectant à la baisse les émissions de GES liées au transport de marchandises.
En somme, la montée actuelle de l’inflation est liée à une hausse des coûts de production et à l’incapacité des producteurs à remplir la demande des ménages. Bien que conjoncturelle, une telle situation pourrait se répéter alors que la possibilité d’une crise environnementale pointe à l’horizon. À court terme, la priorité des gouvernements québécois et canadiens devrait être d’augmenter les revenus des ménages et des personnes seules, particulièrement les moins nantis, mais Québec et Ottawa devraient profiter de la situation pour adopter des politiques de sortie des hydrocarbures, améliorer la souveraineté alimentaire et favoriser la production locale.
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1 comment
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Initiative #1:
Détrusiez le pouvoir de créer et d’utiliser l’argent-dette!
Initiative #2:
Taxez la finance jusqu’à ordre de 98% afin de la garder sous contrôle serré.
C’est à l’état de créer la monnaie selon les besoins du commerce.
Il est temps de taxer la spéculation plutôt que la sueur!