Économie 101 : Qu’est ce que l’incitation au travail?
5 mai 2021
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PIB, externalités, inflation… Le discours économique est rempli de termes qui sont rarement définis. Leur utilisation répétée ne veut pas dire qu’ils sont maîtrisés pour autant. Au contraire, on a parfois l’impression qu’ils sont employés afin d’exclure les non-initiés de débats de société importants. Afin de mieux s’outiller dans de telles situations, l’IRIS propose de définir au fil des semaines quelques notions de base en économie. Aujourd’hui, parlons de l’incitation au travail.
DÉFINITION CLASSIQUE
Le sens du terme « incitation au travail » semble aller de soi : il réfère évidemment à tout ce qui incite les gens à se chercher et à conserver un emploi. L’incitation au travail est généralement présentée comme un élément essentiel au « bon fonctionnement » de l’économie et a, pour cette raison, une connotation positive. De ce point de vue, tout ce qui favorise l’incitation au travail est une bonne chose et, inversement, les « désincitatifs » au travail doivent être bannis ou, à tout le moins, minimisés le plus possible.
Au cours des derniers mois, la levée de boucliers provoquée par la création de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a permis de voir ce discours à l’oeuvre : des chroniqueurs et chroniqueuses, le patronat et les entreprises, des économistes, des ministres et même le premier ministre du Québec ont dénoncé cette mesure sur toutes les tribunes en déplorant ses effets négatifs sur l’incitation au travail, et donc sur l’économie dans son ensemble. La logique derrière ce concert de critiques est très simple : les gens refuseront de travailler s’ils sont « payés à ne rien faire », et les entreprises se retrouveront alors sans main-d’œuvre pour « faire rouler l’économie » au bénéfice de toutes et tous.
C’est au nom de ce principe qu’on choisit de maintenir sous le seuil de la pauvreté des pans entiers de la population en n’accordant que des montants très bas en aide financière de dernier recours (aide sociale) et en rognant le plus possible les conditions d’accès et les prestations des programmes de remplacement du revenu tels que l’assurance-chômage et les pensions de vieillesse.
ANGLES MORTS
L’incitation au travail est le plus souvent présentée d’une manière abstraite qui présuppose des acteurs économiques indifférenciés et qui ne tient pas compte de la situation sociale réelle des diverses catégories d’acteurs. Tel qu’elle est mise de l’avant dans l’espace public et médiatique, cette notion balaie sous le tapis les différences de position, de pouvoir et d’intérêt majeurs qui distinguent – et même qui opposent – les patrons et les salarié·e·s. Préserver l’incitation au travail apparaît ainsi comme un objectif louable qui correspond aux intérêts de l’ensemble de la population. Cette impression est renforcée par les discours qui dépeignent les sans-emploi bénéficiant de mesures de protection sociale comme des personnes qui « profitent du système » au détriment de ceux et celles qui « font l’effort » de travailler.
L’apparence « d’intérêt commun » qu’on accole à l’impératif de l’incitation au travail vole toutefois en éclats lorsque l’on sort des représentations abstraites et qu’on observe de quelle manière ses mécanismes concrets se déclinent dans la réalité. Ce qui frappe alors, c’est le double standard qui est à l’œuvre selon que ces mécanismes s’appliquent aux personnes qui sont situées en haut ou en bas de l’échelle sociale. Pour les patrons (cadres, PDG d’entreprises) et les médecins, l’incitation au travail prend une forme « positive » : elle passe par la multiplication des incitatifs financiers (salaires généreux, primes, options d’achat d’actions, etc.). Pour tous les autres, l’incitation au travail se présente sous sa forme punitive : la menace de la pauvreté et de la déchéance économique et sociale est le principal aiguillon employé pour inciter (ou plutôt forcer) les gens ordinaires à trouver et à garder un emploi.
ET SI ON UTILISAIT PLUTÔT…
Pour désigner ce que les approches économiques classiques appellent l’incitation au travail, les approches plus critiques utilisent plutôt le terme « discipline du travail », qui permet de rendre compte des intérêts contradictoires et des rapports de force qui sous-tendent le fonctionnement de l’économie capitaliste. De ce point de vue, il apparaît clairement que l’impératif de l’incitation au travail correspond avant tout aux intérêts des employeurs, dont les profits dépendent d’une main-d’œuvre disponible et prête à accepter sans rechigner des salaires et des conditions de travail inférieurs à la valeur réelle du travail qu’elle produit.
Or, la disponibilité et la docilité de la main-d’œuvre dépendent notamment du niveau d’insécurité économique de cette dernière : moins les travailleuses et travailleurs craignent de perdre leur emploi (parce que le taux de chômage est bas, ou parce qu’il existe un bon filet de sécurité sociale), moins elles et ils seront enclin·e·s à accepter n’importe quel salaire ou condition de travail. Autrement dit, la discipline du travail est ce qui permet aux patrons de tirer profit de modèles d’affaires basés sur la sous-rémunération et la surexploitation de leurs employé·e·s. À cet égard, il est révélateur de constater que les difficultés des employeurs à recruter du personnel lors du déconfinement ont presque uniquement affecté ceux qui offrent de bas salaires. Face à ce genre de situation, la solution est-elle réellement « d’inciter » les gens à accepter des emplois qui ne permettent même pas d’atteindre un revenu viable?