Logement et immigration : attention aux raccourcis
19 Décembre 2023
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Le Québec traverse depuis quelques années une crise du logement qui se manifeste par un recul du taux d’inoccupation des logements locatifs ainsi que par l’augmentation des loyers, deux tendances qui touchent la plupart des agglomérations de la province. Selon un point de vue répandu, la crise s’expliquerait parce que l’offre de logement peine à suivre l‘augmentation de la demande. Depuis quelque temps, plusieurs observateurs ajoutent que c’est l’immigration qui aurait entraîné une hausse marquée de la demande et, ce faisant, que les immigrant·e·s sont responsables de la crise du logement. Est-ce que ce raisonnement se vérifie dans les faits ?
Des facteurs déterminants ignorés
D’abord, bien que l’immigration soit effectivement en hausse depuis 2016 (en excluant les années de pandémie de 2020 et 2021), il est excessif de parler comme le font certains d’une augmentation incontrôlée. Les immigrant·e·s arrivé·e·s en 2022 au Québec ne constituaient que 0,8 % de la population totale. Pour sa part, le solde des résident·e·s non permanent·e·s (soit la variation de leur nombre entre le début et la fin de l’année) ne représentait que 1,1 % de l’ensemble de la population cette année-là. Autrement dit, les personnes immigrantes ne représentent qu’une petite partie de la nouvelle demande pour des logements et, comme nous le verrons plus loin, rien n’indique que chacune de ces personnes occupe à elle seule un logement complet.
Par ailleurs, si le lien entre la situation de l’habitation et l’immigration était si fort, la pénurie de logements devrait être plus sévère dans les villes où se concentrent les personnes immigrantes. Or, comme on peut le voir au tableau ci-bas, ce n’est pas le cas. Montréal est de loin la ville au Québec qui accueille le plus de nouvelles et de nouveaux arrivant·e·s. Pourtant, elle se trouve parmi les quatre villes de plus de 10 000 habitants qui avaient le taux d’inoccupation le plus élevé en octobre 2022 (2,0%).
Si l’immigration n’a pas causé la crise du logement, alors d’où vient-elle ? Plusieurs autres phénomènes qui influencent tant la demande que l’offre ont contribué dans les dernières années à plonger le Québec dans un état de crise. Parmi ceux-ci, le déficit de construction de logements sociaux qu’a entraîné au premier chef le retrait des subventions fédérales dans les années 1990. L’IRIS a montré que le marché connaît un déséquilibre depuis cette époque. Face à ces besoins non comblés, les ménages à faible revenu demeurent captifs du marché locatif privé. S’y trouvent coincés également de plus en plus de ménages incapables d’accéder à la propriété en raison de l’explosion du coût des prix de l’immobilier.
Les loyers ont quant à eux connu des hausses plus importantes que l’IPC en 2023 en raison du faible encadrement du marché locatif, qui permet à un propriétaire d’augmenter le loyer au-dessus du niveau recommandé par le Tribunal administratif du logement au moment du départ d’un locataire. Cette caractéristique du marché locatif a de plus facilité dans les dernières années des évictions frauduleuses permettant des hausses abusives. Ces phénomènes ont eux-mêmes été soutenus par la forte hausse des prix immobiliers, alimentée par la spéculation et la faiblesse des taux d’intérêt qui prévalait jusqu’en 2021. Les propriétaires qui acquièrent des immeubles locatifs à des prix exorbitants les financent en augmentant ensuite les loyers exigés aux locataires.
C’est aussi en raison d’une régulation laxiste que des logements ont pu être convertis en condo, une tendance lourde au tournant des années 2000, ou encore transformés en lieu d’hébergement temporaire, un phénomène que les municipalités peinent à contrôler, contribuant à restreindre l’offre de logements locatifs.
Des études ont enfin démontré que la présence grandissante dans des villes comme Montréal de fonds d’investissement et de sociétés de gestion d’actifs dans le marché locatif est associée à des loyers plus élevés, ces entreprises ayant comme objectif premier la maximisation de leurs profits.
Blâmer les victimes
Une fois ce tableau brossé, on comprend qu’il faut faire plusieurs raccourcis pour rendre l’immigration responsable de la crise du logement. Ceci n’est pas sans rappeler les époques où l’on blâmait injustement les immigrant·e·s pour le taux de chômage élevé. On constate en revanche que les personnes immigrantes sont devenues les boucs émissaires d’une crise qui découle avant tout du sous-financement du logement social, du laxisme des autorités vis-à-vis des hausses abusives des loyers et des pratiques illégales de certains propriétaires.
Ce renversement est d’autant plus déplorable que les immigrant·e·s récent·e·s, dont les revenus sont plus faibles en moyenne, sont frappés de plein fouet par l’inabordabilité des logements et doivent en plus composer avec la discrimination qui rend l’accès à un logement plus difficile. Quant aux résident·e·s temporaires, loin de « voler des logements », ils endurent bien souvent des conditions d’habitation exécrables, et ce qu’ils soient hébergés par leur employeur (comme c’est le cas dans plusieurs entreprises agricoles) ou non.
Rappelons cela dit que l’augmentation récente de cette catégorie d’immigrant·e·s est le fruit d’une politique migratoire conçue pour répondre à la demande de main-d’œuvre du secteur privé et aux besoins des établissements d’enseignement. En effet, alors que le nombre d’immigrant·e·s permanent·e·s est demeuré stable, le Québec accueille depuis 7 ans davantage de résident·e·s non permanent·e·s, soit des travailleuses et des travailleurs temporaires, des étudiantes et des étudiants étrangers ainsi que des demandeuses et demandeurs d’asile.
Tandis que l’accueil des personnes demandeuses d’asile, qui représentaient le tiers des résident·e·s non permanent·e·s présent·e·s au Québec, est une responsabilité du Canada en tant que pays signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugié·e·s, ce n’est que depuis 2017 que le gouvernement fédéral a mis en œuvre une série de réformes migratoires visant à faciliter le recrutement à l’étranger pour les entreprises canadiennes. Datant d’avril 2022, la plus récente réforme visait à assouplir les conditions permettant aux entreprises d’avoir recours à des travailleuses et des travailleurs étrangers temporaires, ainsi qu’à augmenter les quotas de main-d’œuvre étrangère autorisée dans certaines industries particulièrement en besoin. Ces modifications récurrentes des normes de l’immigration temporaire s’inscrivent de fait dans un contexte de hausse du nombre de postes vacants, phénomène observable depuis au moins 2015 (soit depuis le début de l’enquête de Statistique Canada sur ce sujet). Plusieurs entreprises comptent désormais sur la main-d’œuvre temporaire pour assurer leur pérennité. Au 1er janvier 2023, les travailleuses et les travailleurs temporaires représentaient un peu moins de la moitié (44,1%) des résident·e·s non permanent·e·s présent·e·s au Québec.
Quant aux étudiantes et les étudiants étrangers, qui forment 20,1% de l’immigration temporaire, ils sont vus par plusieurs établissements postsecondaires québécois comme une source de financement non négligeable, mais aussi comme un moyen de maintenir une variété de programmes, particulièrement en région. Le gouvernement caquiste avait quant à lui fait de leur recrutement une de ses priorités économiques au début de son premier mandat, arguant qu’ils et elles « constituent des candidats de choix pour l’immigration. »
En clair, les résident·e·s non permanent·e·s présent·e·s au Québec sont devenus essentiels au fonctionnement d’une société qui ne se donne même pas la peine de trouver les moyens de les loger convenablement. Le gouvernement, en faisant le choix conscient de ne pas augmenter la portion permanente de l’immigration, se trouve à négliger ses responsabilités en matière d’accueil des personnes immigrantes.
Seule une politique d’habitation qui se donnerait pour objectif d’assurer le droit au logement à l’ensemble de la population et de lutter contre les inégalités entre propriétaires et locataires, peu importe leur origine, permettrait de remédier à la crise du logement.
3 comments
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Toutefois, ce billet omet de parler d’un élément important à l’origine de la situation actuelle: les réglementations gouvernementales dont le tribunal administratif du logement (TAL), anciennement la régie du logement. Quand un régisseur n’autorise à un propriétaire qui a effectué des rénovations majeurs une augmentation de loyer faisant en sorte que la période d’amortissement de ces travaux corresponde à 30 ans, soit bien bien après que les mêmes travaux soient de nouveaux requis, il ne faut pas s’étonner de l’absence et rénovation et de construction de nouveaux logements.
Il faut changer le paradigme social.
Pour cela, définir ce que sont les biens premiers (selon les paramètres de Michel Chartrand), leur attribuer à tous une protection contre la spéculation et prévoir des conséquences désastreuses pour les contrevenants et leur entreprise sont 3 conditions incontournables. Il pourrait peut-être y en avoir d’autres.
Pour satisfaire la demande de logement seulement cause par l’immigration (500 000 personnes annuellement) il fallait construire par le gouvernement du Canada dans chaque province deux ou trois villes neuves d’appartements à louer de 100 000 habitants liées par de lignes ferroviaires rapides avec les métropoles. Mais si on n’a pas l’habitude d’anticiper … on regarde les prix qui s’envolent.
Exemple pratique à suivre : Dans la capitale d’Autriche, Vienne, c’est l’état propriétaire de 80% des appartements à louer et les loyers sont stables.