Bientôt une éthique financière 360° pour la Caisse de dépôt et placement du Québec?
23 avril 2022
Lecture
4min
À la suite du dépôt du plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la décarbonisation des investissements financiers sera probablement remise à l’ordre du jour par bien des investisseurs institutionnels soucieux de respecter l’éthique de leur clientèle et de leurs membres. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) poursuivra peut-être sa lancée en réduisant ses investissements dans le gaz et les pipelines. Cet exercice ne devrait cependant pas se restreindre à la dimension environnementale et aurait intérêt, pour garantir le caractère éthique des décisions financières prises par cette société publique qui gère l’épargne-retraite du quart des Québécois·es, inclure des critères sociaux.
À l’automne dernier, la CDPQ, comme d’autres institutions financières, s’est engagée à renforcer l’intégration des facteurs ESG dans la gestion de ses portefeuilles, une stratégie qui faisait déjà partie de sa politique d’investissement responsable. Que signifie ESG ? C’est un outil d’évaluation basé sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) des entreprises. Pour un investisseur, les critères ESG permettent donc d’évaluer rapidement les risques et opportunités des entreprises selon des critères qui ne sont pas exclusivement axés sur la rentabilité.
La Caisse a choisi d’intégrer les critères ESG « dans le processus d’analyse et de décision d’investissements », mais elle s’enorgueillit surtout d’avoir appliqué ce processus décisionnel pour calculer l’empreinte carbone et la gouvernance des entreprises dans lesquelles elle investit. Par contre, en laissant pour l’instant de côté le pan social de la cote ESG, elle est amenée à faire des choix douteux comme celui d’investir dans le secteur de la sécurité privée, une industrie prompte aux manquements éthiques. En 2019, la Caisse de dépôt et placement du Québec est en effet devenue l’actionnaire principale de Allied Universal en investissant plus de 1,5 milliard de dollars dans la compagnie. Cette acquisition a fait de la firme un des actifs importants de son portefeuille.
Cette transaction de la CDPQ avait surpris plusieurs analystes, car non seulement les performances économiques de l’entreprise sont jugées médiocres, mais celle-ci était sous la loupe suite à divers scandales qui avaient conduit une série d’acteurs institutionnels à retirer leurs fonds de l’entreprise. En 2018, des gardiens de sécurité de la firme Allied Universal avaient battu un homme dans des toilettes publiques. Il faut dire que la gestion des ressources humaines est un problème récurrent des services de sécurité privée qui tendent à améliorer leurs performances financières en négligeant la qualification et la formation du personnel de même que les conditions de travail. Les filiales de G4S de Allied font aussi en sorte que CDPQ a des actifs en Russie, alors même qu’elle a annoncé en février qu’elle souhaitait se défaire de ses investissements dans des entreprises qui opèrent en sol russe.
En 2021, Allied Universal a fait l’acquisition de G4S, une autre entreprise de sécurité impliquée dans de nombreux scandales éthiques et de droits de la personne et qui jouit d’une faible cote globale ESG (C- en 2019, sur une échelle allant de D- à A+). Les pratiques d’embauches et de ressources humaines de G4S ont fait l’objet de critiques suite à une enquête de USA Today qui révélait que l’entreprise avait embauché des employé·e·s ayant participé à des actes violents contre des personnes.
En conséquence, les fonds de pension nationaux de 21 pays ont vendu leurs parts dans G4S depuis 2014. Seulement 14 fonds détenaient encore des actions de la compagnie avant son rachat par Allied. Huit banques majeures des États-Unis excluent désormais de leur portefeuille les compagnies liées aux prisons privées, réduisant ainsi les perspectives de financement pour G4S et pour Allied. Plusieurs fonds de pension ont aussi choisi de ne pas financer la dette de Allied après qu’elle ait fait l’acquisition de G4S.
Les investisseurs institutionnels occupent souvent le rôle de leader éthique, une position que la Caisse ne devrait plus balayer du revers de la main. Choisir de sortir du carbone est un premier pas vers une finance un peu plus responsable, mais la Caisse doit élargir sa réflexion pour que son engagement dans la réduction des inégalités sociales ne tienne pas que du discours.
Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre ouverte dans l’édition du 23 avril 2022 du Devoir.
* Une version antérieure de ce billet mentionnait que la CDPQ avait investi 1,5 millions de dollars dans Allied Universal. Le billet a été modifié le 27 janvier 2023 pour corriger ce chiffre.
1 comment
Les commentaires sont désactivés
Une éthique financière!
Je ne vois qu’un oximore dans cette expression.
La finance n’a jamais eu aucune éthique. Laissée libre, elle bouffe tout ce qu’elle touche!
La preuve en est donnée par l’état actuel du monde.
Merci à Reagan et Tatcher qui ont initié la première vague de déréglementation du monde de la finance au début des années 1980.
La finance est une destructrice de monde qui doit être enchaînée et sous stricte surveillance en tout temps.
Une taxe sur les revenus de la spéculation devrait osciller entre 50% et 100%.
De taxer toutes les transactions boursières sur la Terre au taux de 0.01% générerait un revenu de plus de 77,000,000,000$US par année.
Quand on sais que 6,000,000,000$US par année sur cinq ans enrayerait pour toujours la famine à l’échelle mondiale…
Cessons de taxer la sueur!
Taxons la spéculation!
Voila, comment je résume ce que je crois être la meilleure forme que peut prendre cette “étique financière”.