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Les politiques du gouvernement Harper ont réussi à diminuer les inégalités au Canada

27 mai 2015

  • FF
    Francis Fortier

Cela peut paraître antinomique de considérer que les politiques néo-libérales du gouvernement Harper auront comme effet de diminuer les inégalités au pays. Mais, comme toute politique, il faut souvent attendre quelques années avant de voir leur véritable effet. En 2010, ce gouvernement a décidé de changer la forme de la collecte de données de Statistique Canada, faisant passer le questionnaire long du recensement aux oubliettes, au profit d’une nouvelle forme de collecte de données : l’Enquête Nationale auprès des Ménages (ENM).

Le gouvernement a justifié sa décision en invoquant le droit à la vie privée. Par contre, bien que le débat entourant cette nouvelle forme de collecte de données soit hautement technique, ses répercussions sont et seront politiques et le droit à la vie privée ne sera pas plus protégé qu’avant. Il existe des techniques statistiques afin de colliger et de diffuser les données qui préservent l’anonymat des  répondant∙e∙s. Et ces techniques étaient bien implantées au sein de Statistique Canada. Même les fichiers de micro-données étaient construits de telle sorte qu’il était impossible d’identifier la personne ayant répondu au questionnaire long. Donc, premier constat : la justification politique du droit à la vie privée du changement ne tient pas la route surtout que l’on ne peut pas affirmer que ce droit est transversal dans les politiques conservatrices. Alors pourquoi le gouvernement l’a-t-il fait? Il est relativement difficile de répondre à cette question sans faire le procès d’intention selon lequel le gouvernement serait contre le savoir et contre le discours scientifique… Mais, puisque le mal est fait et en devenir, voyons un peu quels sont les impacts potentiels.

Un dossier paru dans Le Devoir titrait : « Les statistiquescanadiennes manquent… et mentent ». Si on peut parler de statistiques manquantes, il est moins certain qu’une statistique puisse mentir. Il y a, dans notre société, une tendance forte à conférer une autonomie normative aux chiffres. Un peu comme lorsque nous entendons : « On peut faire dire n’importe quoi aux chiffres ». Sans entrer dans les détails de la fausseté de cette affirmation, nous vous référons ici à ce blogue de Jeanne Émard qui expose très bien les problèmes de cette conception. À la limite, une personne peut mentir avec des statistiques ou encore, si celle-ci ne possède pas les outils nécessaires pour bien comprendre les chiffres qu’elle met de l’avant, nous pourrions dire que les chiffres font dire n’importe quoi à certaines personnes. Mais ce n’est pas le propos du présent blogue, seulement une simple parenthèse.

Nous pouvons faire relativement confiance aux statisticien∙e∙s de Statistique Canada pour ne pas faire dire n’importe quoi aux statistiques et pour le sérieux de leurs publications. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Munir Sheikh (patron à l’époque de Statistique Canada) avait démissionné lors de l’annonce de la mise en place de l’ENM. De plus, en tant que chercheur∙e∙s, nous avons de la difficulté à obtenir certaines données de l’ENM, puisque Statistique Canada ne veut pas publier des données non fiables. Dans ce contexte, que veut dire avoir des données non fiables?

Dans le cas qui nous occupe ici, soit la réduction potentielle des inégalités au Canada suite à l’imposition de l’ENM par le gouvernement Harper, ce sont les extrêmes de la distribution des revenus qui nous intéressent. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les subtilités statistiques, que beaucoup de personnes considèrent comme soporifiques, pour comprendre l’impact du peu de fiabilité des données de l’ENM. Surtout que le principe est plus sociologique que statistique. De manière simple, une donnée n’est pas fiable lorsque celle-ci ne représente pas, avec un certain niveau de certitude statistique, lasous-population qu’elle est supposée représenter. En d’autres termes, actuellement, avec les données de l’ENM de 2011, nous avons des données qui ne sont pas fiables pour le premier quintile (20% des personnes ou ménages les plus pauvres) et nous avons aussi un problème de fiabilité pour le dernier décile (10% les plus riches). La non-fiabilité de ces deux groupes aux extrémités de la distribution de revenus est occasionnée par une tendance plus forte au sein de ces populations à ne pas répondre à des questionnaires concernant les revenus. Comme l’ENM se fait sur une base volontaire, nous avons la preuve qu’il y a une tendance à ne pas répondre de la part de ces groupes de revenus. Mais cela ne nous aide pas beaucoup pour voir les écarts de revenus dans lapopulation en général. Il ne reste que deux options pour l’analyse et la recherche : utiliser des données peu ou pas fiables ou encore rejeter le 30% de la population au sein de laquelle se retrouvent les plus grandes disparités de revenus de l’analyse. Il y a peut-être une troisième option, soit une privatisation de la collecte de données, mais comme les coûts seront très élevés, il est loin d’être certain que les questions des inégalités de revenus seront au centre des analyses. Il n’est pas certain non plus que l’éthique du respect de la vie privée mise en place à Statistique Canada sera aussi rigide.

Si nous poursuivons dans cette voie mise en place par le gouvernement Harper à Statistique Canada, il y a fort à parier, que, sur papier, les inégalités de revenus auront une tendance à la baisse. Et puisque pour plusieurs, les chiffres sont la vérité, nous n’aurons aucune manière de prouver que les inégalités se sont plutôt creusées, et ce, comme nous l’observons partout dans le monde. Les inégalités de revenus se seront plutôt estompées au Canada par la mise en place de politiques néo-libérales, de coupures dans la fonction publique (puisque l’autre justification de la mise en place de l’ENM était une baisse des coûts) et d’une certaine aversion de la scientificité objective.

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