Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Criminalité chez les jeunes : quand PSPP déforme la réalité

20 août 2025

Lecture

7min

  • Julia Posca

Au cœur de l’été, le Journal de Montréal/Québec rapportait que près du tiers des homicides survenus au Québec impliquait un jeune de moins de 21 ans. Il n’en fallait pas plus pour que le chef du Parti québécois fasse un lien entre ce phénomène inquiétant et l’immigration.

En entrevue à LCN, Paul St-Pierre Plamondon affirme que « la transformation des groupes criminalisés et de leur modus operandi est quand même assez subite. » Il poursuit : « J’ai pas l’expertise pour vous dire dans quel ordre ça a eu lieu, mais clairement, on vise des jeunes sur une base ethnoculturelle. » Il suggère que les actes criminels perpétrés à Montréal suivent « des méthodes qui viennent d’ailleurs, c’est-à-dire qu’on n’est pas dans ce qu’on a connu il y a 20-30 ans comme espèce d’équilibre. […] Là, c’est une agressivité qu’on n’a pas vue et pour laquelle je trouve qu’on est mal adapté. » Le député péquiste s’inquiète enfin de voir Montréal « [se transformer] du tout au tout [et devenir] une ville où on n’est pas en sécurité ». Suivant ces constats, il réclame l’embauche de « 800 policiers supplémentaires et 100 nouveaux travailleurs de rue » ainsi qu’une « révision des “peines bonbon” imposées aux mineurs. »

Il est pour le moins surréel d’entendre le chef péquiste parler de l’époque, « il y a 20-30 ans », où le crime organisé avait soi-disant des méthodes plus douces, considérant que sévissait au Québec au début des années 1990 une guerre des motards qui a fait de nombreuses victimes, dont certaines parfaitement innocentes. Au-delà de cette première impression, il importe d’aller voir ce que disent les données et la recherche au sujet de la criminalité et des jeunes. On constatera alors que la situation est très différente de l’interprétation qu’en propose M. St-Pierre Plamondon.

Tendances de la criminalité au Québec

Le taux de crimes fondés sur l’affaire, qui renvoie au « nombre d’événements distincts dans lesquels une (ou plusieurs) infractions criminelles ont eu lieu pour 100 000 habitants » a connu une baisse de 38% au Québec entre 1998 et 2024 (1998 étant la donnée la plus ancienne disponible). C’est le cas aussi à Montréal, où la baisse a été de 46%. On constate aussi une baisse du taux de jeunes inculpés pour 100 000 jeunes de 12 à 17 ans, et ce tant au Québec qu’à Montréal.

Si on observe effectivement une hausse de ces indices depuis 2020 qui touche particulièrement les plus jeunes, il est encore trop tôt pour parler d’une tendance lourde. Cette hausse pourrait s’expliquer par la pandémie de COVID-19. On a par exemple vu une augmentation de la violence conjugale durant cette période. Avec la fin de la pandémie, il ne serait pas étonnant de voir cette tendance à la hausse se renverser dans les prochaines années. Et quoi qu’il en soit, le taux de crimes fondés sur l’affaire demeure pour l’instant bien en deçà du niveau qu’il atteignait à la fin des années 1990.

L’indice de gravité de la criminalité, qui est fondé sur un classement du niveau de gravité des crimes au Canada, est lui aussi en diminution au Québec depuis 1998. Là encore, on remarque une légère hausse depuis 2020. Chez les jeunes, cette hausse est attribuable à une augmentation de l’indice des crimes avec violence, qui a débuté en 2007.

Malgré cette tendance, le nombre et le taux d’homicides pour 100 000 habitants ont connu une importante baisse au Québec depuis un sommet observé en 1975. Notons que le « taux d’homicides pour lesquels l’homicide est lié ou soupçonné être lié au crime organisé ou à un gang de rue » suit lui aussi une tendance à la baisse depuis 1999 (contrairement à ce qu’on observe au Canada). Enfin, à Montréal, on observe aussi une diminution du nombre d’homicides depuis 1996, ce qui se traduit par un taux d’homicides pour 100 000 habitants environ trois fois moins élevé en 2024 (1,18) qu’en 1996 (3,10).

En somme, la criminalité a globalement diminué au Québec, ainsi que la gravité des crimes commis, durant une période où le pourcentage de la population issue de l’immigration a pour sa part eu tendance à croître, passant de 9% à 15% entre 1996 et 2021 (donnée la plus récente). C’est le cas aussi à Montréal, qui accueille la proportion la plus élevée de personnes immigrantes au Québec.

Notons cela dit que même si on avait observé une hausse de la criminalité dans les dernières décennies, ou si à l’inverse on avait observé une baisse de la criminalité concomitante à une baisse de l’immigration, il aurait été hasardeux d’en conclure que les deux phénomènes sont liés et que l’un est en cause dans la variation de l’autre. En faisant malgré tout ce rapprochement, Paul St-Pierre Plamondon reprend à son compte un discours aux relents xénophobes sur la jeunesse racisée et sur les personnes immigrantes qui n’est malheureusement pas nouveau.

Stigmatiser une jeunesse vulnérable

En déformant la réalité de l’évolution de la criminalité à Montréal, le chef du PQ emprunte une vieille stratégie rhétorique qui lui donne les moyens de justifier des solutions répressives dont l’efficacité a pourtant maintes fois été démentie. Depuis les années 1980, on dépeint les jeunes issus de l’immigration (ou perçus comme tel) comme représentant une menace pour la sécurité des autres citoyen·ne·s. Ce discours a permis de légitimer des mesures qui ont accentué la criminalisation de ces jeunes, et ce faisant, leur marginalisation. Ce cercle vicieux, qui est encore à l’œuvre aujourd’hui, explique en partie les tendances que l’on observe depuis quelques années en matière de criminalité juvénile.

L’expérience des intervenant·e·s sur le terrain et les travaux de plusieurs chercheurs et chercheuses ont bien montré que ce n’est pas à cause de leur origine ethnique ou de leur statut d’immigration que certains jeunes commettent des crimes, mais plutôt à cause de facteurs psychologiques et sociaux sur lesquels il importe d’intervenir. La précarité économique et le manque d’opportunités, l’insécurité liée au profilage et à la répression qui sévit déjà dans les quartiers où résident ces jeunes ainsi que le besoin d’appartenance et de valorisation comptent parmi les facteurs en cause.

Du reste, plusieurs observateurs de la scène criminelle expliquent la recrudescence de certains actes violents au Québec par l’existence d’une guerre ouverte opposant vieilles et nouvelles factions du crime organisé. C’est en agissant sur les facteurs qui font des jeunes des cibles de ces groupes criminalisés que l’on peut espérer leur venir en aide. La recherche montre à cet égard que les programmes communautaires de prévention de la violence sont beaucoup plus efficaces que les approches répressives. En ce sens, Paul St-Pierre Plamondon fait fausse route en exigeant une augmentation des effectifs policiers.

La panique morale sur laquelle mise le chef du PQ peut contribuer à mousser sa popularité auprès d’une certaine frange de l’électorat; elle ne sera cependant d’aucune utilité pour contrer la criminalité ou améliorer les conditions de vie des jeunes au Québec et de leur famille.

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

Commenter la publication

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les renseignements collectés à travers ce formulaire sont nécessaires à l’IRIS pour traiter votre demande et y donner suite. Vous disposez d’un droit d’accès et de rectification à l’égard de vos renseignements personnels et vous pouvez retirer votre consentement à tout moment. En fournissant vos renseignements dans ce formulaire, vous reconnaissez avoir consulté notre Politique de protection des renseignements personnels et politique de confidentialité.