L’autre personnalité de l’année 2024: le conteneur
6 janvier 2025
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Il est venu le moment de dévoiler la personnalité qui a marqué 2024 selon l’IRIS! Avec cette nomination, nous souhaitons remettre en perspective les événements qui ont occupé le devant de la scène médiatique en jetant un regard sur des phénomènes restés dans l’ombre. Cette année, le titre revient à un objet dont on parle de fait très rarement, mais qui occupe pourtant une place centrale dans l’économie mondiale : le conteneur.
Chaînon essentiel du commerce international, cette caisse métallique est un emblème de la mondialisation économique. Selon la U.S. Food and Drug Administration (FDA), 90% des biens achetés en magasin durant une semaine sont d’abord passés par un conteneur. Si le caractère mondialisé des échanges n’est pas nouveau, l’explosion du commerce international dans les dernières décennies doit beaucoup au conteneur.
L’essor du conteneur
Les conteneurs sont développés dans les années 1930, mais leur standardisation au début des années 1950 permettra à leur utilisation de s’étendre et de métamorphoser la distribution des marchandises. Le recours aux conteneurs a accéléré le transport des marchandises en uniformisant les cargaisons et en réduisant la quantité de travailleurs requis pour les faire transiter d’un point de transbordement à un autre. La diminution des coûts de distribution a contribué à faire de la délocalisation de la production une avenue profitable pour les entreprises. Le nombre de conteneurs en circulation s’est ainsi accru à compter des années 1980 parallèlement à la désindustrialisation des pays occidentaux et, à l’inverse, à l’industrialisation des pays pauvres du sud global. Une étude qui examine la période 1960-1990 a montré que la « conteneurisation » a eu un effet beaucoup plus significatif sur l’augmentation du commerce international que les accords de libre-échange.
Selon le World Economic Forum, 235 millions de conteneurs ont transité par les ports de la Chine en 2017, 51,4 millions sont passés par les ports des États-Unis, et 6,3 millions par ceux du Canada. Entre octobre 2023 et octobre 2024, ce sont 627 941 conteneurs transportant 5 584 872 tonnes de marchandises qui sont entrés au Port de Montréal. Le porte-conteneurs ayant la plus grande capacité de chargement en 2024 était le MSC Irina, un navire qui peut transporter environ 24 300 conteneurs de 20 pieds chacun.
Des échanges aux effets colossaux
Les ports doivent s’ajuster face au gigantisme des porte-conteneurs, dont la taille n’a cessé de croître depuis leur apparition. Par exemple, la construction d’un nouveau terminal à Contrecœur, qui vise à augmenter la capacité du Port de Montréal, nécessitera d’abattre des milliers d’arbres et de détruire des milieux humides abritant des espèces menacées.
La hausse du transport des marchandises affecte aussi la tranquillité des villes. Dans le quartier montréalais de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, des citoyen·ne·s ont continué cette année à dénoncer à travers diverses actions les effets de l’exploitation par la compagnie Ray-Mont Logistiques d’un site de triage à proximité de résidences et d’un boisé.
Ces perturbations sont toutefois négligeables à côté des effets qu’a eus aux quatre coins du globe la pandémie de COVID-19 sur la valse des conteneurs. De fait, la crise sanitaire a mis en lumière la fragilité de ce système mondialisé, où l’accès même aux biens les plus essentiels repose sur une longue chaîne de fournisseurs et de transporteurs interdépendants. Quand en 2021, un porte-conteneurs s’est empêtré dans le canal de Suez, la circulation s’est arrêtée pendant une semaine dans cette voie névralgique pour le commerce de marchandises entre l’Europe et l’Asie. L’assureur Allianz avait estimé à entre 6 et 10 milliards de dollars par jour l’effet sur le commerce mondial de cette « immobilisation ».
En 2024, le transport de marchandises a aussi été momentanément perturbé au Canada par des conflits de travail. Fin août, le gouvernement fédéral invoquait « l’intérêt national » pour mettre fin au lock-out des employé·e·s des compagnies ferroviaires CN et CPKC. Puis en novembre, il forçait le retour au travail des employé·e·s des ports de Montréal et de la Colombie-Britannique, eux aussi mis en lock-out par leur employeur. Le ministre Steven MacKinnon avait alors affirmé qu’« [il] y a une limite à l’autodestruction économique que les Canadiens sont prêts à accepter ».
Or, parmi les facteurs qui ont le potentiel d’affecter à long terme l’économie, il faut mentionner le caractère oligopolistique des compagnies qui assurent le transport par conteneur. Les 10 plus grands transporteurs maritimes – dont la plupart sont enregistrés dans des paradis fiscaux – contrôlaient 84% du marché en 2023. Dans les dernières années, ils ont profité de cette situation pour imposer des coûts exorbitants qui ont des répercussions sur le prix de la plupart des biens consommés.
Une liberté de circulation à géométrie variable
À bien des égards révolutionnaire, le conteneur n’illustre pas moins le caractère débridé du capitalisme, qui s’est développé en amenuisant la souveraineté des États, en fragilisant les conditions de travail, en creusant les inégalités et en ravageant les milieux naturels. Aujourd’hui, les effets délétères de cette économie mondialisée poussent des milliers de gens à s’exiler vers des pays plus riches qui cherchent au contraire à rendre leurs frontières de plus en plus hermétiques.
Fin 2024, le gouvernement de Justin Trudeau annonçait des investissements de 1,3 milliard de dollars sur six ans pour resserrer le contrôle de la frontière canado-américaine. La mesure a fait suite à la menace du futur président des États-Unis – d’ailleurs nommé « Person of the Year » par le magazine Time – d’imposer des tarifs de 25% sur les importations canadiennes si l’entrée de migrants et d’opioïdes ne cessait pas. Autant dire qu’au cours de la dernière année, la volonté des gouvernements de protéger la libre circulation des marchandises n’a eu d’égal que leur ouverture à restreindre la liberté de circuler des personnes.
Certes, la profession de foi libre-échangiste des gouvernements comme celui de Justin Trudeau a échoué à mettre l’économie au service du plus grand nombre. Mais tout indique que le nationalisme autoritaire d’un Donald Trump, qui doit en partie ses victoires à sa critique de la mondialisation, rencontrera les mêmes écueils. Ni l’un ni l’autre n’ose remettre en question le système capitaliste et sa logique de croissance illimitée.
Pour remédier à la conteneurisation et ses conséquences néfastes pour les populations et les écosystèmes, il faudra tôt ou tard se résoudre à développer un modèle économique basé sur la planification démocratique de la production et des échanges, le respect des limites planétaires et la solidarité entre les nations.
Magnifique conclusion
Excellente conclusion. On pourrait ajouter des exemples d’organisation de productions démocratiques. De bons exemple dans le livre de Simon. Tremblay Pepin.
Autre point à faire ressortir, nôtre dependence aux importations pour les biens essentiels ( alimentation, énergie, médicaments ( prendre en exemple lors de la crise Covid), vêtements, équipement de transport en commun, etc…). Je crois que de prendre l’exemple du ´pourquoi’ de la création de l’organisation d’état Hydro-Quebec et de la fierté que les québécois et québécoises ont à cet égard, est un bon point de départ pédagogique pour aider à ouvrir les esprits concernant la ´démocratisation ´ et la planification ( du moins pour les besoins essentiels, car on se fout de la production des objets de luxes!) de l’économie.