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Automobile, ô toi ma reine !

23 février 2018

  • Julia Posca

L’automobile est au Québec, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, reine. Nous ne pouvons plus nous passer d’elle puisque tout notre environnement a été conçu en fonction de son évolution et de ses caprices. Le territoire québécois ne se parcourt facilement qu’en voiture. Les villes sont constamment réaménagées pour lui faire de la place. La vie dans les banlieues, qui ne cessent de s’étendre, est organisée autour de ces véhicules de promenade.

Cette histoire d’amour née avec le XXe siècle, à peine forcée par la publicité, ne se voit pas uniquement dans les paysages parfois hideux de l’Amérique autoroutière ; elle se vit jusque dans nos tripes. La voiture rend libre, elle nous rend puissants. Du moins, c’est le cas loin des grands centres, des artères principales et en dehors des heures de pointe, mais bon, passons. Nous aimons trop l’automobile pour nous embarrasser de tels détails.

Des milliards de dollars d’argent public et privé sont dépensés chaque année pour la construction et l’entretien des routes, l’achat, l’entretien et la réparation des véhicules, l’achat d’essence, les frais de stationnement. L’austérité n’est ici jamais de mise !

La mairie de Montréal, qui cherche à atténuer la circulation sur le mont Royal – un parc urbain, faut-il le rappeler –, passe évidemment dans ce contexte pour idéologique, bornée et rétrograde. Au micro d’Alain Gravel sur les ondes de Radio-Canada, Marie Grégoire s’est emportée mardi dernier en écoutant l’éditorialiste en chef François Cardinal évoquer le projet d’interdire le transit sur le chemin Camillien-Houde. « Ils veulent sortir la voiture de la ville ! », s’est-elle exclamée. On aurait cru, à entendre la ferveur de son intervention, que c’est d’interdire l’utilisation du téléphone sur tout le territoire de la métropole dont il était question ici.

Manque d’espace

Les réactions qu’a suscitées cette affaire sont symptomatiques de notre incapacité à penser en dehors de la civilisation de la voiture. Tôt ou tard, l’espace va pourtant manquer pour accueillir un parc automobile qui ne cesse de croître. À plusieurs endroits, il manque déjà. Ceux qui essaient de traverser les ponts Champlain et Jacques-Cartier matin et soir le savent trop bien. Les partisans d’un troisième lien à Québec aussi. En 10 ans, le taux de croissance des véhicules de promenade a été deux fois plus élevé que celui de la population dans la province. Les émissions de gaz à effet de serre émanant du secteur du transport routier ont quant à elles augmenté de 27 % entre 1990 et 2014. Mais ces faits sont beaucoup trop durs à entendre pour les passionnés de l’auto que nous sommes.

Lorsque l’on s’aventure à suggérer que la solution à ces problèmes de congestion et de pollution passe par des investissements massifs dans les transports en commun, nombre de nos élus répliquent que dépenser est, pour un gouvernement qui se respecte, un péché mortel. Ils doivent bien entendu pour se convaincre de ce dogme faire comme s’ils ne savaient pas que, lorsque l’État dépense, il crée en fait de la richesse ! Demandez aux travailleurs de l’usine de Bombardier à La Pocatière combien de wagons de métro et de train ils pourraient construire si seulement on leur passait la commande. Combien de sous ils iraient ensuite dépenser dans leur région avec le salaire qu’ils ne perdraient pas puisque leur emploi aurait été sauvé. Et combien – miracle ! –, ils verseraient en impôt au Trésor public la fin de l’année venue.

Mais l’amour rend aveugle, et le culte que notre société voue à l’automobile nous a collectivement fait perdre la raison. Il serait grand temps de la retrouver.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 23 février 2018 de La Presse et du Devoir.

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