Le rôle de l’industrie des assurances dans la crise climatique
8 novembre 2024
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Récemment, des manifestants ont escaladé le pont Jacques-Cartier à Montréal pour y suspendre une banderole où on pouvait lire « Le pétrole nous tue ». Les membres du collectif Antigone espéraient ainsi sensibiliser la population face à l’urgence de sortir des hydrocarbures pour renverser la tendance climatique actuelle. S’il existe un consensus scientifique concernant le rôle des énergies fossiles sur le réchauffement planétaire, les États ainsi que les entreprises – et, incidemment, les ménages – tardent à faire les changements nécessaires pour remédier à la dépendance des économies à leur égard.
C’est vrai de l’industrie des assurances, qui continue de soutenir les entreprises du secteur des hydrocarbures à travers ses placements financiers, comme le révélait un rapport publié cet été par Investors for Paris Compliance, un groupe qui fait la promotion auprès d’investisseurs de la décarbonation de l’économie. Le rapport souligne que « les sept plus importantes sociétés d’assurance multirisque au Canada et leurs sociétés mères ont investi plus de 19,5 milliards $ dans des actifs liés aux combustibles fossiles en 2023. » Concrètement, ceci implique par exemple qu’une entreprise comme TD, qui offre des couvertures d’assurances, réalise aussi à travers sa branche de gestion de placements des investissements dans des compagnies comme Enbridge, qui est spécialisée dans le transport de pétrole par oléoduc .
Les compagnies d’assurance contribuent ainsi à alimenter un problème dont elles ont par ailleurs les moyens de profiter en dépit des risques que la crise climatique fait peser sur leur modèle d’affaires. Le Bureau d’assurance du Canada a révélé que les coûts liés aux dommages assurés avaient atteint un nouveau record cet été au Canada, soit plus de 7,5 milliards $, en raison principalement des inondations dans le sud de l’Ontario et au Québec, des feux de forêt en Alberta, et d’épisodes de grêle en Alberta. Il s’agit d’une hausse d’environ 700% en moins de 30 ans. Pendant ce temps, le coût des assurances a été en forte croissance pour les ménages. En effet, toujours selon le groupe Investors for Paris Compliance, « [l]es taux hypothécaires et d’assurance habitation ont augmenté de plus de 73% au cours de la dernière décennie, avec une augmentation moyenne de 7,7% dans l’ensemble du pays pour la seule année 2023 ».
En 2021, 8 multinationales de l’assurance « se sont engagées à faire passer leurs portefeuilles à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. » Cette échéance est peut-être réaliste, mais n’est certainement pas à la hauteur de l’urgence actuelle. Surtout, elle permet à l’industrie de se dédouaner face à la détérioration de l’environnement qu’entraîne l’activité des entreprises pétrolières et gazières à travers le monde, alors que ces entreprises dépendent de l’apport en capitaux que leurs investisseurs leur fournissent.
Pendant ce temps, les populations font les frais, littéralement, de la multiplication des catastrophes naturelles et de leur intensification. Des ménages qui ne sont plus assurables vont subir d’importantes pertes financières. Quant aux États, les dépenses qu’ils doivent engager pour la réaction et l’adaptation aux effets du réchauffement climatique continuent d’augmenter. Le budget fédéral de 2024 a d’ailleurs prévu des sommes pour la mise en place d’un programme national d’assurance contre les inondations après notamment que l’industrie de l’assurance ait fait pression sur le gouvernement canadien pour qu’il se dote d’un tel programme, qui aura pour objectif de couvrir « les ménages à risque élevé d’inondation ».
Si on a tendance à vouloir, avec raison, responsabiliser les individus pour leurs habitudes de consommation, cette approche est insuffisante pour faire face à l’ampleur de la crise écologique. Pire, elle détourne l’attention des facteurs les plus déterminants, comme la production d’énergie fossile, la surexploitation des ressources et la surproduction qui sont au fondement du système économique capitaliste. Le rôle des grandes entreprises s’en trouve éludé, comme on le voit dans le cas de l’industrie des assurances qui contribue, par ses investissements, à prolonger la durée de vie de l’économie fossile.