5 raisons de se méfier du projet Royalmount
12 janvier 2019
La commission sur le développement économique, urbain et de l’habitation se penche présentement sur les impacts du projet Royalmount. Bien que le projet ait été accepté par la ville de Mont-Royal, où se situerait le complexe, la commission doit évaluer si ce projet de centre commercial situé à l’angle des autoroutes 15 et 40 entraînera des retombées positives pour la grande région montréalaise. Si d’ores et déjà l’on peut supposer que certaines entreprises privées gagneront beaucoup d’argent dans ce projet d’une valeur de 1,7 G$, il n’est pas certain que les retombées seront si avantageuses pour de nombreux résidents et résidentes de la région.
Piloté par la firme à l’origine du Dix30 à Brossard, le Royalmount doit compter 1,5 million de pi2 de commerces, 6 tours à bureaux, 160 000 pi2 de restaurants, 425 000 pi2 de divertissements (dont un parc aquatique et un aquarium), 5 hôtels (pour un total de 1 000 chambres), 1 théâtre d’au moins 6 000 places, 1 cinéma et 8 000 places de stationnement. Les promoteurs prévoient une affluence annuelle de 25 à 35 millions de visiteurs. Ce type de complexe devrait théoriquement encourager les Montréalais.es à rester sur l’île pour magasiner, attirer les touristes et créer de l’emploi, tout en augmentant les revenus fiscaux de la ville. Bref, le projet semble à tout point de vue intéressant.
Or, lorsqu’on le regarde de plus près, plusieurs enjeux importants le rendent bien moins intéressant qu’il n’y paraît. En voici quelques-uns:
La congestion routière
Considérant l’ampleur du projet, on peut comprendre les promoteurs d’avoir été heureux de trouver sur l’île de Montréal suffisamment de terrain pour le mettre en place. Or, l’emplacement du projet Royalmount sera érigé aux coins des autoroutes les plus congestionnés du Québec. Alors que la ville de Montréal estime à 360 000 le nombre de véhicules circulant de manière quotidienne sur l’échangeur Décarie (p.15), elle estime que le projet Royalmount génèrera 140 000 déplacements supplémentaires, dont 70 000 en automobile lors des heures de pointe (p. 17-18). Ce faisant, la congestion devrait augmenter de 15 à 30 minutes pour les automobilistes empruntant ce tronçon d’autoroute.
Coût du trafic
L’étude Quand tout s’arrête : évaluation des pires points d’engorgement au Canada, commandée par le CAA, indique que l’embranchement entre l’autoroute 40 (entre le boulevard Pie-IX et l’autoroute 520), l’autoroute 15 (entre l’autoroute 40 et le chemin de la Côte-Saint-Luc) et l’autoroute 40 (entre l’autoroute 520 et le boulevard Cavendish) sont respectivement les 3e, 5e et 14e pires lieux de congestion routière au Canada. Les retards causés par la congestion sur ces trois tronçons engendrent des coûts annuels d’environ 66,8 M$ pour le Québec (p.15). L’ajout de 70 000 voitures supplémentaires peut facilement faire augmenter ce montant d’entre 75 M$ et 85 M$, et ce, malgré toutes les mesures que les promoteurs du projet ont prévu prendre pour atténuer la circulation.
L’aspect écologique
Le rapport du CAA montre aussi que l’augmentation de la congestion routière aux abords du Royalmount ajoutera 15 718 tonnes d’équivalent CO2 annuellement (p 10 et 11), soit l’équivalent de la moyenne annuelle des gaz à effet de serre (GES) émis par 1041 Canadiens. Ajouter entre 15 minutes et 30 minutes de congestion routière par jour pourrait ainsi faire augmenter ce bilan de manière significative. Bien que les promoteurs veuillent favoriser l’utilisation du métro en construisant une gigantesque passerelle de 750 m à 1 km liant le Royalmount à la station de métro De la Savane, il est peu probable que les usagers et les usagères du métro se rendent en masse vers ce lieu excentré pour magasiner. À l’inverse, le projet continuera d’amener toujours plus d’automobiles dans un secteur déjà congestionné, dans un contexte où des efforts devraient plutôt être déployés afin de diminuer la présence de ce type de transport en ville.
Les taxes foncières
Alors que la ville de Montréal se questionne sur la nécessité du projet, on comprend les élus de la ville de Mont-Royal d’avoir accueilli le Royalmount à bras ouverts. Il faut dire que le budget de cette petite ville d’environ 20 000 habitants située au cœur de l’île est d’environ 91 M$, alors que le projet rapportera une somme annuelle de 25,5 M$ (p. 26) en revenu de taxe, soit 28 % de son budget. La ville de Montréal recevra pour sa part 25,8 M$, mais devra gérer la plupart des contrecoups liés à la congestion routière sur le territoire, dont l’insatisfaction des citoyennes et des citoyens. On peut ainsi à juste titre se demander si cette répartition des revenus des taxes est équitable. Rappelons en outre que le revenu moyen des habitants de Mont-Royal est d’environ 103 000$, tandis que celui de la moyenne montréalaise est d’environ 40 000$.
Cannibalisation et emplois
Plusieurs intervenants dont la ville de Montréal se questionne sur le possible effet de cannibalisation qu’entraînera l’implantation d’un centre d’achat de cette importance sur les commerces avoisinants. En effet, selon la ville de Montréal, le nouveau centre pourrait avoir un effet d’érosion se situant jusqu’à 15 % des ventes pour les artères commerciales avoisinantes, ce qui est considéré comme un impact se situant de très faible à moyen. Évidemment, les commerces les plus touchés seraient ceux du Centre Rockland, de la Place Vertu, du Marché Central et du mégacentre Blue Bonnets, qui se situe à un jet de pierres de l’emplacement du Royalmount.
Le Partenariat du Quartier des spectacles s’inquiète aussi de l’idée d’ajouter 2 salles de spectacle sur l’île. Pour rentabiliser ces deux salles (totalisant 6 000 places), il faudrait selon le Partenariat vendre 1,5 million de billets annuellement, alors qu’il s’en vend présentement 3,5 millions dans l’ensemble de la grande région métropolitaine. Selon eux, il est certain que le projet du Royalmount cannibalisera les autres salles montréalaises, au point où il est possible qu’aucune des salles ne soit suffisamment rentable pour perdurer.
Rappelons que bien que ce type de projet crée des emplois (jusqu’à 35 000) et des retombées économiques, c’est surtout durant la phase de construction que ces emplois sont créés. L’impact économique de l’augmentation des emplois dans le secteur du commerce de détail, de l’hôtellerie et de la restauration rapide est généralement moindre. En ce sens, rien n’indique que ce type de projet sera bon pour l’économie à long terme.
Soyons clair, un promoteur peut bien décider de réaliser des investissements risqués. De fait, ce type de projet représente un réel risque, alors qu’on sait que près de 25% des centres commerciaux américains devraient fermer d’ici 5 ans, et que même les tentatives de renouveler le modèle s’avèrent peu concluantes. Cela dit, lorsque ces risques entraînent des coûts supplémentaires pour la population, plus de congestion routière, peu de retombées économiques et de la pollution en plus, on peut se questionner sur le bienfondé de se plier à la volonté des promoteurs. Il faudrait à tout le moins donner plus d’assurance que le projet permettra d’améliorer la vie des Montréalaises et des Montréalais et non la rendre plus difficile. Or, pour le moment, il reste encore beaucoup de problèmes à régler pour que le projet ait des impacts positifs sur la vie des habitants de la grande région montréalaise.