Dix propositions pour mieux vivre sans croissance (1ère partie)
16 mai 2013
Cette semaine à HEC Montréal se tenait le premier colloque du Collectif de recherche interuniversitaire et transdisciplinaire sur les impasses de la croissance (CRITIC) intitulé « Creuser jusqu’où? Les limites de la croissance ». À l’occasion de ce colloque sur la décroissance, on a entendu de très pertinentes critiques du mouvement décroissant à l’égard de l’économie de l’accumulation qui recherche des profits illimités alors que les limites environnementales et sociales de la planète sont de plus en plus précises.
Au même moment, la revue française Alternatives économiques publiait un dossier intitulé Vivre mieux sans croissance qui met de l’avant 10 propositions afin d’améliorer notre vie dans le contexte 0ù la fin de la croissance est soit souhaitable, soit inévitable. Les propositions avancées sont très intéressantes, aisément réalisables et devraient être mieux connues. Elles ont pour but de diminuer les dépenses individuelles de manière à défavoriser la recherche de l’accumulation monétaire. Nous en faisons ici la recension en les adaptant à la situation québécoise.
Une petite remarque avant de nous pencher sur ces différents chantiers. Le terme décroissance est parfois compris comme une défense de la diminution du produit intérieur brut (PIB). Il nous semble préférable de l’entendre autrement, disons plutôt comme un agnosticisme face au dogme de la croissance économique à tout prix. Il n’est donc pas question d’haïr ici un indicateur que d’autres célèbrent. Au contraire, on se propose de penser l’économie au-delà de l’impératif de croissance du PIB. Certaines politiques publiques présentées ici pourraient bien avoir pour effet de faire croître le PIB alors que d’autres pourraient avoir sur lui un effet neutre ou négatif, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. Nous souhaitons plutôt comprendre comment vivre mieux dans un monde limité sans participer plus avant à sa destruction.
1. Diminuer les coûts de logement
Dans un contexte de relative stagnation des revenus, on ne peut plus s’adonner à la fuite en avant, il faut agir sur les dépenses. Alternatives économiques rappelle qu’en France une des dépenses les plus importantes des ménages est les coûts de logement. Sur cette question, aucune différence au Québec où, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), les propriétaires consacraient en 2009 16,8% de leur revenu à leur logement, tandis que les locataires y consacraient 21,2%. Nous avons montré dans une recherche que ces dépenses sont particulièrement importantes pour les personnes les moins fortunées.
Comment compresser ces dépenses au Québec? Nombreuses suggestions ont été formulées, certaines sont présentées dans le récent rapport d’une commission populaire auquel un de nos chercheurs a participé. Les gens d’Alternatives économiques proposent d’étendre l’encadrement législatif des loyers à ceux qui viennent d’être construits. Au Québec, il faudrait commencer par encadrer législativement le loyer avec quelque chose de plus imposant que les suggestions de la Régie du logement qui ne fait justement que des propositions. Rappelons que jusqu’en 2012 les loyers croissaient beaucoup plus rapidement que l’inflation et bien plus vite que les suggestions de la Régie. Nous semblons vivre en ce moment un ralentissement. Est-il durable? Est-il annonciateur de problèmes importants dans sphère immobilière? Difficile de le savoir.
Le contrôle des loyers n’est pas le seul moyen à la disposition du gouvernement pour réduire le poids de cette dépense. Depuis des années, il est question de munir le Québec d’un registre des baux, ce qui réduirait les hausses de loyer engendrées lors de changements de locataires. De façon plus structurante, la construction de logements sociaux voire même la conversion d’une partie du parc locatif privé en logement social aurait aussi un effet déterminant sur les prix.
2. Moins dépenser en chauffage
Si en France la question du chauffage du logement est importante, au Québec elle est vitale. Nous devons tous nous chauffer, ce n’est pas une question de confort, mais de survie. Faut-il pour autant chauffer dehors? Comment s’assurer que nous ne gaspillons ni énergie, ni argent?
Une solution apparaît évidente : favoriser ce que les Français appellent les « rénovations thermiques ». En bref, s’assurer que chaque maison, logement, bureau ou institution est bien isolé et économise de l’énergie. Pour les logements locatifs, le propriétaire n’a aucun incitatif direct à réaliser lui-même ces rénovations, comme ce n’est pas lui qui en subit les conséquences (financières ou de confort). Il est nécessaire alors que l’État intervienne pour favoriser ces rénovations.
Tous les gaspillages d’énergie ne sont pas causés que par des logements mal isolés, il y a aussi des gens qui surconsomment de l’énergie et qui en subissent peu de conséquences parce que le prix de l’électricité est relativement bas au Québec. Nous suggérions, il y a quelques années, d’améliorer la progressivité des tarifs d’Hydro-Québec pour mieux cibler ces consommateurs dépensiers. Cependant, cette mesure peut difficilement être mise en place sans les rénovations thermiques, sous peine alors de pénaliser les gens les plus mal lotis.
3. Transformer les villes
À Copenhague, la moitié des déplacements se font à vélo, nous informe Alternatives économiques. Cela a des conséquences sur l’environnement bien sûr, mais aussi sur le portefeuille des ménages et sur la santé des gens. Vivre plus simplement, c’est aussi utiliser peu (ou pas) la voiture.
Bien sûr, des initiatives comme BIXI à Montréal permettent d’encourager cette tendance, mais il faut faire plus et ce n’est pas très coûteux. Alternatives économiques nous parle de limiter la vitesse permise à 30 km/h dans les centres-villes et d’organiser le zonage pour empêcher le développement des grandes surfaces.
À Montréal, on pourrait ajouter : créer de nouvelles pistes cyclables et s’assurer qu’elles soient sécuritaires. Pour l’occasion, pourquoi ne pas aussi développer des systèmes cohérents à l’intérieur du réseau cyclable de Montréal? Un réseau bien fait, balisé, bien indiqué et – pourquoi pas – un site web et une application pour téléphone intelligent afin de rendre le tout plus facile. Il existe plusieurs pistes cyclables à Montréal dont plusieurs cyclistes ignorent tout simplement l’existence. On ajouterait même qu’on pourrait déneiger ces pistes l’hiver, mais ça causerait du grabuge.
Récemment, un projet pilote d’auto électrique sans réservation a été lancé. C’est probablement un pas dans la bonne direction. Ne serait-il pas intéressant de favoriser aussi la piétonnisation d’autres rues (St-Denis entre René-Lévesque et Sherbrooke ou Sainte-Catherine entre Berri et Papineau – ces deux artères sont fermées à peu près tout l’été de toute façon)?
Dans les autres villes du Québec, n’y a-t-il pas moyen de faire évoluer à la fois le transport en commun et le transport actif de façon intelligente? Si l’on n’offre pas d’alternative viable à la voiture, les gens ne la délaisseront pas volontairement. Il faudrait aussi voir comment rendre plus fonctionnels et moins coûteux les réseaux de transports interurbains, actuellement soumis à des oligopoles régionaux, mais il s’agit là d’un débat de plus longue portée.
4. Freiner les dépenses de santé
Si on sort de la croissance, on sort aussi de la croissance des revenus de l’État. On ne peut alors se permettre de voir les dépenses de santé exploser, comme elles le font partout dans le monde, tant au Québec, qu’en France et aux États-Unis. Mais, comment réduire les coûts et où?
Du côté du Québec, l’IRIS et d’autres ont proposé depuis longtemps de s’attaquer aux coûts de médicaments, les dépenses de santé qui augmentent le plus rapidement. Un régime universel d’assurance médicament est-il une bonne idée? Sûrement. Un acteur public dans le secteur du médicament comme le proposent Québec solidaire et Option nationale? Probablement une bonne idée, elle devrait certainement être étudiée plus avant.
Mais soyons clairs, même si les coûts des médicaments augmentent vite, ce ne sont pas les principaux coûts de la santé. Les médecins et les hôpitaux, voilà ce qui coûte le plus cher. Les gens d’Alternatives économiques s’attaquent à un important tabou : le salaire des médecins. Ne serait-il pas temps au Québec de faire de même? Chose certaine, les avantages et inconvénients du paiement à l’acte devraient être bien soupesés et nous devrions étudier sérieusement leurs alternatives.
Sans surprise, Alternatives économiques parle de prévention. Tout le monde est pour la vertu, c’est bien le problème. Au Québec, combien de gouvernements nous ont annoncé le virage « prévention »? Mais pour réellement prévenir les maladies il faut agir dans plusieurs secteurs où le gouvernement refuse généralement d’être trop présent : la production de biens, l’agriculture industrielle et ses effets nocifs, la qualité des logements, etc.
5. Briser les monopoles et oligopoles
Ce qu’Alternatives économiques appelle les « rentes de situation » c’est la capacité de certains gros joueurs d’imposer leurs prix aux consommateurs par l’absence de concurrence. En France, on nous parle du monopole dans le secteur de la distribution. On pourrait parler de la même chose au Québec, en particulier dans le secteur alimentaire.
Toutefois, les oligopole qui font le plus mal au Québec sont probablement ceux des secteurs des télécommunications et bancaire. Quelques gros joueurs encaissent des sommes imposantes aux dépens des petits consommateurs. Du côté de la téléphonie le Canada est l’un des lieux où les forfaits de téléphone cellulaire sont les plus chers au monde. En matière de cablôdistribution, on parle au Québec de monopoles régionaux privés (Cogeco et Vidéotron), soit la pire des options : un joueur unique qui a pour seul but de faire de l’argent et des consommateurs captifs.
Du côté bancaire, il serait trop long ici de faire la liste des nombreux désavantages de l’oligopole qui sévit dans ce secteur : des frais bancaires en constante augmentation, des accords sur les frais de services inter-guichet, une pression constante pour l’augmentation du crédit, une influence déterminante dans les politique économiques, des taux d’intérêt prohibitifs sur les cartes de crédits, etc. Cela dit, les alternatives à cet oligopole ne sont pas évidentes à trouver, ni à mettre en place dans de brefs délais.
Dans deuxième billet, nous parlerons des biens de consommation, du temps de travail, des inégalités, de fiscalité et de fonction publique.