Construire plus de logements par le privé ne règlera pas la crise, mais pourrait l’aggraver
12 juin 2025
Montréal, 12 juin 2025 – La construction massive de logements neufs par le privé ne remédiera pas à la crise de l’abordabilité et peut même nuire aux ménages moins nantis qui souhaitent accéder à un logement qui répond à leurs besoins. C’est la conclusion à laquelle parvient l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) qui publie aujourd’hui une nouvelle étude sur les lacunes de l’approche actuelle des gouvernements en matière d’accès à l’habitation au Canada.
« Quand bien même on réussissait à construire les 3,5 millions d’unités nécessaires selon la SCHL pour remédier à la crise, sans un meilleur contrôle des loyers et sans logements sociaux, il sera impossible de rétablir l’abordabilité dans le secteur de l’habitation au Canada. Une politique de l’habitation qui se fonde uniquement sur la construction de nouvelles unités, sans égard aux besoins réels des ménages, est vouée à l’échec », soutient Hélène Bélanger, chercheuse associée à l’IRIS et co-autrice de l’étude.
Un mythe qui persiste
Selon une croyance largement répandue chez les élu·e·s – qui est au cœur de plusieurs politiques publiques en matière d’habitation –, la construction massive de nouveaux logements pour les ménages plus fortunés solutionnerait automatiquement la crise de la disponibilité et de l’abordabilité pour les ménages à faible revenu qui pourraient désormais occuper les logements laissés vacants par les autres ménages.
« Appelée parfois “filtrage” ou “effet de cascade”, cette théorie repose sur des postulats contestables et simplifie à outrance ce qui se passe réellement sur le marché locatif, ce qui plombe nos chances de résoudre réellement la crise », explique la chercheuse.
Les données disponibles montrent en effet que l’accession à la propriété ne signifie pas nécessairement la libération de logements existants. Selon la SCHL, un ménage canadien sur cinq (28 %) vivait avec sa famille ou des ami·e·s, sans payer de loyer au moment d’acheter sa propriété. En Ontario et en Colombie-Britannique, près de 15 % des propriétaires étaient considérés comme des multipropriétaires en 2022. Rappelons enfin que dans certaines provinces canadiennes, c’est près de 35 % des propriétés qui sont retirées du marché des résidences principales par des investisseurs pour la location à court terme.
« Nos gouvernements dépensent des sommes monumentales année après année pour soutenir la construction de logements haut de gamme. Pourquoi ne pas soutenir exclusivement les projets qui visent la construction de logements pour les populations qui en ont le plus besoin dans l’immédiat ? », questionne Yaya Baumann, chercheur associé à l’IRIS et co-auteur de l’étude.
Construction massive de logements neufs: des effets indésirables
Depuis les années 1980, la construction massive de logements neufs – sans égard aux besoins réels des ménages – a parfois eu des effets pervers, particulièrement dans les grandes métropoles.
« Dans le secteur de Parc-Extension à Montréal, l’aménagement d’un nouveau campus universitaire et la construction de nouveaux logements qui en découlent ont incité les propriétaires à augmenter leurs loyers, sans nécessairement procéder à des rénovations », explique Yaya Baumann
Pour trouver des logements qui répondent à leurs besoins, les ménages moins nantis doivent alors s’éloigner des centres urbains. Ce déplacement vers les périphéries s’observe, en 2021, par une corrélation positive entre les secteurs où l’on retrouve une forte proportion de ménages à faibles revenus et ceux où une part importante de la population effectue des trajets domicile-travail de 60 minutes ou plus.
« Nos politiques d’habitation ne doivent pas faire l’économie de la question du “droit à la ville” : pour répondre aux besoins des ménages moins nantis, il ne faut pas uniquement leur offrir du logement “abordable”, mais aussi un logement à proximité des services essentiels », soutient le chercheur.
Pas d’abordabilité sans contrôle des loyers et sans logements sociaux
« Un problème complexe ne peut être résolu par une solution simple : oui il faut construire plus, mais surtout il faut construire mieux, ce qui veut dire répondre aux besoins des ménages. Enfin, rétablir l’abordabilité dans le secteur de l’habitation est difficile à imaginer sans contrôle des loyers, qui est la meilleure manière de protéger les locataires contre les hausses abusives de loyers», rappelle Hélène Bélanger.
En effet, le loyer moyen qu’un ou une propriétaire peut espérer demander pour un logement est nettement plus élevé que le loyer moyen réel des logements existants, qu’ils soient occupés ou non. Par exemple, ce prix du marché était 59% plus élevé que le loyer moyen de l’ensemble des logements en 2023 à Montréal, une proportion qui atteignait 23% pour la ville de Québec.