Le filtrage comme mirage de solution à la crise du logement : analyse des limites de ses effets
12 juin 2025
La crise du logement qui frappe le Québec depuis au moins le début des années 2000 ne montre aucun signe de ralentissement. À en croire le milieu du développement immobilier résidentiel, mais aussi un nombre croissant d’élu·e·s, cette crise de la disponibilité et de l’abordabilité résulterait presque exclusivement d’une offre insuffisante. Sortir de la crise passerait – toujours selon ces intervenant·e·s – par la construction massive de logements (sans égard à la clientèle visée), ce qui amènerait une baisse générale des prix pour la plupart des ménages grâce à un processus de filtrage. Conformément à dernier, les logements tendraient à perdre en qualité et en valeur avec le temps, les rendant plus accessibles aux ménages dont les revenus sont moins élevés que ceux des ménages qui les occupaient précédemment. Malgré l’importante promotion du filtrage, la portée réelle d’une politique de l’habitation basée sur ce principe est incertaine. À l’aide de statistiques sur différentes dimensions de la population et du logement, nous mettons en évidence plusieurs de ses limites – certaines processuelles, d’autres contextuelles – qui expliquent pourquoi le filtrage ne peut réellement bénéficier aux ménages moins aisés, voire aux ménages vulnérables.
Table des matières
Introduction
La crise du logement qui frappe le Québec depuis au moins le début des années 2000 ne montre aucun signe de ralentissement. Elle se manifeste notamment par une hausse des loyers sans précédent, une aggravation des problèmes de salubrité, l’explosion du nombre d’expulsions, une montée de l’itinérance et une pénurie – non pas de logements en soi, comme l’ont démontré Gaudreau et Cliche1 – mais de logements répondant aux besoins des ménages à faible et modeste revenu. En revanche, à en croire le milieu des affaires en général (et plus particulièrement le milieu du développement immobilier résidentiel), mais aussi un nombre croissant d’élu·e·s, cette crise résulterait presque exclusivement d’une offre insuffisante. Leur discours est appuyé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL)2 qui estime qu’il faudrait construire 3,5 millions de nouvelles unités d’ici 2030 – 620 000 au Québec – pour rétablir l’abordabilité dans le secteur de l’habitation. En somme, le règlement de la crise de la disponibilité et de l’abordabilité passerait par la construction massive de logements, sans égard à la clientèle visée. L’abondance de l’offre amènerait une baisse générale des prix et déclencherait une multiplication de chaînes d’inoccupation (vacancy chains) permettant d’assurer l’abordabilité pour la plupart des ménages grâce à un processus de filtrage (filtering) ou effet de cascade. Il ne serait alors pas nécessaire de construire massivement du logement social comme le réclament entre autres les groupes de défense des locataires.
La théorie du filtrage en habitation s’est développée durant les années 1950 et 1960, notamment à partir des travaux fondateurs de l’économiste Ratcliff 3, et de l’observation empirique que les nouveaux logements construits tendent à diminuer de qualité et de valeur avec le temps, ce qui rend les logements, une fois libérés de leurs occupant·e·s, (plus) accessibles pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à ceux des ménages qui les occupaient précédemment. Ce processus « naturel », « incontrôlable » à la base, et dont le résultat final est le logement inadéquat ou insalubre, ne peut donc pas être forcé pour répondre de façon adéquate aux besoins des ménages à faible ou modeste revenu. Faisant fi de ces observations, c’est sur la base de travaux reconnus en économétrie, dont ceux de Rosenthal4, qui présentent des modèles mesurant les effets des nouvelles constructions et du passage du temps sur la valeur des logements (sans égard à leur condition), que l’on s’appuie pour faire la promotion du filtrage comme solution pour répondre aux besoins des ménages à faible ou modeste revenu, durement touchés par la crise.
La recherche de solutions face à la crise du logement qui perdure a ainsi, en quelque sorte, ramené à l’avant-plan la métaphore du ruissellement ou l’« économie du ruissellement » (trickle down economy). Cette métaphore5 aurait fait son apparition dans les années 1930, aux États-Unis, en réaction aux politiques fiscales favorables aux ménages plus riches sous prétexte que cela leur permettrait de consommer davantage et d’investir, ce qui serait profitable pour les ménages plus pauvres, notamment à travers la création d’emplois. Or, une étude récente de la London School of Economics6 démontre plutôt, comme d’autres études, que l’enrichissement des plus riches ne fait qu’accroître les inégalités. On peut alors s’interroger sur la portée réelle d’une politique de l’habitation basée sur un principe similaire, le filtrage, où la construction massive de logements pour les ménages plus fortunés7 solutionnerait une crise de la disponibilité et de l’abordabilité pour les ménages à faible ou modeste revenu durement touchés.
1. Des politiques d’habitation basées sur le principe du filtrage
Dans sa plus simple acceptation, le filtrage, lorsqu’il est question du marché de l’habitation, relève d’un double mécanisme : la dépréciation de la valeur des logements dans le temps d’un côté ; l’ajustement résidentiel de la part des ménages de l’autre.
La dépréciation des logements résulte généralement d’une dégradation du bâti – voire de son obsolescence et de celle des infrastructures – ou de la transformation du quartier, rendant ces logements plus accessibles (éventuellement) à des ménages moins fortunés. Or, pour provoquer le processus de filtrage, la dépréciation de la valeur des logements est insuffisante. De nouvelles unités doivent être construites pour générer ce que l’on appelle des chaînes d’inoccupation, permettre ainsi à des ménages généralement plus aisés d’accéder à des logements de meilleure qualité, et libérer du même coup le logement qu’ils occupaient et ainsi de suite. Ces chaînes d’inoccupation permettraient à terme – du moins en théorie – à la plupart des ménages à faible ou modeste revenu de se loger sur le marché privé8 de l’habitation.
L’ajustement résidentiel se voit souvent associé à des changements dans la vie du ménage9. Il suppose, par exemple, qu’un ou une jeune adulte qui amorce son parcours résidentiel quitte le nid familial (ou une première colocation) pour former un nouveau ménage qui se logera, dans un premier temps, sur le marché locatif privé. La formation d’un couple entraîne alors un ajustement résidentiel qui se traduit par la recherche d’un nouvel appartement, voire, dans le cas des ménages plus aisés, par l’achat d’un petit condo. Avec l’arrivée d’un·e premier ou première enfant, le couple envisage l’achat d’une première maison, puis, avec l’agrandissement potentiel de la famille, celui d’une maison plus spacieuse. Enfin, une fois les enfants parti·e·s, le couple vieillissant quitte la maison pour un appartement plus petit. Ainsi le cycle se reproduit, entraînant une nouvelle chaîne d’inoccupation.
Si le filtrage constitue aujourd’hui l’un des principes fédérateurs dans la formulation des politiques publiques en matière d’habitation au sein des économies de marché libérales, le concept émerge d’abord dans les années 1920, au sein des études urbaines. Il sert alors à décrire et à expliquer le processus de croissance urbaine propre à la ville industrielle, ainsi que les dynamiques de transformation des quartiers10. Il permet notamment de décrire le processus par lequel les quartiers centraux des grandes métropoles américaines sont abandonnés par les populations plus aisées au profit de nouveaux et nouvelles migrant·e·s moins aisés de la région ou de l’étranger. Le concept permet aussi de décrire les impacts sociaux des politiques de développement des banlieues de l’après-guerre qui favorisent l’exode des ménages des classes moyennes vers les nouveaux développements en périphérie, lequel contribue à la paupérisation des quartiers centraux. Dans les deux cas, le filtrage rend compte non seulement des dynamiques historiques de croissance urbaine de la ville industrielle, mais aussi de leurs impacts sur l’étalement urbain et la ségrégation (ou concentration) de la population selon le statut socioéconomique ou ethnoculturel. Il ne faut donc pas s’étonner que dans les contextes où les politiques en matière d’habitation se basent sur le principe du filtrage pour donner aux ménages à faible ou modeste revenu accès à un logement abordable, comme c’est le cas aux États-Unis et au Canada, ces ménages se retrouvent presque toujours spatialement séparés des ménages des classes moyennes et supérieures.
Ces premiers travaux, bien que produits à une époque très différente, exerceront une influence déterminante sur les modèles développés ultérieurement. Ils sont notamment à la base de modèles développés par les économistes néoclassiques visant à mesurer les impacts des chaînes d’inoccupation sur le marché de l’habitation dont il a été fait mention plus tôt11. Les politiques publiques basées sur les principes du marché telles que celles promues par la SCHL s’inspirent à leur tour de ces modèles, qui demeurent des versions simplifiées des dynamiques observées. Plusieurs travaux vont tenter, par exemple, de modéliser les mécanismes par lesquels la construction de nouveaux logements destinés aux ménages plus aisés entraîne des chaînes d’inoccupation. Même si ces modèles tendent à démontrer qu’un marché de l’habitation dynamique permet généralement au filtrage de fonctionner, une des limites souvent soulevées dans la littérature tient à la simplification du processus. En effet, ces modèles font fréquemment abstraction de la dimension spatiale du filtrage, de son impact sur la taudification de certains quartiers, du fait qu’il peut conduire à des processus de ségrégation sociospatiale, ainsi que du contexte local ou régional particulier dans lequel il se déploie.
De nombreuses interrogations demeurent quant à la capacité d’une politique d’habitation fondée sur la construction de logements destinés aux ménages aisés à réellement bénéficier aux ménages moins nantis, voire aux ménages vulnérables. Dans cette perspective, nous souhaitons discuter dans la suite de cette note de trois prémisses sur lesquelles se base le modèle du filtrage comme le propose la SCHL. La première établit une corrélation (un rapport réciproque) entre le revenu des ménages aisés et la valeur des logements consommés, corrélation qui se maintient dans le temps. Elle présume qu’il y aura une constante recherche d’amélioration résidentielle (conditions de logement, mode de tenure, quartier, etc.), ce qui alimente leur mobilité résidentielle et la constitution de chaînes d’inoccupation. La deuxième prémisse suppose une corrélation entre la qualité des logements et leur valeur, impliquant une diminution rapide des prix au fil du temps. Enfin, la dernière prémisse, qui englobe les deux premières, suppose un marché en équilibre, où la localisation résidentielle résulte d’un arbitrage entre le revenu et la qualité du logement, plutôt que des choix et préférences résidentielles des ménages, de facteurs exogènes comme l’immigration ou des dynamiques du marché de l’emploi12. Par ailleurs, comme en témoignent les nombreuses réductions de l’investissement public dans le logement social, la promotion du filtrage va de pair avec un désengagement des trois paliers de gouvernement au Canada au profit d’une délégation de la gestion des enjeux liés au logement au secteur privé. Mais, en ciblant presque exclusivement les ménages aisés, une politique de l’habitation fondée sur le principe du filtrage ne peut pas répondre, sur le temps court, aux besoins des ménages plus vulnérables face aux aléas du marché privé du logement. Sur le temps long, l’adoption d’une telle politique pour la fourniture de logements accessibles financièrement, adéquats quant à leur état d’entretien et de salubrité et répondant aux besoins des ménages à faible ou modeste revenu est vouée, selon nous, à l’échec.
2. Une double mobilité des ménages en panne
Le succès du filtrage repose en grande partie sur l’idée que des chaînes d’inoccupation sont générées lorsque des ménages aisés quittent leur logement pour emménager dans des logements nouvellement construits. Leur ancien logement serait ainsi libéré et, moyennant une dépréciation « naturelle » liée au passage du temps, deviendrait accessible à un ménage moins aisé.
Or, plusieurs études sur les chaînes d’inoccupation viennent nuancer ce modèle. Deux recherches menées respectivement aux États-Unis13 et au Danemark14 concluent notamment que les chaînes d’inoccupation générées par la construction de logements destinés aux ménages aisés atteignent rarement les ménages à faible ou modeste revenu. Ces études soulignent également que, pour plusieurs ménages, l’ajustement résidentiel se traduit par une mobilité essentiellement horizontale, plutôt que marquée par une ascension progressive vers des logements de qualité supérieure. En d’autres mots, les ménages ont tendance, à l’échelle d’une vie, à demeurer dans le même sous-marché. L’étude menée aux États-Unis nuance en particulier la capacité des nouveaux projets domiciliaires en banlieue à générer des chaînes d’inoccupation qui percolent jusqu’aux quartiers défavorisés du centre.
La logique derrière le concept de chaîne d’inoccupation repose, d’une part, sur une vision normative du cycle de vie résidentiel. Cette dernière suppose que les ménages seraient constamment à la recherche d’un meilleur chez-soi : à savoir, du logement qui répond le mieux à leurs besoins à chaque stade de leur vie, ou qui agit comme symbole matériel de leur ascension sociale. Cet ajustement résidentiel se traduit généralement par la décision de modifier son cadre de vie, que ce soit par exemple en rénovant son logement actuel ou en déménageant dans un nouveau domicile qui répond mieux à ses besoins. Ce modèle – il convient de le souligner – suppose aussi que les conditions, en matière de prix, de taille, de disponibilité ou de localisation, par exemple – soient réunies pour que les ménages puissent répondre à leurs besoins.
Si ce modèle semble – en théorie – fonctionner, les données empiriques en révèlent certaines limites. Tout d’abord, il s’appuie sur un modèle simplifié du cycle de vie résidentiel basé sur la famille nucléaire et l’idéologie de l’accès à la propriété. Or, la composition des ménages québécois a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. C’est du moins ce que suggèrent les graphiques 1 et 2, qui illustrent respectivement l’évolution de la part des ménages familiaux dans l’ensemble des ménages privés et celle du nombre de personnes par ménage. On y note un déclin important des différentes formes de ménages familiaux à l’échelle de la province. À titre d’exemple, alors qu’en 1951 près de 92 % des ménages étaient composés d’une famille, cette proportion était tombée à un peu plus de 61 % en 2021. De manière similaire, on remarque une hausse marquée du nombre de personnes vivant seules durant la même période. Par ailleurs, comme l’illustre le graphique 3, les couples avec enfant(s) ne constituent plus la majorité des ménages serait même inférieur aux données présentées ci-dessous accédant à la propriété – une proportion qui semble d’ailleurs être en déclin dans l’ensemble des ménages au Québec. Inversement, les personnes seules représentent une part croissante des propriétaires accédant·e·s. Dans la grande région de Montréal, cette proportion atteignait 35 % en 2022, contre seulement 21 % chez les propriétaires qui n’étaient pas considérés comme des accédant·e·s.
Cette évolution de la composition des ménages et du profil des accédant·e·s ne remet pas nécessairement en cause l’existence de chaînes d’inoccupation, mais elle invite à s’interroger sur les caractéristiques des logements libérés et leur capacité à répondre aux besoins des ménages à faible ou modeste revenu – en particulier lorsqu’il s’agit de personnes seules accédant à la propriété et du type de logement libéré. En effet, bien que le nombre moyen de personnes par ménage tend à diminuer à l’échelle de la province, certains secteurs continuent d’accueillir des familles de grande taille15. On peut notamment penser à certains quartiers d’immigration comme Chomedey à Laval, ou encore Parc-Extension, Saint-Michel ou Saint-Laurent à Montréal. Cette question est d’autant plus centrale que les taux d’inoccupation des logements locatifs comportant plusieurs chambres à coucher sont, bon an mal an, presque systématiquement plus faibles que les taux pour les studios et les petits appartements. C’est le cas, par exemple, pour la grande région de Montréal, où le taux d’inoccupation pour les studios était de ٢,١ % en 202316, contre 1,3 % pour les logements de trois chambres à coucher ou plus, et de 6,0 % en 2016, contre 3,3 %17.
Les études sur le filtrage – et plus particulièrement celles portant sur les chaînes d’inoccupation – s’accordent sur un point : le succès du processus repose sur une double mobilité des ménages. Pour que le filtrage s’opère, il faut non seulement que les ménages déménagent relativement fréquemment, mais aussi qu’ils finissent par changer de mode de tenure. Le manque de finesse des données disponibles au Canada sur la mobilité des ménages ne nous permet toutefois pas de tirer des conclusions satisfaisantes quant aux trajectoires résidentielles des ménages québécois. Il est notamment impossible de suivre ces ménages pour déterminer où et dans quel type de logement ils se sont installés après un déménagement. Il devient alors difficile de savoir si ces ménages ont amélioré leur cadre de vie résidentiel en déménageant. Ce que l’on sait à partir des données des recensements18, c’est que la mobilité des ménages québécois est comparable à celle des ménages canadiens et américains. Il est cependant important de noter que cette mobilité est en déclin depuis quelques années un peu partout au Québec, ce qui pourrait avoir un impact sur l’étendue de la chaîne d’inoccupation (le nombre de ménages bénéficiant de la chaîne) et son efficacité.
Certaines données nous permettent néanmoins de souligner des limites importantes à la capacité des chaînes d’inoccupation d’atteindre les ménages moins aisés – et de leur bénéficier, que ce soit en facilitant leur changement de mode de tenure, notamment par l’accès à la propriété privée, ou en améliorant leur cadre de vie résidentiel.
L’accès à la propriété est encore aujourd’hui au cœur de notre système de logement ; un système qui repose en partie sur le principe du filtrage. Grâce à différents programmes et politiques, la proportion de ménages propriétaires a progressé de manière continue depuis les années 1970. Or, cette proportion est en baisse depuis 2016 – une première en 50 ans.
Deux enjeux retiennent notre attention : d’une part, l’achat d’une propriété par des ménages n’ayant pas passé par le marché locatif privé ; d’autre part, la question des multipropriétaires, c’est-à-dire des individus, ménages ou entreprises détenant plusieurs biens immobiliers résidentiels. Là encore, les données disponibles sont limitées. Une enquête menée par la SCHL19 en 2024 auprès de 3 866 emprunteurs et emprunteuses hypothécaires, dont 10 % sont des accédant·e·s, révèle toutefois que plus d’un ménage canadien sur cinq (28 %) vivait avec sa famille ou des ami·e·s, sans payer de loyer au moment d’acheter sa propriété. Autrement dit, ce serait un ménage sur cinq qui ne libère pas de logement en accédant pour la première fois à la propriété20. Sur la question des multipropriétaires, les données du Programme de la statistique du logement canadien – qui ne couvre malheureusement pas le Québec – montrent que les multipropriétaires accaparent une part non négligeable du marché immobilier dans les provinces couvertes par l’étude21. En Ontario et en Colombie-Britannique, respectivement 16 % et 15 % des particuliers et particulières propriétaires étaient considérés comme des multipropriétaires en 2022. Ces derniers possédaient alors 31 % et 29 % du parc immobilier de leur province. Par ailleurs, ces mêmes données révèlent qu’un nombre important de propriétés résidentielles sont retirées du marché des résidences principales par des investisseurs et investisseuses en immobilier (graphique 5).
En Ontario, par exemple, près d’une propriété sur quatre était considérée comme une propriété d’investissement en 2022. À l’extérieur des grands centres, les marchés des résidences secondaires et de la location à court terme contribuent également à ce phénomène. Bien que les données sur ce sujet soient encore une fois rares, une étude commandée par la Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine en 202122 révélait que près d’une maison sur cinq était détenue par un ménage dont la résidence principale se trouvait à l’extérieur de l’archipel, et qu’une sur dix avait été achetée avec l’objectif de faire de la location à court terme. Cette concentration de la propriété dans les mains d’une faible proportion de propriétaires ainsi que le retrait de logements du marché par des investisseurs et investisseuses non occupant·e·s ou des ménages cherchant à profiter d’une résidence de villégiature constituent un autre frein majeur à l’accès à la propriété – et, par conséquent, à la création de chaînes d’inoccupation.
Les données disponibles sur le marché locatif privé font aussi état d’un contexte peu favorable à la capacité des ménages de profiter des chaînes d’inoccupation. Dans ce secteur, ces chaînes – qui dépendent du fait que des ménages quittent leur logement et que d’autres y emménagent – s’accompagnent de hausses de loyer importantes qui limitent leur capacité à garantir qu’une partie du parc locatif reste accessible aux ménages à faible ou modeste revenu. En l’absence de mesures de contrôle des loyers, ces hausses continueront de mettre à mal l’abordabilité du secteur locatif, d’autant plus qu’un récent sondage de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ)23 révélait que 77 % des propriétaires jugeaient leurs revenus locatifs insuffisants. Comme on peut le voir dans le graphique 6, la valeur moyenne marchande des logements locatifs en 2023 – c’est-à-dire le loyer moyen qu’un ou une propriétaire peut espérer demander à un moment donné en mettant son logement sur le marché – est nettement plus élevée que le loyer moyen calculé pour l’ensemble des logements, qu’ils soient occupés ou non. Même si cette mesure inclut les logements inoccupés, nous considérons qu’elle constitue une estimation raisonnable – voire conservatrice ou prudente – du loyer moyen des logements occupés qui, en réalité, serait inférieur au loyer moyen des logements inoccupés. Cette évolution à la hausse des loyers en partie liée aux dynamiques de mobilité résidentielle pourrait par ailleurs contribuer à expliquer le déclin de la mobilité des ménages observé depuis le recensement de 2016. En effet, si la mobilité des ménages sur 5 ans est demeurée relativement stable entre 2006 et 2016, avec un peu plus de 20 % des ménages ayant changé de logement sans quitter leur municipalité, cette proportion était tombée à 16 % en 202124 – des données corroborées par les groupes sur le terrain.
Enfin, une dernière limite concerne l’évolution des revenus des ménages. La plupart des études s’accordent à dire que, pour que le filtrage fonctionne, les revenus de l’ensemble des catégories socioéconomiques doivent augmenter plus rapidement que les coûts du logement dans tous les segments de la population – à moins que les ménages n’acceptent de consacrer une part croissante de leur revenu à se loger, ce qui n’est généralement pas le cas. Or, les données récentes montrent que les prix des propriétés, tout comme les loyers sur le marché locatif, ont augmenté de façon considérable ces dernières années.
Depuis 2006, le loyer moyen ainsi que le prix des maisons et des copropriétés augmentent plus rapidement que le revenu moyen des ménages (graphiques 7 et 8), à l’exception de la période 2019-2021 qui a vu une hausse marquée du revenu moyen due à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) mise en place par le gouvernement fédéral en appui aux ménages durant la pandémie de COVID-19. Malgré tout, l’écart continue de se creuser, un phénomène encore plus marqué pour les ménages locataires les plus pauvres. Les groupes de défense des locataires, comme le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et les comités logement locaux, sont d’ailleurs unanimes, la situation des ménages locataires s’est considérablement aggravée partout au Québec. Comme souligné plus tôt (graphique 6), les loyers moyens disponibles sur le marché sont en réalité beaucoup plus élevés. À Montréal, par exemple, un ménage à la recherche d’un appartement en 2023 devait s’attendre, en moyenne, à payer 1646 $ par mois alors que le loyer moyen pour l’ensemble des logements occupés et disponibles était de 1036 $25 par mois. Cette situation peut laisser croire que même dans les secteurs où le filtrage fonctionne, cela se traduit par un alourdissement de la charge liée au coût du logement.
3. Dépréciation inégale dans le temps et l’espace : filtrage vers le haut ou vers le bas ?
Pour la SCHL26, le filtrage repose en grande partie sur la dépréciation rapide des logements. « Au fil du temps », nous dit l’organisme fédéral, « les logements neufs d’hier sont devenus les logements abordables d’aujourd’hui. » Selon ses recherches, les loyers du marché locatif privé régulier auraient tendance à diminuer de 5 ٪ dans les quatre premières années suivant la construction d’un immeuble, une baisse qui atteint presque 20 ٪ après 20 ans. C’est cette dépréciation qui permettrait d’assurer l’abordabilité des logements vieillissants pour les ménages à faible et modeste revenu.
La SCHL s’appuie principalement sur deux études27,28 menées aux États-Unis pour étayer ses arguments. S’il est vrai que, dans certains contextes – notamment celui, désormais révolu, de la croissance économique rapide de l’après-guerre – et sous certaines conditions, la valeur des logements tend effectivement à diminuer avec le temps, plusieurs recherches empiriques mettent en évidence les limites de cette hypothèse, en particulier lorsqu’elle est analysée à l’échelle locale. Une étude comparative29 portant sur plusieurs métropoles étasuniennes montre que, si le filtrage semble avoir fonctionné entre les années 1970 et 2010 dans certaines grandes villes, la tendance s’est depuis inversée. Durant cette période, des régions métropolitaines comme celles de San Francisco (Californie) et Seattle (Washington) ont plutôt connu des taux de filtrage inversé – en d’autres mots, une hausse des loyers – de 33 % et près de 30 %. Le filtrage inversé (ou vers le haut) signifie que les logements tendent à gagner en qualité (parfois) et en valeur avec le temps. Ce gain peut résulter, entre autres, de processus de gentrification, facilités ou non par des opérations de revitalisation ou de redéveloppement. De manière similaire, une étude canadienne30 met en lumière le fait que les dynamiques de filtrage se sont inversées dans les grandes métropoles du pays depuis les années 1980. À l’échelle des villes, tant la recherche sur les métropoles étasuniennes que celle sur les métropoles canadiennes soulignent par ailleurs la présence de dynamiques de filtrage inversé – associées à des processus de gentrification – dans les secteurs centraux de plusieurs grandes villes.
À l’instar de ces recherches, nos analyses réalisées à partir des données du recensement canadien de 2021 brossent un portrait plus nuancé que celui de la SCHL quant au lien entre l’âge et la valeur des logements. Pour ce faire, nous avons examiné, à l’échelle des secteurs de recensement, la relation entre, d’une part, l’âge des immeubles – mesuré par la proportion d’immeubles construits avant 1980 – et, d’autre part, la valeur médiane des logements occupés et celle des frais de logement médians payés par les locataires. Cette mesure, quoique imparfaite puisqu’elle ne prend pas en considération l’offre accrue de logements neufs sur le marché, permet néanmoins d’obtenir une image générale du lien entre l’âge et la valeur des logements.
À l’échelle agrégée de la grande région de Montréal, sans considération pour les variations locales, les données révèlent une faible corrélation inverse – un rapport réciproque négatif – entre l’âge des immeubles et les frais de logements payés par les locataires. Pour le dire plus simplement, les secteurs de recensement où la proportion de vieux logements est élevée tendent à être associés à des loyers plus bas, ce qui semble en partie confirmer les analyses de la SCHL. À l’inverse, on observe une faible corrélation positive entre l’âge des logements et leur valeur : à l’échelle de la métropole, la valeur des immeubles est généralement plus élevée dans les secteurs de recensement avec une forte proportion de vieux logements, ce qui semble confirmer les recherches empiriques menées sur les grandes métropoles canadiennes et étasuniennes mentionnées plus tôt.
À une échelle plus fine, l’analyse de ces variables révèle toutefois un autre portrait pour les quartiers centraux de la ville et ceux plus aisés de l’ouest de l’île. Dans ces secteurs, la forte proportion d’immeubles construits avant les années 1980 est associée à des frais de logement élevés pour les ménages locataires (secteurs en rouge foncé sur la figure1a), ainsi qu’à des valeurs immobilières élevées (secteurs en rouge foncé sur la figure 1b). Ces résultats montrent bien que l’attractivité de certains secteurs de l’agglomération peut produire des dynamiques de filtrage inversé – qu’elles soient associées ou non à des processus de gentrification ou à la rénovation du bâti plus ancien – ralentissant, stoppant ou inversant une possible dépréciation des logements dans le temps.
Figure 1a : Corrélation spatiale entre la proportion d’immeubles construits avant 1980 et les frais de logement pour les locataires, 2021 |
Figure 1b : Corrélation spatiale entre la proportion d’immeubles construits avant 1980 et la valeur des logements occupés, 2021 |
* Le I de Moran local bivarié est un outil statistique qui permet de détecter des zones géographiques où deux variables différentes (par exemple, les frais de logement pour les locataires et la proportion de vieux immeubles) sont liées localement. Il sert, par exemple, à repérer des secteurs où une variable a des valeurs élevées et où la variable voisine (dans les secteurs alentours) a aussi des valeurs élevées. En d’autres mots : il nous donne des informations sur les secteurs où il existe des regroupements significatifs entre deux phénomènes différents, en tenant compte de leur localisation.
Source : Statistique Canada, Recensement de la population 2021, 10 janvier 2025.
Ce portrait plus nuancé invite alors à s’interroger sur le droit à la centralité des ménages à faible et modeste revenu. En effet, si la valeur des propriétés et les loyers augmentent indépendamment – ou positivement – avec l’âge des logements dans les quartiers centraux (ou autres secteurs attractifs de la ville-centre), et si le filtrage – du moins sur le plan de la dépréciation – ne s’opère réellement qu’en périphérie (secteurs en rouge pâle sur les figures 1a et 1b), les ménages moins aisés risquent d’être sans cesse repoussés vers la périphérie.
Encore une fois, à l’échelle agrégée de la grande région de Montréal et sans considération pour les variations locales, ce déplacement vers les périphéries s’observe, en 2021, par une corrélation positive entre les secteurs où l’on retrouve une forte proportion de ménages appartenant à la moitié inférieure de la répartition des revenus après impôt31 et ceux où une part importante de la population effectue des trajets domicile-travail de 60 minutes ou plus. Comme l’illustre la figure 2 – qui compare cette relation en 2016 et en 2021, une relation positive entre une grande proportion de ménages à faible revenu et une petite proportion de la population ayant des temps de navettage élevés était encore observable dans les secteurs centraux de l’île en 2016. Or, en 2021, cette corrélation s’était considérablement atténuée, ce qui suggère que les ménages moins aisés sont de plus en plus repoussés vers les périphéries. Ce phénomène, qui inquiète depuis longtemps les groupes de défense des locataires, entraîne une dégradation de l’accès de ces ménages à la centralité et aux services qui y sont associés, tels que les transports et les centres d’emplois.
Figure 2
Corrélation spatiale entre la proportion de ménages dont les revenus après impôt sont dans les deux derniers déciles et la proportion de la population dont la durée du trajet entre le domicile et le lieu de travail est supérieure à 60 minutes pour les recensements de 2016 (gauche) et 2021 (droite)
Source : Statistique Canada, Recensement de la population 2021, 10 janvier 2025.
La SCHL soutient également que la construction de nouveaux logements peut avoir un effet significatif sur l’abordabilité des unités situées à proximité. L’idée défendue est qu’en augmentant l’offre dans un secteur, les propriétaires souhaitant s’adapter à la concurrence auraient tendance à geler, voire à réduire leurs loyers pour maintenir l’occupation dans leurs logements vieillissants. Or les recherches portant sur la requalification des friches à travers des politiques de densification résidentielle et de vastes projets de réaménagement urbain révèlent les limites de cette affirmation. Ces études mettent plutôt en évidence l’effet d’entraînement (spill over effect) de ces projets multifonctionnels sur la hausse des loyers des logements situés à proximité. Dans une étude sur la requalification du secteur industriel de Parc-Extension32 – un quartier historiquement abordable pour les ménages locataires vulnérables –, une équipe de recherche du Collectif de Recherche et d’ACtion sur l’Habitat (CRACH) a mis en évidence comment l’aménagement d’un nouveau campus universitaire, ainsi que la construction de nouveaux logements – supposément abordables aux dires des promoteurs des différents projets –, a incité les autres propriétaires du secteur à augmenter leurs loyers, sans nécessairement procéder à des rénovations, simplement afin de tirer profit du nouvel intérêt pour le quartier.
4. Le déséquilibre d’un marché en équilibre
La situation de crise qui persiste résulterait d’un marché de l’habitation en déséquilibre, la demande en logement étant plus forte que l’offre, entraînant à la hausse les prix. Pour rééquilibrer le marché, on prône, tant du côté de la SCHL que des élu·e·s, une augmentation et une accélération considérables de la construction domiciliaire. Les besoins estimés par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)33, quant aux nouvelles unités à construire d’ici 2030, se chiffrent à 480 000 pour le Grand Montréal soit plus des trois quarts des besoins estimés par la SCHL pour l’ensemble du Québec. L’urgence de la situation justifierait alors l’allègement des contraintes (réelles ou perçues) qui pourraient ralentir la construction, la plupart étant liées à la réglementation ou à des consultations publiques. Pourtant, ces contraintes ne semblent pas avoir miné la bonne santé du secteur de la construction domiciliaire durant les deux dernières décennies, comme l’ont démontré Gaudreau et Cliche34. Malgré une fluctuation des taux d’inoccupation dans les principaux centres urbains du Québec, la valeur des propriétés et les loyers ont connu une augmentation presque constante depuis la fin des années 1990, ce qui a assuré la rentabilité des investissements et rendu le secteur particulièrement attrayant pour de petit·e·s ou grand·e·s investisseurs et investisseuses en quête de profits.
Cette rentabilité n’est probablement pas étrangère au fait que, depuis 20 ans dans la plupart des grands centres du Québec, le nombre de nouvelles unités achevées a augmenté de façon plus importante que la croissance du nombre de ménages, et ce, malgré un taux d’immigration élevé. Les données compilées par Gaudreau et Cliche indiquent qu’entre 2001 et 2021, 16 000 nouveaux logements achevés de plus que le nombre de nouveaux ménages se sont ajoutés sur le territoire de la grande région montréalaise. Dans le cas de Québec, le ratio est encore plus important, avec 17 000 nouveaux logements achevés de plus que le nombre de nouveaux ménages. Pourtant, des actrices et acteurs politiques, alimenté·e·s par la grogne populaire face aux défis posés par le marché de l’habitation, ont exigé d’Ottawa une baisse radicale des cibles d’immigration permanente, lui attribuant à tort la responsabilité (en tout ou en bonne partie) de la crise du logement35.
Les chiffres présentés par Gaudreau et Cliche comprennent l’ensemble des nouvelles constructions résidentielles. Pour ce qui est des nouvelles constructions de logements locatifs, la SCHL36 a recensé, ces deux dernières années, une croissance record en 30 ans du nombre de nouvelles unités achevées, avec plus de 14 000 nouveaux logements en 2024 qui s’ajoutent aux 17 000 de l’année précédente. Cette nouvelle offre s’inscrit dans une tendance du marché de l’habitation, soit la construction de nouveaux projets domiciliaires locatifs, à l’architecture et aux équipements semblables à ceux des projets de condos et visant la même clientèle, le marché du condo semblant s’essouffler37. Il s’agit donc avant tout de projets destinés à des classes (plus) fortunées. L’augmentation de l’offre qui en résulte a contribué à une légère augmentation du taux d’inoccupation ainsi qu’à un ralentissement de l’augmentation des prix selon la SCHL. Il n’en demeure pas moins que ce ralentissement n’est qu’un ralentissement ; l’écart continue de se creuser entre les coûts de logement et les revenus (voir les graphiques 7 et 8).
Le marché locatif demeure tendu, nous indique la SCHL, et les difficultés d’accéder à la propriété n’y seraient pas étrangères. L’apparent regain d’intérêt politique dans le principe de filtrage, justifiant de nouveaux programmes d’appui financier à l’accès à la propriété et l’élimination des entraves afin d’accélérer la construction38, ne découle pas de la crise de la disponibilité et de l’abordabilité du logement pour les ménages à faible ou modeste revenu sur le marché locatif privé39, mais plutôt du resserrement du marché immobilier pour propriétaires-occupant·e·s, que ce soit du côté des nouvelles constructions ou sur le marché de la revente, entraînant à la hausse les prix. Si l’une des raisons évoquées pour ce resserrement est l’insuffisance des mises en chantier pour répondre à la demande, l’impact qu’a le retrait d’une proportion notable de logements du marché des résidences principales sur l’offre, comme mentionné plus haut, n’est pas à négliger. Face à une offre insuffisante, les ménages se sont retrouvés devant un dilemme. Ceux ayant un pouvoir d’achat un peu plus important se sont précipités pour tenter d’acquérir la propriété convoitée avant que les prix ne deviennent trop élevés, ce qui aura eu pour effet d’accélérer l’augmentation des prix. Les autres n’auront eu d’autres choix que de retarder leur achat et, pour les accédant·e·s, de prolonger leur durée d’occupation sur le marché locatif privé, alimentant la crise de disponibilité du logement locatif et l’augmentation des prix.
L’augmentation de l’offre locative visant une clientèle fortunée devrait, en théorie, permettre à ces ménages de classes moyennes incapables d’accéder à la propriété, ou ayant reporté leur projet, de procéder à un ajustement résidentiel vers un « meilleur » logement, sans le changement de tenure qui est habituellement associé à cette étape de leur cycle de vie résidentiel. En somme, que la construction domiciliaire destinée aux ménages de classes moyennes et supérieures soit de tenure locative ou propriétaire, elle devrait permettre la formation de chaînes d’inoccupation. S’il est peut-être trop tôt pour évaluer les impacts de cette nouvelle tendance du marché locatif plus haut de gamme sur la fluidité des mouvements résidentiels, la dépréciation rapide estimée par la SCHL – rappelons-le, de 5 % au cours des 4 premières années pour les nouvelles constructions – risque vraisemblablement d’être entravée dans le contexte québécois.
En effet, la section F du bail du logement permet au locateur ou à la locatrice d’un nouveau logement construit ou provenant d’un changement d’affectation de hausser le loyer sans entrave et sans avoir à le justifier pour une période de cinq ans40. L’adoption de la section F, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, deux ans après la récession du début des années 1990, avait pour but de rendre plus attrayante la construction domiciliaire locative en accordant davantage de contrôle au locateur ou à la locatrice afin qu’il ou elle puisse profiter, sans contrainte, d’une tendance haussière du marché du logement locatif pour « ajuster » ses loyers, ce que critiquent fortement les groupes de défense des locataires. Le projet de loi 31, adopté en février 2024, a modifié certaines dispositions de la section F, obligeant maintenant les locateurs et locatrices à indiquer l’augmentation maximale qui pourrait être exigée chaque année, mais toujours sans qu’ils et elles n’aient à justifier ces augmentations possibles. Dans une certaine mesure, en accordant ce pouvoir aux locateurs et locatrices, le législateur nuit à la dépréciation « naturelle » des logements nouvellement construits sur lesquels se fonde le principe de filtrage. Comment ? Ce cadre légal est favorable à la mise en place d’une stratégie d’investissement privilégiant le maintien des loyers les plus élevés possible, quitte à offrir des compensations temporaires pour demeurer concurrentiel.
À l’autre bout du continuum de l’habitation se trouvent les logements, « dépréciés naturellement » avec le passage du temps, auxquels auraient accès les ménages à faible ou modeste revenu. Mais cette dépréciation n’est possible que lorsque les locateurs et locatrices laissent les propriétés se dégrader. La recherche empirique le démontre, un entretien continu des logements agit comme un frein au principe de filtrage, car il permet de maintenir la valeur des propriétés41. À l’inverse donc, les « bas » loyers entraîneraient un déficit d’entretien, ce que soutient la CORPIQ à partir de l’enquête auprès de ses membres, citée plus haut. C’est donc dire que l’offre, sur le marché locatif privé régulier, de logements abordables pour les ménages à faible ou modeste revenu est constituée, en partie du moins, de logements de qualité inadéquate pour l’habitation42. En 2022, Statistique Canada estimait que plus de 110 000 ménages au Québec habitaient dans un logement sur le marché locatif privé nécessitant des réparations majeures (tableau 1). La diminution du nombre estimé d’unités nécessitant des réparations majeures entre 2018 et 2022 pourrait indiquer une amélioration des conditions de logement pour les ménages qui y résident ou, à l’inverse, traduire un réinvestissement dans ces unités afin d’y loger des ménages plus fortunés, ce qu’observent les groupes sur le terrain43. D’ailleurs, comme l’illustre le graphique 9, les demandes de permis pour un projet de rénovation sont en forte hausse depuis le début des années 2000 à Montréal, alors que les demandes pour un permis de démolition sont en baisse.
L’abordabilité du logement locatif privé pour les ménages à faible ou modeste revenu basé sur le principe du filtrage peut être atteinte, mais parfois au prix de mauvaises conditions de logement ou peut ne pas se maintenir dans le temps. Pour atteindre l’abordabilité, pourquoi ne pas construire seulement pour les populations qui en ont le plus besoin dans l’immédiat ? Dans sa modélisation sur les effets du filtrage dans la région métropolitaine de Toronto, l’économiste Amy Hongfei Sun de l’Université Queens, dans un travail fait pour le compte de la SCHL44, montre clairement que pour assurer l’abordabilité, le plus efficace serait de construire massivement et seulement du logement à prix modique. Malgré la démonstration sans équivoque de son modèle, elle préconise plutôt de construire des logements moyens, ou encore une combinaison de logements destinés à différents groupes socioéconomiques afin d’éviter que la construction exclusive de logements à prix modique agisse comme un aimant auprès des ménages à faible ou modeste revenu de l’extérieur de la région, et que les ménages les plus fortunés quittent la région. En revanche, l’abordabilité globale sera moindre pour les ménages à faible ou modeste revenu, plus durement touchés par la crise qui perdure.
Certes, la concentration de la construction de logements sociaux dans une seule métropole de la province pourrait avoir des effets indésirables, mais la démonstration de Sun montre, encore une fois, les limites de la simplification des modèles. Selon nous, la perception négative des effets de la construction massive de logements sociaux s’inscrit dans un continuum historique empreint de l’imaginaire stigmatisant associé aux premiers projets à haute densité des années 1950 et 1960, vus comme de véritables ghettos de pauvreté aux effets dévitalisants pour les quartiers. Cette perception a forcément été alimentée par les effets d’une offre insuffisante en logement social, découlant de la diminution de l’investissement public, qui a entraîné une concentration des populations parmi les plus vulnérables et ajouté à leur stigmatisation. Le repositionnement des gouvernements, qui s’est amorcé au milieu des années 1980, au profit d’une plus grande participation du secteur privé a complètement occulté le dysfonctionnement du filtrage dont on fait aujourd’hui l’apologie45.
La théorie du filtrage en habitation, dont les premiers travaux datent de plus de 75 ans, est revenue en avant-plan dans le discours public. Malgré la promotion qui est faite du principe de filtrage comme meilleure réponse à la crise de la disponibilité et de l’abordabilité, sa portée demeure incertaine. Notre réflexion ne visait pas à contester la justesse des modèles économétriques, ou l’existence de chaînes d’inoccupation et un possible gain en abordabilité qui en résulterait. Des chaînes d’inoccupation ont pu être observées empiriquement, tout comme la dépréciation des logements, mais on a pu montrer qu’il y a des « limites » au succès d’une politique d’habitat basée sur le principe du filtrage.
Ainsi, la construction de nouveaux logements ne générant pas de chaînes de vacances est l’une de ces limites. C’est le cas lorsque l’accédant·e ne libère pas de logement sur le marché ou lorsque des multipropriétaires « retirent » des logements du marché à des fins de villégiature ou d’investissement, par exemple, dans la location à court terme. Sur le marché locatif, une chaîne d’inoccupation peut se traduire par une augmentation substantielle des loyers – comme c’est le cas actuellement avec les changements de locataires – un obstacle majeur pour les ménages moins fortunés qui tentent d’améliorer leurs conditions de logement. En outre, la dépréciation « naturelle » des logements au fil du temps n’est pas conditionnelle à l’âge du bâtiment, comme le montrent les secteurs en processus de filtrage inversé associé à un processus de gentrification, mais elle est conditionnelle à un déficit d’entretien par les propriétaires. Non seulement l’abordabilité, pour les ménages à faible ou modeste revenu sur le marché locatif privé, peut se traduire par une qualité inadéquate du logement, mais les unités dépréciées peuvent faire l’objet d’un réinvestissement pour attirer des ménages plus fortunés que les résidents actuels (ou précédents). Par ailleurs, la section F du bail de logement peut avoir pour effet de contrecarrer la dépréciation « naturelle » ou à tout le moins en reporter le commencement. C’est pourquoi, si nous ne contestons pas le besoin de construire davantage de logements, à la lumière des limites du principe de filtrage, la solution est de construire pour répondre rapidement et massivement aux besoins les plus criants, notamment en logement social et sans but lucratif pour les ménages à faible ou modeste revenu.
1 Louis GAUDREAU et Catherine CLICHE, Les grands gagnants de la crise du logement, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 2024, iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2024/06/Note_logement_2024-revisee.pdf.
2 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, Pénurie de logements au Canada : estimation des besoins pour résoudre la crise de l’abordabilité du logement au Canada d’ici 2030, Information sur le marché de logement, juin 2022, www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/marche-du-logement-donnees-et-recherche/recherche-sur-le-logement/rapports-de-recherche-en-habitation/accroitre-loffre-de-logements/penurie-de-logements-au-canada–resoudre-la-crise-de-labordabilite.
3 Richard RATCLIFF, Urban Land Economics, New York, McGraw-Hill, 1949 ;
4 4. Stuart S. ROSENTHAL, « Are Private Markets and Filtering a Viable Source of Low-Income Housing? Estimates from a “Repeat Income” Model », American Economic Review, vol. 104, no 2, 2014, p. 687-706.
5 Will ROGERS, « That Money, Unlike Water, Always Trickles Up », The St. Louis Star and Times, 26 novembre
1932, p. 11, www.newspapers.com/article/the-st-louis-star-and-times-trickle-do/105123031/.
6 David HOPE et Julian LIMBERG, The economic consequences of major tax cuts for the rich, Document de travail 55, London School of Economics and Political Science, Londres, 2020, eprints.lse.ac.uk/107919/1/Hope_economic_consequences_of_major_tax_cuts_published.pdf.
7 Par « ménages (plus) fortunés » ou « ménages (plus) aisés », nous entendons ici les ménages appartenant aux classes supérieures ainsi qu’aux classes moyennes supérieures et moyennes intermédiaires.
8 Dans le cadre de ce texte, nous entendons par marché privé le marché à but lucratif. Nous excluons certaines formes d’habitat privé, telles que les coopératives d’habitation ou les fiducies d’utilité sociale qui sont sans but lucratif ou à profit limité.
9 Les changements dans la vie des ménages ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques depuis les années 1950. Dans son étude, Peter Henri Rossi constate que les besoins en habitation changent au cours d’une vie et que les ménages tendent à déménager lors des grands changements d’étape dans leur « cycle de vie », par exemple, lors de l’arrivée d’un·e enfant. Peter Henri ROSSI, Why Families Move : A Study in the Social Psychology of Urban Residential Mobility, Glencoe, The Free Press, 1955.
10 C’est dans ce contexte que les sociologues de l’École de Chicago observent que la croissance de la ville se fait dans un mouvement du centre des affaires vers la périphérie. Ainsi, la croissance du centre des affaires se fait par « débordement » dans les quartiers taudifiés qui l’entourent, ces derniers à leur tour débordant dans les quartiers ouvriers et ainsi de suite, dans un mouvement d’« invasion-succession » jusqu’à rejoindre la périphérie qui s’étend.
11 De nombreux modèles économétriques ont été développés depuis les années 1970. Nous n’avons pas la prétention d’avoir les outils nécessaires pour critiquer ces modèles économétriques, notre critique se préoccupe plutôt de la simplification des processus que ces modèles exigent, et vise à éclairer les limites d’une politique d’habitation basée sur le principe du filtrage pour répondre aux besoins des populations à faible ou modeste revenu.
12 Que nous ne traiterons pas ici.
13 Thomas BIER, Moving Up, Filtering Down: Metropolitan Housing Dynamics and Public Policy, The Brookings Institution Center on Urban and Metropolitan Policy, 2001.
14 Hans Skifter ANDERSEN, Inadequate housing market filtering in a city with increasing population, Document de travail, 2023, vbn.aau.dk/ws/portalfiles/portal/618461901/Filtering.pdf.
15 MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE LA FRANCISATION ET DE L’INTÉGRATION, La composition des ménages et des familles des personnes immigrées au Québec, 2021, www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Portrait_Familles-2020.pdf.
16 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, Taux d’inoccupation. Données de l’Enquête sur les logements locatifs en milieu urbain, 2023.
17 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, Taux d’inoccupation. Données de l’Enquête sur les logements locatifs en milieu urbain, 2016.
18 Pour les États-Unis : United States Census Bureau, S0701 Geographic Mobility by Selected Characteristics in the United States, data.census.gov/table ?q=Residential+Mobility. Pour le Canada : Statistique Canada, Recensement de la population.
19 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, La situation de l’achat d’habitations au Canada. Enquête 2024 de la SCHL auprès des emprunteurs hypothécaires, 2024, http://schl.ca/EAEH2024.
20 Même si l’échantillon d’accédant·e·s ne comportent que quelques centaines d’individus, cette étude de la SCHL demeure pertinente pour éclairer ce phénomène.
21 STATISTIQUE CANADA, Tableau 46-10-0038-01, Propriétaires détenant une seule ou de multiples propriétés résidentielles : données démographiques et valeur des propriétés détenues (Programme de la statistique du logement canadien), 2024.
22 COMMUNAUTÉ MARITIME DES ÎLES-DE-LA-MADELEINE, Enquête sur le logement locatif, 2021, rdsgim.ca/wp-content/uploads/2022/02/2020-109-M_Rapport_final_VP4_PUBLIQUE.pdf.
23 CORPORATION DES PROPRIÉTAIRES IMMOBILIERS DU QUÉBEC, Pour des logements durables et abordables : levons les obstacles à la rénovation du parc immobilier, Communiqué de presse, 11 novembre 2024, www.corpiq.com/fr/nouvelles/2334-pour-des-logements-durables-et-abordables-levons-les-obstacles-a-la-renovation-du-parc-immobilier.html?recherche=&page=10&pageRetour=00_100 (consulté le 3 mai 2025).
24 STATISTIQUE CANADA, Recensement de la population, 2001, 2011, 2016, 2021.
25 Société canadienne d’hypothèques et de logement, Enquête sur les logements locatifs, centres urbains : loyers moyens (2020 et 2023); Centre technologique de recherche sur le logement, Rapport trimestriel sur les valeurs marchandes des logements au Québec, 2024.
26 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, Comprendre le filtrage : stratégie à long terme concernant les logements neufs et l’abordabilité du logement, 2024, www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/marche-du-logement-donnees-et-recherche/recherche-sur-le-logement/rapports-de-recherche-en-habitation/accroitre-loffre-de-logements/filtrage-strategie-long-terme-logements-neufs-abordabilite.
27 Evan MAST, « JUE Insight: The effect of new market-rate housing construction on the low-income housing market », Journal of Urban Economics, vol. 133, 2023.
28 Cristina BRATU, Oskari HARJUNEN et Saarimaa TUUKA, City-wide Effects of New Housing Supply: Evidence from Moving Chains, VATT Institute for Economic Research, Document de travail 146, 2021, papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3929243.
29 Liyi LIU, Doug MCMANUS et Elias YANNOPOULOS, « Geographic and temporal variation in housing filtering rates », Regional Science and Urban Economics, vol. 93, 2022.
30 Andrejs SKABURSKIS, « Filtering, City Change and the Supply of Low-priced Housing in Canada », Urban Studies, vol. 43, no 3, 2006, p. 533-558.
31 La moitié inférieure des revenus fait référence aux personnes dont le revenu est inférieur à la médiane du revenu après impôts. En d’autres mots, elle représente les 50 % les plus pauvres.
32 Violaine JOLIVET et al., « Before displacement: studentification, campus-led gentrification and rental market transformation in a multiethnic neighborhood (Parc-Extension, Montréal) », Urban Geography, vol. 44, no 5, 2023.
33 COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL, Politique métropolitaine d’habitation. Agir pour un Grand Montréal inclusif, attractif et résilient, 2022, cmm.qc.ca/wp-content/uploads/2022/11/Politique_habitation_2022-11-24.pdf.
34 Louis GAUDREAU et Catherine CLICHE, op. cit.
35 Sur la réponse du gouvernement fédéral, voir par exemple www.ledevoir.com/politique/canada/805246/face-crise-logement-gouvernement-federal-veut-stabiliser-nombre-immigrants.
36 SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, Rapport sur le marché locatif, automne 2024, assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/fall-2024/rental-market-report-fall-2024-fr.pdf.
37 Voir par exemple Louis GAUDREAU, Marc-André HOULE et Gabriel FAUVEAUD, « L’action des promoteurs immobiliers dans le processus de gentrification du Sud-Ouest de Montréal », Recherches sociographiques, vol. 62, no 1, 2021, p. 121-147, doi.org/10.7202/1082615ar.
38 Pensons notamment, au niveau fédéral, au compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) en vigueur ou le projet d’éliminer la TPS pour les acheteurs et acheteuses d’une première propriété.
39 Les comités logement sonnent l’alarme depuis la fin des années 1990 concernant la crise de la disponibilité et de l’abordabilité, tandis que le gouvernement refusait toujours de parler de crise du logement en 2021. https://www.lapresse.ca/actualites/2021-05-06/logement/parler-de-crise-a-des-impacts-selon-francois-legault.php.
40 CCQ-1991 – Code civil du Québec. Article 1955.
41 Hans Skifter ANDERSEN, op. cit.
42 On entend par « logements de qualité inadéquate » des logements qui nécessitent des réparations de la plomberie, de l’électricité ou de la charpente. Ces réparations sont considérées comme majeures.
43 Selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), 2023 aurait été une année record pour les évictions forcées, les cas signalés ayant connu une augmentation de 132 % entre 2022 et 2023 à l’échelle du Québec et de 143 % sur l’île de Montréal. REGROUPEMENT DES COMITÉS LOGEMENT ET ASSOCIATION DE LOCATAIRES DU QUÉBEC, Évictions forcées. 2023 année record, décembre 2023, https://rclalq.qc.ca/wp-content/uploads/2023/12/RCLALQ-evictions-forcees-2023.pdf.
44 Amy HONGFEI SUN, Evaluating the Impacts of Increasing Housing Supply in Canada: A Sorting Model with Heterogeneous Households, Canada Mortgage and Housing Corporation, 2024.
45 Pour une bonne compréhension de l’histoire du logement social au Canada depuis la création de la SCHL, voir Greg SUTTOR, Still Renovating. A History of Canadian Social Housing Policy. Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2016.

Photo: Jocke Wulcan (Unsplash)
Faits saillants
01. Les données récentes montrent que les prix des propriétés, tout comme les coûts de loyer sur le marché locatif, ont augmenté plus rapidement que les revenus, ce qui représente une limite significative au filtrage.
02. La multipropriété, soit le retrait de logements du marché à des fins d’investissement ou de villégiature, constitue un autre frein majeur à l’accès à la propriété et, par conséquent, à la création de chaînes d’inoccupation.
03. En l’absence de mesures de contrôle des loyers, les chaînes d’inoccupation s’accompagnent de hausses de loyer importantes limitant leur capacité à garantir qu’une partie du parc locatif reste accessible aux ménages à faible ou modeste revenu.
04. L’attractivité de certains secteurs de l’agglomération montréalaise produit des dynamiques de filtrage inversé (une appréciation des logements dans le temps), associé ou non à la gentrification ou la rénovation du bâti.
05. La dépréciation des logements locatifs n’est possible que lorsque le locateur ou la locatrice laisse sa propriété se dégrader. En contrepartie, les loyers bas entraînent un déficit d’entretien. L’abordabilité pour les ménages à faible ou modeste revenu est constituée, en partie du moins, de logements de qualité inadéquate à l’habitation.