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Gentilly-2, Mine Jeffrey: quelles leçons pour l’« après »?

4 octobre 2012

  • LH
    Laura Handal

La ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, a confirmé hier la fermeture définitive de la centrale Gentilly-2, qui avait été annoncée par Pauline Marois au jour 1 de son mandat.

Dimanche dernier, des centaines de personnes avaient marché à Bécancour contre cette décision du gouvernement péquiste de fermer la seule centrale nucléaire en opération au Québec. Les travailleurs et travailleuses de la centrale ainsi que leurs familles avaient répondu à l’appel des chambres de commerce et députés libéraux de la région, du maire de Trois-Rivières et de la mairesse de Bécancour, organisateurs de la marche. Les participants déploraient la perte de 800 emplois directs et de 2400 emplois indirects.

Il s’agit d’une manifestation qui peut sembler surprenante, considérant les risques d’accident trop bien connus associés à ces centrales, les problèmes liés à la gestion des déchets radioactifs, mais surtout les révélations du documentaire Gentilly or not to be. Celui-ci a fait connaître les résultats d’études scientifiques sur les risques de cancer pour les populations avoisinantes des centrales nucléaires. Les opposants au déclassement de la centrale considèrent que le documentaire fait partie de la «campagne de peur des environnementalistes». Certains observateurs estiment qu’il s’agit d’un « film de propagande ».

Pourtant, l’étude sur laquelle reposent principalement les propos de ce documentaire, l’ « étude KiKK », mandatée par le gouvernement allemand, a contribué à la décision de ce pays d’abandonner  la filière nucléaire. Publiée en 2007, cette étude exhaustive conclut qu’en Allemagne, les risques de développer la leucémie chez les enfants de moins de cinq ans résidant dans un rayon de 5 km d’un réacteur sont environ 220 % plus élevés que la normale. Bien que les auteurs affirment que le lien de cause à effet entre la proximité aux réacteurs et les taux de cancers plus élevés ne peut être établi, ces résultats ont été suffisants pour que les autorités allemandes songent, en vertu du principe de précaution, à se retirer de cette filière énergétique, décision évidemment précipitée par la catastrophe de Fukushima.

On ne peut donc que reconnaître le bon sens de la décision du présent gouvernement de fermer la centrale Gentilly-2. En ce sens, et considérant que le réacteur québécois « émet de 20 à 30 fois plus de tritium (de la vapeur d’eau radioactive) que n’importe quel autre réacteur dans le monde », les revendications pour maintenir en vie une filière dont on connaît les dangers est incompréhensible, du point de vue des risques pour la santé publique et l’environnement ou du moins de celui du principe de précaution.

Les demandes pour garder la centrale en vie sont également insensées du point de vue financier. Le Devoir dévoilait il y a quelques jours des informations contenues dans un rapport d’Hydro-Québec − confirmées depuis par le PDG de la société d’État − qui compare les coûts d’un scénario de réfection à celui d’une fermeture. D’après ces données, la réfection de Gentilly-2 s’élèverait à 4,3 milliards $ (bien plus que les 1,9 milliards $ estimés en 2008), alors que sa fermeture coûterait 1,8 milliards $. Étant donné les coûts de réfection prohibitifs, Hydro-Québec recommande au gouvernement d’opter pour le scénario du démantèlement.

Cela dit, ce qui est certainement compréhensible parmi les réactions à cette décision, c’est la frustration que ressentent les résidents locaux qui y perdront leur emploi. On ne peut pas en vouloir à quelqu’un ou à une communauté de s’inquiéter pour son avenir, d’aspirer à conserver un niveau de vie décent. Tout aussi légitime est le sentiment d’inquiétude perçu chez les ex-travailleurs de la mine Jeffrey, l’une des deux dernières mines d’amiante au Canada à laquelle le gouvernement Marois a l’intention d’annuler le prêt de 58 millions $ en fonds publics qui avait été accordé sous les libéraux.

La population fait les frais des politiques des gouvernements antérieurs (libéraux comme péquistes) qui ont décidé d’entrer dans le nucléaire et refusé de rompre avec ce modèle énergétique. Ces gouvernements qui ont laissé s’installer une dépendance envers des activités économiques non sécuritaires et nocives pour l’environnement et la santé humaine, des secteurs dont la pertinence serait tôt ou tard remise en question. Ces gouvernements qui ont succombé aux puissants lobbys industriels et qui n’ont rien fait pour prévenir la mono industrialisation (comme dans le cas des régions minières ou forestières) ou la dépendance des emplois (directs comme indirects) à un nombre restreint de secteurs vulnérables aux caprices d’une demande externe. Ces mêmes gouvernements ont manqué de vision en fermant les yeux sur l’épuisement des ressources minières, pourtant non renouvelables comme le pétrole. Ils n’ont pas pensé à l’après-nucléaire ni au post-extractivisme. En somme, ils n’ont pas cru bon de concevoir, à temps, un plan de transition.

Or, quelle que soit la raison qui explique les risques de pertes d’emplois importantes (cycles économiques, mécanisation du travail, épuisement des ressources ou moratoire), il importe de planifier judicieusement la période post-extractiviste.

En ce sens, dans le cas de Gentilly-2, il faut donner raison à ceux qui considèrent que le changement d’orientation économique de la région ne peut pas se faire du jour au lendemain. La diversification économique – et on parle ici d’une diversification qui s’éloigne des secteurs manufacturiers dépendants des industries extractives et qui tend vers des créneaux alternatifs –  est une affaire de plusieurs années.

Il convient donc que le présent et les futurs gouvernements, ainsi que les citoyens des régions concernées, tirent une leçon de cette expérience et saisissent l’opportunité pour planifier et prévoir bien à l’avance les portes de sortie dans le cas d’autres secteurs similaires, comme par exemple celui des mines métallifères.

Il n’y a effectivement pas que l’énergie nucléaire et l’amiante qui soient problématiques au plan de la santé et de l’environnement. On n’a qu’à penser aux parcs à résidus miniers au Québec et à la facture globale de 1,25 milliards $ pour la restauration des plus de 679 sites miniers abandonnés dans la province (d’origine métallifère comme non métallifère) qui sont ou seront bientôt à la charge de l’État. L’industrie prétend que les sites contaminés sont chose du passé et que les nouvelles façons de faire sont beaucoup plus respectueuses de l’environnement. Une affirmation qui ne concorde pas avec la situation observée à Malartic, où le dynamitage excessif, les nuages toxiques et les infractions environnementales font partie de la réalité des habitants locaux qui demeurent à proximité d’une méga-mine d’or à ciel ouvert.

Durant la campagne électorale, aucun des partis politiques les plus en vue, y compris les plus progressistes, ne se sont prononcés clairement (excepté dans le cas des mines d’uranium) en faveur d’un retrait progressif du modèle extractiviste minier. Les propositions étaient variées : un Plan Nord autrement (par la réforme de la loi minière et du régime de redevances), un meilleur encadrement environnemental, des prises de participation majoritaire de l’État, un développement axé sur les besoins et la nationalisation. Si plusieurs ont parlé d’emplois verts, aucun n’a indiqué explicitement que ceux-ci se substitueraient aux emplois miniers.

Pourtant, une telle substitution permettrait de réduire la grande vulnérabilité économique des régions ressources et l’instabilité des recettes fiscales provenant de ce secteur, toutes deux attribuables aux cycles miniers. De plus, une telle option, en plus d’être avantageuse sur le plan écologique, contribuerait à faire respecter la volonté de certaines communautés autochtones qui s’opposent à de tels mégaprojets, comme c’est le cas des Cris de Mistissini qui se sont prononcés contre le projet de mine uranifère Matoush.

Les alternatives au nucléaire et à l’extractivisme ne sont pas que de belles idées utopiques.  Marois et Harper ont bel et bien annoncé respectivement l’octroi de 200 et de 50 millions $ pour la diversification des régions affectées par la fermeture de Gentilly-2 et de la mine Jeffrey. Loin d’être impossible, cette transition est en grande partie une question de volonté politique.

À Bécancour, le développement d’une expertise de démantèlement de centrales nucléaires (d’autant plus que le déclassement et le démantèlement de la centrale s’étalera sur 50 ans) ou le développement d’énergies réellement vertes et renouvelables (éolien, solaire, etc.) pourraient constituer des options de rechange. Quant aux travailleurs et travailleuses d’Asbestos et de Thetford Mines, la réfection écologique d’infrastructures de transport et d’habitation pourrait constituer une des alternatives d’emploi. Chose certaine, la participation des personnes touchées par le processus de transition dans les prises de décision concernant les nouveaux secteurs à développer est absolument cruciale. Au-delà de l’économie verte toutefois, nous pourrions également nous pencher en société sur des sujets tabous comme le sont la remise en question de nos modes de production et de consommation et les sacro-saints impératifs de la croissance et du travail.

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