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Se donner le droit de réfléchir au financement de l’industrie forestière

22 octobre 2024

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3min

  • Bertrand Schepper

Pendant des années, le Canada et le Québec ont dû se défendre face aux plaintes des États-Unis, qui les accusaient de subventionner à outrance leur industrie forestière. Or, il a été statué, aux fins du droit du commerce international, que le Canada et le Québec ne subventionnaient pas leur industrie forestière au point de leur imposer des tarifs compensatoires. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a en effet jugé que certaines des aides financières ayant comme mission de préserver la forêt ne sont pas des aides pour fins commerciales. 

En ce sens, on peut comprendre que monsieur Samray, Président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec, ait pu en sa qualité de lobbyiste de l’industrie s’étouffer avec son café lorsqu’il est tombé sur un texte de la Presse intitulé : « Oui, nos impôts soutiennent l’industrie forestière » signé par le journaliste Philippe Mercure et qui se base sur des données fournies par l’IRIS. Il peut facilement se sentir ramené dans des débats qu’il espérait clos.

La lettre de monsieur Samray s’inscrit principalement dans le cadre du vieux conflit opposant le Canada et ses voisins du sud sur la question du protectionnisme. Or, il est souhaitable, voire nécessaire de sortir de ce prisme pour réfléchir à l’avenir de l’aide financière à cette industrie et à celui des communautés qu’elle fait vivre. 

Une industrie forestière en décroissance

Selon Statistique Canada, si l’on inclut l’ensemble des activités lié à l’industrie forestière (foresterie, soutien à la foresterie, fabrication du bois et du papier), l’exploitation de la forêt représentait 1,48 % du PIB en 2023, soit près de la moitié moins qu’au début des années 2000. Les emplois salariés, qui excluent les travailleurs autonomes, ont vu leur nombre baisser de 40 % entre 2001 et 2023. De plus, on peut estimer que dans 5,5 % des municipalités au Québec, plus de 15 % de la main-d’œuvre travaille dans l’industrie forestière. Cela signifie que leur économie est très dépendante de cette industrie et qu’une crise dans ce secteur aurait un effet massif sur la communauté. Dans ces conditions, on peut comprendre que certains élu·e·s municipaux s’inquiètent de la décroissance observée depuis 20 ans. 

Pendant ce temps, les revenus de l’État provenant de la forêt ont eux aussi diminué. Dans le cadre de l’étude que nous avons réalisée en 2020, nous avons analysé les données du ministère des Finances du Québec qui compile les déclarations de revenus de l’ensemble des entreprises privées par industrie, dont celles de l’industrie forestière. Nous avons alors constaté que le trésor public québécois récoltait 166,5 M$ de revenus fiscaux en 2000, mais qu’il n’en récoltait plus que 96 M$ en 2015. De manière similaire, les redevances forestières et les taxes sur les opérations forestières en dollars constants de 2012 sont passées de 509,1 M$ en 2000 à 225,3 M$ en 2019.

Bref, il est indéniable que l’industrie est en décroissance. Pourtant, les dépenses du ministère des Ressources naturelles et des Forêts ont connu une hausse de 19 % entre 2001 et 2021, passant de 31 524 dollars constants de 2012 à 56 446 en dollars constant de 2012 par emploi en foresterie. 

Changer de perspective

Il est temps de prendre acte du fait que l’industrie n’a plus la vitalité économique qu’elle a eue par le passé. Cela ne veut pas dire qu’elle ne doit plus être soutenue, mais que les modalités de l’aide financière publique qu’elle reçoit sont peut-être à revoir. S’interdire de réfléchir à son financement sur la base du débat devant l’OMC est mal avisé. Au contraire, le gouvernement du Québec et ses ministères auraient intérêt à s’offrir un débat transparent sur leur rôle dans le financement de cette industrie, notamment afin de trouver des moyens de diversifier l’économie de certaines régions. C’est précisément parce que l’État est propriétaire de la Forêt qu’il doit se donner ce mandat.

Ce texte est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 22 octobre 2024 de La Presse.

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1 comment

  1. Au Québec, la présence de l’industrie forestière dans plus de 900 municipalités confère à ce lobby industriel, un pouvoir politique démesuré sur tous le niveaux de gouvernement. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’elle reçoit souvent plus d’aide de l’État qu’elle ne rapporte de revenu fiscal, un constat que vous avez vous-même établi, sans tenir compte d’un nombre indéterminé d’ententes confidentielles et secrètes (Plamondon-Lalancette, Radio-Canada 2022 ), ou du soutien financier considérable, fourni par le gouvernement, pour la mise en place et l’entretien d’un immense réseau routier essentiel à la récolte de bois (https://consultation.quebec.ca/link?external_url=https%3A%2F%2Fmrnf.gouv.qc.ca%2Fdocuments%2Fforets%2Fconsultation%2Fmemoires%2FAndre_Bouchard.pdf). Comme par le passé, l’élaboration d’un nouveau régime forestier servira à légitimer de nouveaux investissements, dans un secteur soumis à des crises récurrentes depuis plus d’un demi siècle. Globalement , ce seront des investissements à perte sur le plan financier, mais payant sur le plan politique. L’élaboration d’un nouveau régime forestier ne permettra surtout pas d’évaluer la pertinence d’investir, afin de diversifier l’économie des nombreuses communautés hautement dépendantes du seul secteur forestier. La prospérité des populations rurales, des régions éloignées des grands centres urbains, appelées à juste titre « régions ressources », doit-elle uniquement dépendre de leur capacité à maintenir les flux d’énergie et de matériaux nécessaires pour perpétuer la (sur)consommation dans les grands centres urbains? On peut se demander si ces populations sont condamnées à demeurer indéfiniment captives du lobby des grandes sociétés extractives de ressources naturelles.