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Le développement du pétrole québécois et les émissions de GES

14 mai 2012

  • Bertrand Schepper

Le 26 avril dernier, l’Institut économique de Montréal (IEDM) dévoilait une note économique rédigée par Germain Belzile sur les bienfaits économiques du développement pétrolier au Québec. Selon l’IEDM, le développement de l’industrie pétrolière rapportera aux corporations des sommes évaluées à  400 milliards de dollars. Si ce montant important a le mérite de frapper l’imaginaire, on ne saurait se confiner à la stricte question économique avant conclure quoique ce soit dans ce débat.  Il faut au contraire y intégrer des questions environnementales et sociales.

Ce billet est le premier d’une courte série sur la question du pétrole. Ce premier texte se veut une présentation sommaire des effets environnementaux de l’extraction du pétrole sur l’air.  Le second texte portera sur des questions socio-économiques et le dernier sur les choix qui se présentent à la collectivité devant la perspective d’une extraction de cette ressource.

Les risques environnementaux du pétrole au Québec

Le pétrole que l’on retrouve dans le sous-sol de l’Île d’Anticosti est une forme de pétrole non conventionnelle que l’on nomme « pétrole de schiste » (aussi appelé « huile de schiste », traduction littérale de oil shale). Selon André Proulx, président de Pétrolia, le procédé  utilisé pour l’extraction du pétrole sera fort probablement le procédé dit « par fracturation » comme c’est le cas pour l’extraction du gaz de schiste. Rappelons que, au moment d’écrire ce billet, ce procédé est soumis à une étude environnementale stratégique étant donné la contestation dont il a fait l’objet au Québec au cours de l’année 2011. Le New York Times a réalisé cette animation fort instructivce qui explique les étapes de la fragmentation hydraulique nécessaire à l’extraction du gaz de schiste et qui sera utilisé pour extraire le pétrole québécois.

L’extraction d’un baril d’huile de schiste nécessite une quantité importante d’énergie, cinq fois plus que l’extraction du pétrole conventionnel. Puisqu’avec le temps, les gisements les plus simples à exploiter se vident, les entreprises utilisent progressivement de nouveaux moyens plus coûteux, plus énergivores et plus controversés pour parvenir à extraire le pétrole de gisements non conventionnels. La fracturation est l’un de ces moyens.

Comme on peut le voir dans le tableau suivant (tiré de notre note-socio économique sur le gaz de schiste), en 1930, 100 unités d’énergie étaient produites pour chaque unité d’énergie investie dans l’exploration et l’extraction de pétrole aux États-Unis. Le rendement énergétique (RÉI) s’élevait alors à un ratio de 100:1. En 2000, le RÉI de cette filière est tombé à 20:1. En ajoutant au calcul l’énergie nécessaire au raffinage du pétrole et à sa conversion en essence, le ratio chute à 6:1. Les coûts énergétiques sont encore plus élevés pour les combustibles non conventionnels, tels les sables bitumineux et l’huile de schiste. Le RÉI des sables bitumineux se situe entre 4:1 et 1:1, tandis que celui de l’huile de schiste varie entre 2:1 et 1:1. Il faudra donc, au mieux, l’équivalent de 1 baril de pétrole pour en extraire 2. Ceci illustre donc les énormes coûts environnementaux de cette ressource : pour produire 200 barils, il faut d’abord en brûler 100.

Tableau 1 : RÉI de différentes filières énergétiques

Pétrole (exploration et extraction) – 1930 (É-U) 100:1
Gaz naturel et pétrole – début 1970 (É-U) 25:1
Pétrole (exploration et extraction) – 2000 (É-U) 20:1
Pétrole (exploration, extraction et raffinage) – 2000 (É-U) 10:1 – 6:1
Gaz naturel et pétrole – 2006 (É-U) 15:1
Éolien 25:1 – 20:1
Gaz naturel – 2005 (É-U) 18:1
Sables bitumineux – 2006 (Canada) 4:1 – 1:1
Biogaz – 2006 (Suède) 3,3:1
Huile de schiste (extraction et raffinage) 2:1 – 1:1
RÉI minimum pour la viabilité des sociétés 3:1

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, le nombre de grammes de  CO2 émis par mégajoule pour l’essence produite (gramme CO2 / MJ )  est 50 % plus élevé pour l’huile de schiste que pour l’extraction de pétrole conventionnel. Par ailleurs, la production d’huile de schiste émet 22,7 % plus de CO2 dans l’air que l’extraction de sables bitumineux. L’extraction d’une importante part du pétrole de schiste aura donc un impact non négligeable sur le plan environnemental, tant au niveau des coûts énergétiques que des émissions de gaz à effet de serre.

Graphique 1: C02/MJ pour produire de l’essence à partir de combustibles bruts

Sachant qu’un baril de pétrole équivaut à 5 861,52 mégajoules, nous pouvons supposer que les 4 milliards de barils (40 milliards de barils au taux de récupération de 10 % suivant les estimés de M. Belzile)  de pétrole extrait émettront  123 138 812  tonnes de CO2 (dioxyde de carbone) par annéedans l’air (en supposant une période d’extraction de 25 ans), soit l’équivalent de  l’utilisation annuelle de 30,8 millions de voitures parcourant 20 000 Km chacune (si on se fie au guide de consommation de carburant de Ressources naturelles Canada). Cette quantité de  CO2 représente 1,51 fois les émissions totales de gaz à effet de serre produites annuellement sur le territoire québécois (si on se fie à l’inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre émis par le MDDEP).

Le développement pétrolifère ne peut donc pas s’inscrire dans une stratégie énergétique de lutte aux changements climatiques, puisque l’augmentation du CO2  dans l’atmosphère est la cause principale du réchauffement climatique lié à l’activité humaine. Il est irresponsable d’escamoter la question environnementale de l’extraction du pétrole sur l’Île d’Anticosti considérant l’ampleur des émissions de gaz à effet de serre qui seront ajoutées au bilan environnemental québécois. Alors que le Canada risque fort de rater ses cibles de diminution de gaz à effet de serre (GES) pour 2020, il serait fort peu avisé d’augmenter, en plus, les émissions de GES au Québec.

L’exploitation du pétrole dans les conditions énoncées touchera non seulement l’ensemble des Québécois-es aujourd’hui, mais aussi ceux des générations futures. Dans le prochain billet, nous tenterons de déterminer si le retour économique de l’exploitation du pétrole de schiste permettra réellement d’améliorer la condition de vie des Québécois-es à long terme.

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