Northvolt, l’industrie automobile et le transport en commun
10 juillet 2024
Lecture
4min
Au début du mois de mars, la compagnie Northvolt terminait la première phase de destruction des milieux humides prévue dans le cadre de la construction de sa giga-usine de batteries. Quelques semaines plus tard, on apprenait que la Compagnie Électrique Lion, qui fabrique des autobus scolaires électriques et qui était présentée comme un pionnier de l’électrification des transports en Amérique du Nord, allait éliminer 120 emplois additionnels, portant à 370 le nombre d’emplois supprimés depuis novembre. À peu près au même moment, alors que les villes demandaient au gouvernement de soutenir le transport collectif pour éviter d’avoir à réduire l’offre de service, la ministre des Transports et de la Mobilité durable se déresponsabilisait de cet enjeu pourtant crucial pour la transition énergétique.
Les villes de la grande région de Montréal ont donc de peine et de misère obtenu 200 millions de dollars pour 2025, soit bien moins que le montant de 561 millions de dollars qui leur permettrait de maintenir l’offre de transport en commun, tandis que le gouvernement offre sans hésiter 2,9 milliards de dollars à la compagnie Northvolt, soi-disant pour positionner le Québec comme un leader de la transition énergétique. Il est paradoxal que la stratégie énergétique du gouvernement Legault soit principalement tournée vers la création de toutes pièces d’une industrie automobile québécoise plutôt que vers le soutien au transport en commun, un secteur dans lequel le Québec occupe déjà une place stratégique.
Les détails du projet Northvolt sont encore nébuleux et il est même possible qu’il soit retardé ou remis en question, mais tout porte à croire que l’usine Northvolt de la Montérégie servira essentiellement à alimenter le marché nord-américain des voitures électriques. Sur son site web, la compagnie fait état de ses partenariats avec de grands constructeurs automobiles et indique que ses installations de la grande région de Montréal produiront des batteries pour un million de véhicules électriques par année. Une présentation faite par le gouvernement à la population de Saint-Basile-le-Grand et de McMasterville explique que le site choisi pour l’usine occupe un « emplacement stratégique dans le corridor manufacturier automobile », c’est-à-dire qu’il est situé près des grands pôles manufacturiers de l’industrie automobile, comme le sud de l’Ontario et les environs de Détroit. D’après l’Agence internationale de l’énergie, en 2030, seuls 3,5% des batteries dans le monde serviront aux autobus et 90% des batteries seront destinées aux voitures. Or, on sait qu’en raison des ressources minérales que leur production exige et de l’étalement urbain auquel elles contribuent, les voitures électriques ne constituent pas une réelle solution à la crise écologique à laquelle l’humanité fait face.
Le Québec compte 115 entreprises actives dans l’industrie de la fabrication automobile. Celles-ci sont impliquées dans la production de pièces et d’accessoires. Il n’existe pas au Québec de constructeur automobile à proprement parler. Les tentatives historiques de créer des usines québécoises d’assemblage automobile – GM à Boisbriand, Soma à Saint-Bruno-de-Montarville et la Manic à Granby – ont d’ailleurs été décevantes. Lorsque le gouvernement Legault prétend que l’établissement de Northvolt permettra au Québec de contrôler l’ensemble de la filière batterie, c’est donc inexact puisque le dernier maillon de la chaîne – l’intégration de la batterie dans le véhicule – sera majoritairement entre les mains d’entreprises situées en Ontario ou aux États-Unis.
L’industrie québécoise du transport terrestre comprend quant à elle 620 entreprises employant 32 000 personnes. Parmi ces entreprises, on compte plusieurs acteurs majeurs de l’industrie du transport en commun, dont des usines de fabrication d’autobus à Saint-Eustache et à Saint-François-du-Lac, d’autocars à Sainte-Claire et de voitures de métro, de tramways et de trains de banlieue à La Pocatière. En soutenant activement les villes et les régions qui souhaitent améliorer leur réseau de transport collectif, le gouvernement du Québec contribuerait à consolider et à renforcer un secteur socialement utile, en profitant d’installations déjà existantes. Il pourrait ainsi participer réellement à la transition écologique, tout en remédiant aux défaillances du système de transport interurbain.
Si le gouvernement Legault tient tant au projet Northvolt, c’est peut-être en raison de sa volonté maintes fois répétée de rattraper l’Ontario, doté d’une industrie automobile imposante. On sait pourtant que cette obsession du rattrapage est un cul-de-sac. C’est peut-être aussi parce que François Legault espère que son nom sera ajouté à la liste des bâtisseurs du Québec moderne. Il répète en effet à qui veut l’entendre que le développement de la filière batterie est comparable au grand chantier hydroélectrique de la Baie-James. Il y a pourtant une différence de taille : contrairement au projet de Northvolt, une multinationale visant l’exportation de marchandises, l’aménagement de la Baie-James était, malgré ses failles, un projet entièrement public destiné à fournir un service essentiel à l’ensemble des Québécois·es. C’est exactement ce que pourrait être un vaste chantier de développement du transport en commun.
2 comments
Les commentaires sont désactivés
Comptons les investissements en infrastructures de transport proposées au Québec ces dernières années:
– 7,000,000,000$ pour une troisième voie à Québec.
– 8,000,000,000$ pour le REM de l’ouest.
-15,000,000,000$ prévus pour le REM de l’est.
– 1,000,000,000$ pour rénover Pie IX pour les deux fois.
– 5,000,000,000$ pour rallonger la ligne 5 du métro de 5 km.
Avec 36,000,000,000$CA, je peux installer 3,000 km de voies pour un monorail suspendu qui desservirait 8,000,000 de québécois, tant en intra-cité qu’en inter-cité.
Aucun autre projet, de transport ou autre, n’offre autant de synergie catalysatrice à l’économie du Québec… Et c’est sans compter l’exportation de l’expertise acquise.
Va falloir expliquer pourquoi l’état donne de l,argent aux entreprises qui, selon elles, sont la source de la richesse. À une source on ne donne rien, on s’y approvisionne.
Oui, je suis tout à fait d’accord, nous avons la chance d’avoir ici des industries du transport collectif qu’il faudrait soutenir. Mais ces projets sont longs à réaliser, et la transition d’un mode « automobile personnelle » à un mode plus collectif de transport pourrait être facilitée par la généralisation de l’auto-partage. L’expertise québécoise en la matière pourrait servir de base à des expérimentations visant l’adoption généralisée…