L’autre personnalité de l’année 2023: le génocide à Gaza
14 Décembre 2023
Chaque année, l’IRIS prend le contrepied de l’actualité pour mettre en lumière une personnalité, une institution, une chose ou un sujet qui, malgré son importance dans nos sociétés, est resté dans l’ombre de l’univers médiatique dominant. Depuis maintenant plus de deux mois, le conflit israélo-palestinien sature quotidiennement l’espace journalistique consacré aux nouvelles internationales. Bien que des voix encore rares mais de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer l’évidence, un mot demeure largement tabou au sein des grands médias et dans le vocabulaire timide utilisé par nos représentant·e·s politiques pour décrire ce qui se déroule dans la bande de Gaza : celui de génocide.
Massacre à Gaza
Les chiffres qui rendent compte du massacre perpétré à Gaza par l’État israélien en riposte à celui commis par le Hamas – qui a tué 1 200 personnes, en majorité des civils, dans une attaque sans précédent le 7 octobre dernier – donnent le vertige. À peine un mois après le début du conflit, plus de 10 000 civils, dont plus de 4000 enfants, avaient perdu la vie sous les bombes israéliennes, soit davantage que les 9 806 civils (dont 531 enfants) morts en 20 mois de guerre entre la Russie et l’Ukraine. Durant ce premier mois de bombardements, l’armée israélienne a affirmé avoir effectué 11 000 frappes aériennes sur le petit territoire de 360 km2 (ce qui est inférieur à la superficie de la ville de Montréal), soit neuf fois plus que l’État russe lors des trente premiers jours de son invasion de l’Ukraine. En date du 11 décembre, ce sont plus de 18 200 personnes qui ont été tuées à Gaza, dont environ 70 % sont des femmes et des enfants.
Face à tant d’horreur, on aimerait croire que ces chiffres, fournis par le ministère de la Santé du Hamas et rapportés par les grands médias officiels, ne sont pas fiables et qu’ils sont surestimés, comme l’a suggéré le président états-unien à la fin du mois d’octobre. Or, selon une étude publiée début décembre dans la prestigieuse revue The Lancet, ces chiffres sont réalistes, et sont même probablement une sous-estimation du nombre réel de morts. En effet, les services publics submergés par l’afflux de victimes seraient incapables d’effectuer un décompte exhaustif, et les corps qui restent ensevelis sous les décombres ne seraient pas comptabilisés dans les chiffres communiqués quotidiennement.
En Ukraine, le bombardement par les forces russes d’un hôpital pour enfants à Marioupol avait suscité avec raison l’indignation et les condamnations immédiates de la communauté internationale. À Gaza, les bombardements répétés d’hôpitaux ont réduit le système de santé à l’agonie, auxquels s’ajoutent les bombardements de camps de réfugiés, d’écoles (dont certaines de l’ONU) et d’autres infrastructures civiles essentielles (communications, transport, approvisionnement en eau, etc.), actes qui sont normalement considérés par le droit international comme autant de crimes de guerre. De fait, dans l’ensemble de la bande de Gaza, on estime qu’entre 29 % et 37 % des bâtiments ont été détruits, proportion qui atteint entre 56 % et 69 % dans le nord du territoire. Après seulement un mois de conflit, d’autres sources évaluaient à 45 % la proportion de bâtiments résidentiels détruits à Gaza, contre 32 % à Marioupol, considérée comme la ville martyre de l’Ukraine.
Pour leur part, les Ukrainien·ne·s ont pu fuir par millions leur pays déchiré par la guerre et, deux ans après le début du conflit avec la Russie, le tiers d’entre eux et elles avaient dû quitter leur maison et se réfugier à l’étranger ou ailleurs en Ukraine. Selon l’ONU, ce sont 85 % des habitant·e·s de la bande de Gaza qui ont été déplacé·e·s en deux mois de conflit par les ordres d’évacuation et les bombardements israéliens, mais seule une poignée d’entre eux et elles ont pu quitter le territoire. En effet, un blocus total imposé par Israël empêche non seulement les êtres humains d’en sortir, mais aussi la nourriture, l’eau, le carburant, les médicaments et l’aide humanitaire d’y entrer, plongeant la population dans une crise humanitaire et sanitaire catastrophique qui mène Gaza au bord de l’effondrement et qui pourrait causer encore plus de décès que les bombardements.
Un génocide
Le concept de génocide a été développé à la suite de l’Holocauste pour nommer « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Il a un sens juridique précis déterminé par l’ONU.
Si, depuis le début du conflit israélo-palestinien, le mot génocide a été évoqué à quelques reprises dans les grands médias, c’est pour appeler à l’extrême précaution dans l’utilisation de ce terme, pour dénoncer son utilisation « prématurée » et « irréfléchie » sur les réseaux sociaux et pour insister sur le fait qu’il s’agit d’un « terme légal » qui désigne un crime de guerre spécifique et extrêmement difficile à prouver juridiquement, notamment parce qu’il faut démontrer l’intention de commettre le crime. À cet égard, de nombreuses déclarations de hauts dirigeants d’Israël et de son armée, qui déshumanisent les Palestinien·ne·s en les assimilant à des « animaux humains » et qui promettent la destruction totale de la bande de Gaza, attestent d’une intention génocidaire aux plus hauts échelons de l’État.
Malgré les faits accablants qui se multiplient et les cris d’alerte de plus en plus pressants lancés par les rapporteurs de l’ONU indiquant qu’un génocide est en cours à Gaza, la communauté internationale (entendre : les pays occidentaux alliés d’Israël, dont le Canada) demeure quant à elle « circonspecte quant à l’utilisation d’un mot aussi chargé ». Dans le cas qui nous occupe, ce refus de nommer la réalité est lourd de conséquences, puisqu’il permet à nos représentant·e·s politiques de continuer à soutenir activement un État génocidaire. En effet, tout se passe comme s’il fallait attendre que le crime ait eu lieu et soit prouvé hors de tout doute raisonnable devant la Cour pénale internationale avant de commencer à parler de génocide, ce qui reviendrait bien sûr à attendre qu’il soit beaucoup trop tard pour agir.
Or, cette même communauté internationale n’a pas senti la nécessité de faire preuve d’une telle retenue dans le conflit opposant la Russie et l’Ukraine. Au Canada, le 27 avril 2022, les député·e·s de la Chambre des communes ont adopté à l’unanimité une motion affirmant que « la Fédération de Russie commet des actes de génocide contre le peuple ukrainien. » À cette date, deux mois s’étaient écoulés depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, et 2 435 civils avaient perdu la vie dans le conflit. Avant même l’adoption de cette résolution, le mot « génocide » était déjà sur toutes les lèvres officielles, y compris celles du président états-unien, Joe Biden, du premier ministre canadien, Justin Trudeau, et d’autres dirigeants politiques occidentaux, qui n’ont pas hésité à l’utiliser en réaction aux massacres de civils perpétrés en Ukraine par les forces russes. Moins de deux semaines plus tard, Justin Trudeau était à Kiev et accusait le président russe d’avoir commis des crimes de guerre.
Aujourd’hui, ces mêmes dirigeants refusent non seulement de prononcer le mot « génocide », mais ils hésitent même à employer celui de « cessez-le-feu ». C’est le cas de François Legault, qui a refusé début novembre de débattre d’une motion appelant à un cessez-le-feu humanitaire, en arguant qu’il était important d’être « prudent avec les mots ». Le 8 décembre, les États-Unis ont bloqué une résolution similaire au Conseil de sécurité de l’ONU. Quant à Justin Trudeau, il a fallu attendre le 12 décembre avant qu’il prononce le terme « cessez-le-feu » pour la première fois.
Si le jeu des alliances politiques internationales explique certainement ce phénomène de deux poids, deux mesures, il ne le justifie pas. Le massacre commis par l’État d’Israël à l’encontre du peuple de Gaza est une atrocité d’une horreur absolue, et il doit être nommé pour ce qu’il est : un génocide.
6 comments
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si au moins elles pouvaient fuir par la mer …mais non israel controle le rivage …completement insense…quel pays serait assez brave irait les secourir par la mer ? aucun ,gang de laches et de toute facon les usa les empecherais, abominable genocide .
La communauté internationale ne peut pas approuver l’attaque du Hamas contre Israël, mais elle doit condamner vigoureusement les attaques disproportionnées et inhumaines contre le peuple palestinien, en majorité des femmes et des enfants.
De part cette situation on voit l’ efficacité du lobbying juif sur des supposément pays démocratiques , quand on voit aux infos un député pro sioniste pleuré sur le fait qu’ on demande un cessez le feu après 15,000 morts dont une majorité de femmes et enfants en disant on abandonne Israël honte à lui ,Mélanie Joly qui à sorti tous les noms inimaginables du Larousse pour diaboliser poutine mais pas un mot sur netanyahou on comprend pourquoi le Canada n’ est plus que l’ ombre de lui-même à l’ internationale Que nos molasses à Ottawa ferme l’ ambassade du Canada à Jérusalem Israël se fou des déclarations de l’ Occident
Un génocide ? Si on va dans ce sens-là, il serait bon de préciser qu’il est perpétré avec la complicité du Hamas, qui utilise les civils comme boucliers humains et empêche l’évacuation des civils depuis le début de l’intervention israélienne. Si vous cachez ce fait, ça veut dire que vous êtes de parti pris (ce qui n’étonnera personne).
On ne peut pas s’ériger en défenseur de la vérité quand on s’applique à la cacher !
Ou peut-être estimez-vous qu’une complicité de génocide n’a pas la moindre importance ? Quelle hypocrisie.
Excellent article, hélas pour les dures vérités qu’il contient. L’excellence des recherchistes d’IRIS se confirme: la remarque ci-dessous de Mani ne serait pertinente que si vous faisiez l’apologie du Hamas, ce que vous vous gardez heureusement de faire, puisque l’action du 7 octobre était du terrorisme aussi, mais celui de Nétanyahou multiplie cette action terroriste par + de vingt! Nos médias parlent constamment des 160 morts du séisme nippon: les 23 000 morts de la bande de Gaza, eux, sont évitables si on appliquait une pression constante sur nos politiciens.
Je partage l’essentiel de votre analyse. D’autres solutions existent et elle passent notamment par l’arrêt immédiat du régime de l’apartheid et de la colonisation sauvage des territoires occupés. Par ailleurs, sans cautionner la violence il me semble qu’il soit à propos de parler de résistance plutôt que de terrorisme lorsqu’on qualifie les actes de violence perpétrés par le Hamas. Sinon soyons clair; on devrait parler aussi du terrorisme d’état Israélien!