COMMUNIQUÉ | Développement aveugle de l’intelligence artificielle en santé au Québec
16 novembre 2023
Montréal, 16 novembre 2023 – L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publie aujourd’hui le premier portrait de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé au Québec. L’analyse de 312 projets d’IA ayant obtenu du financement public montre qu’une poignée d’entreprises d’IA en ont profité et que les retombées pour le réseau de la santé et des services sociaux ne sont pas démontrées.
Des fonds publics contrôlés majoritairement par l’industrie
La majeure partie des fonds publics destinés à l’IA sont actuellement dirigés vers des projets privés ayant une visée explicitement commerciale. Alors que chaque projet public de recherche reçoit en moyenne 70 000 $ en financement de l’État au Québec, les projets privés obtiennent au minimum 1,97 M$.
Le consortium MEDTEQ, qui gère une partie importante des fonds publics destinés à l’IA, a reçu plus de 63 millions de dollars du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie depuis 2018. Or, seule l’information relative à la distribution de 8,68 millions de dollars est disponible publiquement. Cette opacité soulève des questions dans un contexte où quatre des entreprises les plus financées de l’écosystème sont représentées sur son conseil d’administration.
« Alors qu’on parle sans cesse d’éthique de l’IA, il existe d’importants angles morts lorsqu’il est question de son financement. Le gouvernement distribue pourtant des subventions très généreuses à des entreprises qui n’ont absolument aucun compte à rendre », souligne Myriam Lavoie-Moore, chercheuse à l’IRIS et autrice de l’étude.
Retombées en santé non démontrées
Les technologies développées actuellement par le secteur privé au Québec ne répondent pas aux réels problèmes du réseau de la santé. Les demandes d’accès à l’information révèlent notamment que l’automatisation de l’analyse d’imagerie médicale, l’une des technologies phare de l’industrie de l’IA, n’améliore pas l’accès aux consultations ni le traitement post-diagnostic. Même l’entreprise Imagia, qui réunissait les plus grands experts en IA, a vu un de ses projets abandonné faute de résultats probants.
« Le gouvernement du Québec espère que l’intelligence artificielle améliorera l’efficacité du système de santé. Or, il soutient majoritairement des entreprises qui bâtissent des modèles d’affaires basés sur les secteurs lucratifs du marché international plutôt que sur les problèmes identifiés dans le réseau », estime Myriam Lavoie-Moore.
Repenser la production de l’intelligence artificielle au Québec
Les données analysées par l’IRIS confirment la nécessité d’opérer un virage dans le développement de l’IA en santé avant qu’il ne soit trop tard. Les technologies doivent être réfléchies en phase avec les fins du système public de santé, qui devraient primer sur les intérêts d’investisseurs de capital-risque.
« Pour mieux répondre aux besoins de la population, le ministère de la Santé et des Services sociaux devrait contrôler les budgets d’innovation en santé. Le personnel du réseau de la santé devrait aussi participer au choix et à l’élaboration des technologies implantées », suggère la chercheuse.
« La manière dont s’organise la production de l’IA ne peut pas être appliquée au secteur de la santé sans conséquences pour l’avenir du réseau public. Il faut revoir complètement par qui et pour qui ces technologies sont créées », conclut Myriam Lavoie-Moore.
Pour lire l’étude: bit.ly/ia-sante