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Les parcomètres de Chicago, ou comment les gouvernements organisent leur propre impuissance

28 juin 2023

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4min


En 2008, la ville de Chicago a privatisé l’entièreté de son système de parcomètres, une décision qui a eu des résultats déplorables. L’histoire des parcomètres de Chicago illustre bien comment, sous le néolibéralisme, les pouvoirs publics créent les conditions de leur propre impuissance en cédant du pouvoir à l’entreprise privée.

Avant 2008, les tarifs des parcomètres de Chicago étaient particulièrement bas, au point où ils ne rapportaient à peu près plus d’argent à la ville et où ils ne remplissaient plus leur rôle, soit de réguler le stationnement (en s’assurant par exemple qu’une même voiture n’occupe pas le stationnement toute la journée dans une zone achalandée). Toutefois, l’administration municipale n’osait pas hausser les tarifs par peur d’en payer le prix politique. On sait que les restrictions au stationnement peuvent vite soulever la colère de certains citoyens.

La ville de Chicago, dont le maire Daley (1989 à 2011) était un partisan de la privatisation à tout crin, a donc décidé de se débarrasser de son système de parcomètres en le sous-traitant à une compagnie privée. Ça semblait être une bonne affaire. La ville ferait un coup d’argent, dans un contexte où les finances publiques étaient serrées, alors que l’entreprise qui achèterait les parcomètres pourrait hausser les tarifs et dégager éventuellement un profit, sans impliquer la ville qui s’en laverait les mains. Selon l’idéologie néolibérale, l’entreprise privée gèrerait de toute manière les parcomètres plus efficacement que le service public et l’administration municipale n’aurait plus à s’en soucier.

Une compagnie appartenant principalement à la banque d’affaires Morgan Stanley a donc pris le contrôle des parcomètres de la ville dans le cadre d’un contrat d’une durée de 75 ans négocié en secret. La transaction s’est faite au coût d’un peu plus d’un milliard de dollars. Presque immédiatement, les tarifs de parcomètres ont quadruplé et ont continué d’augmenter par la suite. Dix ans plus tard, la compagnie, qui appartient maintenant à une société d’Abu Dhabi, avait remboursé son investissement initial et avait fait un profit de 500 millions de dollars.

En privatisant son système de parcomètres, l’administration municipale s’est donc privée de revenus importants. Mais elle a aussi cédé le contrôle sur une partie importante de son pouvoir d’aménagement urbain. Ces contraintes ont coûté cher à la ville lorsqu’elle a mis en place des mesures de piétonnisation et de distanciation sociale durant la pandémie. Par comparaison, la ville de Montréal, dont le système de stationnement est public, a pu agir avec succès en rendant ses rues plus conviviales pour les piéton·ne·s.

L’exemple des parcomètres de Chicago est un exemple parmi tant d’autres d’une politique néolibérale. Le néolibéralisme est une idéologie fondée sur le préjugé selon lequel le privé serait intrinsèquement plus efficace que le public. Les gouvernements néolibéraux ont donc tendance à adopter des politiques qui cèdent plus de pouvoir au privé : baisses d’impôts, privatisations, dérèglementation, etc.

Ces choix des gouvernements se font au détriment de leurs propres moyens d’agir. C’est le cas quand un gouvernement signe un accord de libre-échange qui limite sa capacité à investir localement ou à favoriser des entreprises plus écologiques ou plus socialement responsables. C’est le cas aussi quand un gouvernement se débarrasse progressivement de son expertise interne sous prétexte de « réduire la lourdeur de la fonction publique ». Si les équipes internes d’ingénierie sont affaiblies, l’État se voit obligé de recourir davantage à des firmes d’ingénierie privées qui peuvent imposer leurs conditions. De même, quand un gouvernement baisse les impôts sous prétexte de stimuler l’économie, cela profite d’abord aux plus riches et prive l’État de sommes qui auraient pu être utilisées pour des projets structurants.

Tous ces exemples enclenchent un cercle vicieux. Le gouvernement s’autocontraint en réduisant sa capacité d’action. Par le fait même, il renforce le pouvoir du secteur privé, qui peut alors se prétendre plus flexible et efficace, ce qui sert ensuite à justifier d’autres politiques néolibérales… Il serait pourtant possible de renverser la tendance, par une intervention gouvernementale qui viserait vraiment à soutenir une économie juste et résiliente.

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