Le rôle potentiel des profits dans l’inflation élevée se confirme
1 septembre 2022
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Au début du mois d’août, nous avons publié, Guillaume Hébert et moi, une première contribution visant à soulever le débat sur le rôle potentiel des profits dans l’accélération de l’inflation au Canada. Les données toutes fraîches sur les profits et bénéfices des entreprises publiées par Statistique Canada hier, qui montrent une croissance importante de ceux-ci depuis 2021, confirment notre première intuition. Pourtant, outre quelques contributions importantes de chercheurs tels que David Macdonald du Centre canadien de politiques alternatives ou Jim Stanford du Center for Future Work, cet enjeu demeure ignoré par les vedettes économistes et la Banque du Canada.
Aux États-Unis, ce débat est au cœur du débat public et a donné lieu à l’invention du mot « greedflation », qu’on pourrait traduire par « avarice-flation » (voir cet article du New York Times et ce billet de l’EPI). Plusieurs soupçonnent les entreprises d’avoir profité de la confusion liée au contexte d’inflation pour majorer leur prix au-delà de l’augmentation de leurs coûts d’opération, une manœuvre qui leur aurait permis d’engranger des profits records. D’autres entreprises, comme dans le secteur pétrolier ou des engrais, auraient tout simplement bénéficié de l’augmentation des prix sur les marchés internationaux sans pour autant que leurs coûts de production augmentent.
Les chiffres sont clairs
Trois sources différentes dont deux provenant des données de Statistique Canada et une de la compilation des données boursières par Desjardins confirment la tendance à l’accroissement des profits des entreprises canadiennes depuis le début de la poussée inflationniste.
Tout d’abord, les données sur le PIB en termes de revenus publiées le 31 août confirment qu’une part plus importante des revenus provient des profits. De manière globale, la part des profits après impôts de l’ensemble des entreprises dans le PIB a atteint au 2e trimestre de 2022 un niveau record. Il s’élevait à 18,1 % (moyenne mobile d’un an) alors que cette dernière se situait en dessous des 15 % avant la pandémie. C’est le niveau de profit le plus élevé depuis le début des années 2000. Si on regarde uniquement le résultat trimestriel (sans moyenne mobile), la part du profit monte à 19,6 % entre avril et juin 2022. De son côté, la part du PIB consacré à la rémunération des salarié·e·s décline très légèrement par rapport au niveau pré-pandémique pour passer sous la barre des 50% (49,7%), alors que cette part s’élevait à près de 51% en 2019. On remarque ainsi que l’aide gouvernementale pendant la crise n’a pas uniquement bénéficié aux individus. En effet, contrairement à la récession précédente, où les profits avaient reculé de près de 6 points de pourcentage, en 2009, on remarque à peine une descente du taux de profit de 14,3 % à 14,0 % lors du premier confinement, puis une légère hausse qui le porte au-dessus des 15 % dès le 3e trimestre de 2020.
Ensuite, les rapports des institutions financières qui suivent l’évolution des bénéfices par action des entreprises à la bourse, dont Desjardins et la Banque Nationale, ont noté une croissance moyenne de ces derniers qui va bien au-delà de la simple récupération du recul lié à la crise. Desjardins révèle que les bénéfices par actions des entreprises des index boursiers de New York et Toronto (S&P et TSX) atteignent au printemps 2022 des niveaux 30 % plus élevés qu’avant la pandémie.
Enfin, une troisième source d’information, soit les statistiques sur les bilans financiers des entreprises canadiennes, vient démontrer la même tendance. Si l’on compare le résultat annuel (juillet 2021 à juin 2022) à la moyenne des 4 années ayant précédé la pandémie (2015-2019) on constate que le ratio des bénéfices nets des entreprises sur leurs revenus totaux est passé de 7,6 % à 9,4 %. Cette augmentation de 1,8 point de pourcentage représente une augmentation annuelle de près de 25 %. Elle aura permis de générer des bénéfices nets supplémentaires de plus de 96 milliards de dollars pour l’ensemble des entreprises dans les 12 derniers mois.
Il n’est pas surprenant de voir le secteur des matières premières profiter de la hausse des prix internationaux. Particulièrement grâce aux mines et aux entreprises d’extraction du pétrole et du gaz, les profits passent en territoire positif et le secteur enregistre des bénéfices nets supplémentaires avoisinant les 60 milliards de dollars. Quant au secteur de la fabrication, il voit son taux de bénéfices passer de 5,7% à 6,8 %, ce qui lui permet d’engranger un 8,3 milliards de dollars de bénéfices en plus. La croissance des profits est particulièrement forte dans la fabrication des produits du bois ou de papier. La marge de bénéfices est passée de 5,7 à 12,4 %.
Le secteur de la vente a lui aussi connu une amélioration des taux de bénéfices, qui sont passés de 2,8 à 3,5 %. Cela représente 11 milliards de dollars de bénéfices en plus. Les concessionnaires automobiles ont engrangé des profits supplémentaires de 4,3 milliards de dollars dans la dernière année. Les magasins d’alimentation ont plus que doublé leur marge de profits, encaissant plus de 3 milliards de dollars de bénéfices supplémentaires dans la dernière année.
On remarque cela dit que le secteur des services autres que le commerce est encore durement affecté par la pandémie. Son taux de bénéfices nets est en recul de plus de 0,7 point de pourcentage, ce qui a donné lieu à un bénéfice net total amputé de plus de 8,5 milliards de dollars. Du côté du secteur financier, le ratio de bénéfice est passé d’une moyenne de 23 % avant la pandémie à 27,7 % dans la dernière année. C’est un profit excédentaire de 25 milliards de dollars que ce secteur a pu engranger.
Profits élevés et concentration des marchés
La capacité des entreprises de fixer les prix s’explique en bonne partie par leur concentration de plus en plus importante et par la faible concurrence sur plusieurs marchés. Par exemple, dans le secteur de l’alimentation, Loblaws, Costco, Sobeys, Metro et Walmart contrôlent à eux cinq 60% du marché canadien. À si peu de joueurs, il devient facile de prétexter les problèmes d’approvisionnement, les sécheresses ou les coûts de transport pour gonfler les prix sans craindre que la clientèle ne les déserte.
Les chiffres sont clairs. Peu importe la source et l’angle d’analyse, l’hypothèse que les entreprises ont exagéré l’augmentation de leurs prix par rapport à l’augmentation de leurs coûts de production semble se vérifier. Nos données montrent clairement que les profits de la majorité des entreprises ont connu une hausse fulgurante. Dans un contexte où les consommatrices et les consommateurs doivent se serrer la ceinture face à l’inflation, il peut apparaître choquant que les actionnaires et propriétaires remplissent leurs poches. Est-ce que cette avarice explique à elle seule l’inflation ? Bien sûr que non, mais la preuve qu’elle y contribue de façon importante est assez lourde pour que le gouvernement et la Banque du Canada s’en préoccupent et proposent des solutions pour y remédier.
2 comments
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Très bonne analyse ! On retrouve la même situation en France :
https://institut-rousseau.fr/linflation-par-les-profits-la-derniere-nouvelle-bequille-dun-capitalisme-actionnarial-ecocidaire-et-moribond/
Quelle est la source de l’inflation?
L’augmentation des prix, des profits, des salaires et des intérêts ne font que l’empirer.
Alors quoi?
Le pouvoirs des banques privées de créer et d’utiliser l’argent-dette!
Voila!
Ce pouvoir doit être détruit à tout jamais!