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La spéculation alimentaire, l’inflation et le roi des oignons

13 juillet 2022

Lecture

5min


L’inflation alimentaire est sans doute un des sujets les plus chauds à l’heure actuelle. Au Québec, les prix des aliments en épicerie ont augmenté de 9,8 % sur un an en mai 2022. Cette situation affecte davantage les ménages les plus pauvres que les plus riches, dans la mesure où 85 % des Canadien·ne·s qui font partie du quintile le plus pauvre ont été affectés négativement dans leur capacité à assumer leurs dépenses, contre 56 % pour le quintile le plus fortuné.

Cela étant dit, la hausse du prix des aliments met en lumière les effets néfastes de la spéculation alimentaire. Le mois dernier, George Mondiot montrait dans un éditorial du journal The Guardian que la pandémie, la guerre en Ukraine et leurs effets sur les chaînes d’approvisionnement ne sont pas les seuls facteurs qui contribuent à l’instabilité du marché de l’alimentation.

Est-ce que la faim dans le monde augmente ?

Mondiot souligne que le nombre de personnes sous-alimentées est passé de 811 millions en 2005 à 607 millions en 2014. En 2015, la tendance a commencé à s’inverser et le nombre de personnes sous-alimentées est passé à 650 millions en 2019, mais est revenu à 811 millions en 2020.

Le problème, c’est que cette tendance s’observe à une époque où la production alimentaire mondiale augmente régulièrement depuis plus d’un demi-siècle, dépassant largement la croissance démographique. Par exemple, l’année dernière, la récolte mondiale de céréales a été plus importante que jamais, comme on peut le voir au graphique suivant.

Fait étonnant, le nombre de personnes sous-alimentées a commencé à augmenter en 2014, au moment même où les prix alimentaires mondiaux connaissaient une baisse importante qui s’est maintenue jusqu’en 2020, comme le montre le prochain graphique.

Comment est-ce possible ?

Le système de production et de distribution de nourriture est un marché complexe où les risques de spéculation sont grands. Par exemple, on considère que 90 % des transactions sur le marché des grains et des céréales sont attribuables à 4 grandes corporations. Dans ce contexte, il est évident que les possibilités de spéculation et de formation d’un oligopole sont propices à une hausse des prix et s’ajoutent aux facteurs conjoncturels. D’ailleurs, la résilience de ce marché est mise en cause par bon nombre d’expert·e·s qui craignent un écroulement semblable à celui du système financier suite à la crise des « subprimes » de 2008, où des initiés avaient transformé des produits bas de gamme en produits financiers qui ont suscité un engouement avant que leur prix ne s’emballe et redescende brusquement.

Qu’est-ce qu’on peut faire ?

La principale solution à la spéculation sur le prix des aliments est, comme pour n’importe quel marché, la régulation. Si l’on reconnaît l’importance de favoriser l’autonomie alimentaire à travers le monde et d’éradiquer le phénomène de la sous-alimentation, il semble absurde que les transactions sur les marchés de produits alimentaires ne soient pas ou que très peu réglementées.

L’histoire loufoque de la réglementation états-unienne des oignons

Il existe un exemple marquant de réglementation alimentaire qui a été instaurée, vous l’aurez deviné, suite à des abus d’acteurs du secteur financier. Pour le moment, très peu de transactions sur les marchés des aliments sont réglementées. Aux États-Unis, un seul l’est : celui des oignons.

Un fermier du nom de Vince Kassuga, surnommé « The Onion King » (le roi des oignons) et qui se spécialisait dans la production et la vente de ce bulbe, avait réussi en 1955 à s’accaparer (« corner a market ») l’entièreté du marché des oignons grâce à l’apport d’investisseurs discrets et d’entrepôts délabrés. Détenant alors 98 % des oignons en Amérique, il est devenu très riche en les vendant au prix qu’il voulait.

Kassuga ne s’est pas arrêté là. Après la saison durant laquelle il a pris d’assaut le marché de l’oignon, il a utilisé sa position privilégiée pour faire une vente à découvert (« short selling » en anglais) de cet aliment, c’est-à-dire qu’il a commencé à parier contre eux : si le prix des oignons baissait, il gagnerait de l’argent. Il a gardé les oignons jusqu’au moment propice où il a littéralement inondé le marché avec sa production. Au terme de son plan, les oignons coûtaient moins cher que les sacs dans lesquels ils étaient gardés. Leur valeur était si faible que les commerçants ne pouvaient carrément plus les vendre et qu’ils se voyaient obligés de jeter leurs surplus. La chute du prix des oignons a alors permis à Kassuga de devenir multimillionnaire.

C’est suite à cet épisode que Gerald Ford, à l’époque membre du Congrès américain et futur président des États-Unis, a passé le « Onion Futures Act » en 1958 qui interdisait de spéculer sur le prix des oignons.

La réglementation contre les abus

S’il est vrai que nous disposons aujourd’hui de plus d’informations sur les marchés que les contemporains de M. Kassuga et que ses tactiques pour parier contre les prix des denrées alimentaires seraient rapidement démasquées, il existe encore des oligopoles capables de spéculer sur le marché de l’alimentation, avec les conséquences néfastes que l’on connaît.

La capacité de production de nourriture de notre planète est suffisante pour éradiquer dans une large mesure les problèmes de sous-alimentation. Cependant, avec la crise climatique et ses effets délétères sur les écosystèmes, cette capacité de production sera bientôt mise à mal. Il sera donc nécessaire de réguler les marchés des aliments pour faire face aux défis tant sociaux qu’environnementaux qui nous attendent, à défaut de quoi nous serons plongés dans une crise dont les conséquences à long terme sont à craindre.

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1 comment

  1. Jamais, dans l’histoire, un monopole n’a servi les intérêts du peuple.

    L’accès aux biens premiers, tel que définis par Michel Chartrand, est fondamental.

    Malheureusement, le but unique d’une entreprise est “le bien-être de ses actionnaires”.

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