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Pourquoi divulguer à l’avance un rapport du GIEC aux médias ?

7 octobre 2021

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5min

  • Bertrand Schepper

Au mois d’août dernier, nous apprenions que les médias CTXT et MR Online avaient obtenu les premières versions du résumé et du premier chapitre du prochain rapport du groupe III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces documents indiquent clairement que le modèle de croissance économique sur lequel repose l’économie capitaliste n’est pas viable pour la planète. Alors que la prochaine rencontre internationale sur le climat, la COP26, se tiendra en novembre prochain, on peut se questionner sur les raisons qui ont poussé les scientifiques du GIEC à dévoiler leurs conclusions aux médias.

Qu’est-ce que le groupe III du GIEC ? 

Créé en 1988, le GIEC a pour mandat d’étudier en détail l’état des connaissances scientifiques, techniques et socioéconomiques sur les changements climatiques, ainsi que d’informer sur leurs causes, leurs répercussions et les stratégies pour les atténuer ou les contrer. Pour ce faire, il publie périodiquement des rapports complets sur la situation. Le GIEC travaille présentement sur son 6e rapport d’évaluation qui est divisé en plusieurs sections dirigées par 3 groupes de travail.  

La première partie du 6e rapport d’évaluation du GIEC a été publiée le 9 octobre dernier. Dirigé par le groupe de travail I qui est responsable d’établir l’état actuel des changements climatiques, le rapport intitulé « Climate change 2021 : The physical science basis » montre avec certitude que l’utilisation d’énergies fossiles et l’activité humaine sont à l’origine du réchauffement planétaire. Il indique aussi qu’une augmentation de 1,5 °C de la température moyenne du globe d’ici 2030 est inévitable et qu’elle entraînera une multiplication du nombre d’événements climatiques extrêmes ainsi qu’une augmentation du niveau des mers plus élevée que prévu. Le rapport ajoute toutefois qu’une diminution « brutale et immédiate » des émissions de GES pourrait stabiliser le climat.  

Quel est le processus de production d’un rapport du GIEC ?

Pilotée par le groupe de travail II, la partie II du rapport du GIEC sera publiée en février 2022 et portera sur les impacts du réchauffement climatique. Le rapport III dirigé par le groupe de travail III doit pour sa part être déposé en mars 2022 et présente les moyens de mitiger et d’atténuer le réchauffement de la planète. 

Normalement, lorsque le GIEC publie un rapport, deux éléments principaux sont présentés: 1) le rapport complet de plusieurs milliers de pages publiés par les scientifiques et 2) le sommaire à l’intention des dirigeants qui fait quelques dizaines de pages. Il est généralement reconnu que le second document est beaucoup plus lu que le premier, bien qu’il soit rédigé en grande partie par du personnel politique plus susceptible de vouloir plaire aux dirigeant·e·s. Notons que plusieurs critiquent le GIEC en raison de l’omniprésence de la pensée économique néoclassique en son sein, qui aurait pour effet d’écarter un éventail de solutions plus radicales.

C’est du moins l’une des principales critiques qui a été formulée à l’endroit des précédents rapports du groupe de travail III. Par le passé, les travaux de ce groupe se basaient notamment sur les conclusions de l’économiste William Nordhaus. Ce lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (faussement qualifié de prix « Nobel » d’économie) est un chantre de la pensée néoclassique, un pionnier dans l’application de la pensée économique néoclassique à la lutte contre les GES et un ardent défenseur du capitalisme vert. Son travail est notamment à l’origine du concept de bourse du carbone. Son travail est guidé par la recherche de croissance économique et par la croyance que cet objectif peut être atteint en limitant l’intervention de l’État d’un côté et en ayant recours aux technologies de l’autre. Mais alors que la tendance au réchauffement se poursuit, la validité de ces théories reste à démontrer et tout indique que des mesures plus ambitieuses devront être adoptées.

Pourquoi divulguer le rapport du groupe III

L’équipe d’expert·e·s du groupe III a connu dernièrement d’importants remaniements et s’éloigne maintenant de la pensée économique néoclassique. La lecture de la table des matières et du résumé du rapport du groupe III contraste avec les positions historiques du GIEC. Il y est question de diminuer la consommation, plus particulièrement la consommation d’énergie employée pour faire rouler les automobiles et pour nourrir les animaux utilisés pour produire de la viande. Le rapport vante les mérites des projets d’économie d’énergie ou de production énergétique locale, souvent plus créateurs d’emplois que les grands projets d’exploitation d’hydrocarbures. Selon le résumé de ce rapport, il faut aussi transformer les villes en construisant des infrastructures économes en ressources de sorte à réduire les GES par habitant de 36 à 56 %. Le rapport du GIEC propose aussi d’intégrer plus directement le concept de transition juste dans les politiques publiques pour réduire les inégalités sociales. Bref, il suggère de mettre en place des politiques qui s’éloignent de l’idée d’augmenter la croissance économique à tout prix. 

Dans ces conditions, il est possible que la publication du rapport du groupe III du GIEC génère des critiques ou des remises en question qu’une équipe de réviseurs veuille éviter. C’est pourquoi il est facile d’imaginer que le groupe d’expert·e·s subit une pression immense pour atténuer les conclusions de son rapport. Si cela était vrai, le fait de divulguer à l’avance  l’information à des médias rendrait la tâche plus difficile pour des censeurs. 

Évidemment, nous ne pourrons pas savoir ce qui s’est réellement passé. Par contre, lorsque le rapport du groupe III sera officiellement déposé en mars prochain, il sera intéressant de voir si le GIEC proposera des transformations profondes du système en place ou s’il continuera à soutenir le statu quo.

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2 comments

  1. Les scientifiques commencent à être nombreux à ne plus avoir peur d’affirmer que “la croissance infinie” et “la consommation sans fin” ne sont pas viables.

    Il est plus que temps de retirer tout pouvoir à l’oligarchie ploutocratique, cette destructrice de monde au service du seul profit au nom d’une minuscule minorité!

  2. L’oligarchie ploutocratique a le pouvoir sur la planète entière, ou presque.
    Pas question pour elle de laisser les rênes du pouvoir à quiconque d’autre!
    Peu importe les conséquences!
    La croissance infinie et la consommation sans frein sont au coeur de tous ses dogmes.

    Si la finance et le commerce étaient fondés sur la production et l’enrichissement populaire, nous aurions évité la situation actuelle qui ne permet déjà plus de retour en arrière. Tout au plus, pouvions-nous limiter les dégâts… Si on avait commencé à agir il y a 20 ans… On a raté ce rendez-vous!
    Maintenant, il est for réaliste de croire que le remède requis risque de tuer le patient.

    Déjà que le mot “économie” a été sauvagement détourné de sons sens d’origine, tout comme le mot “démocratie” d’ailleurs.
    On est donc très mal partis pour s’entendre avec un dictionnaire édité à la sauce Babel!

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