Le sous-financement des services de garde est un biais de genre
31 août 2021
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Au mois de mars, une ingénieure témoignait de la peur viscérale qui l’habite depuis qu’elle sait que sa carrière est menacée par le manque de places dans les services de garde éducatifs à l’enfance (SGEE) : « J’ai peur de perdre mon emploi pour lequel j’ai travaillé très fort et que j’adore. J’ai la chance d’avoir un emploi que j’aime autant qu’un loisir et ça me crèverait le cœur d’avoir à choisir entre mon bébé et cette occupation. ». Depuis, Ottawa a annoncé la mise sur pied d’un réseau national de services de garde. Maintenant que le fédéral a promis de compenser le Québec à hauteur de 6 milliards sur 5 ans pour son programme de garderies publiques, le gouvernement de François Legault a largement les moyens d’éviter à cette mère ingénieure et aux milliers d’autres parents dans sa situation d’abandonner leurs projets personnels et professionnels. Les plus récentes annonces du ministère de la Famille témoignent cependant de sa grande réticence à fournir aux parents les services auxquels ils ont droit.
SEULS 2 PARENTS SUR 10 DANS LE BESOIN BÉNÉFICIERONT DE L’ANNONCE
Le 31 juin 2021, 43 358 enfants auraient dû fréquenter un milieu de garde reconnu par le ministère de la Famille. Presque autant de parents, majoritairement des mères, auraient voulu retourner au travail ou sur les bancs d’école. Ils et elles sont toutefois contraint·e·s de s’organiser seul·e·s ou avec l’aide d’un proche, car le Québec est aux prises avec une pénurie de places en SGEE depuis de nombreuses années. En ce moment, 15% des parents souhaitant faire garder leur enfant dans une institution reconnue n’ont droit à aucun service. Ils n’ont à leur disposition ni services publics ni services privés. Ce chiffre monte à 21% lorsqu’on y ajoute les près de 24 000 parents qui sont en attente d’un autre milieu de garde parce que le leur est soit trop cher (le tarif en garderie privée peut atteindre plus de 70$ par jour), soit de piètre qualité ou soit trop éloigné. En ce sens, les 9014 nouvelles places annoncées le 23 août seront largement insuffisantes pour régler le problème d’accès à moyen terme. Une fois qu’elles seront créées, 34 687 enfants sans place devront encore rester auprès d’un parent.
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LES PARENTS DES RÉGIONS FONT FACE À UNE PLUS GRANDE INCERTITUDE
Selon les données du ministère de la Famille, 35 MRC et villes présentent un « déficit fort » de places en service de garde. Pour combler seulement la demande de ces milieux, 6 498 places devraient être créées. Les 9014 nouvelles places annoncées lundi dernier sont donc largement insuffisantes pour résoudre la pénurie actuelle, qui touche la plupart des villes et villages du Québec.
Parmi ces 35 MRC, les 13 qui figurent dans la liste ci-bas forment le triste palmarès des régions où moins de 80% des enfants de 0 à 4 ans fréquentent un service de garde. Les habitant·e·s de ces villages et ces villes sont celles et ceux dont les projets de carrière ou d’étude sont le plus compromis par la situation actuelle. Rappelons que les annonces concernant la conversion des garderies non subventionnées en garderies subventionnées ne seront d’aucune aide pour ces milieux où les services sont souvent seulement offerts par les CPE et les milieux familiaux.
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VERS UNE NORMALISATION DU RETRAIT DES FEMMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL?
Bien que le Québec dispose désormais de 6 milliards de dollars supplémentaires pour investir dans son réseau de SGEE, on ne connaît pas encore les sommes qui seront allouées à la création de places supplémentaires. Le Plan des infrastructures 2021-2031 prévoyait des investissements dans les services de garde de 355 millions sur 10 ans. Rappelons que cette enveloppe est non seulement la plus maigre de tout le budget 2021-2022, mais aussi celle qui a proportionnellement connu la plus faible augmentation. Qu’est-ce qui retient le gouvernement de compléter un réseau de qualité en créant des infrastructures publiques et en améliorant les conditions de travail des éducatrices?
En refusant d’investir dans les services de garde, le gouvernement du Québec reconduit le biais genré des politiques économiques qui favorisent la présence des hommes sur le marché du travail plutôt que celle des femmes. Comme elles gagnent souvent un salaire moins élevé que leur conjoint, il est fiscalement plus avantageux pour elles de demeurer à la maison durant le congé parental. L’inégalité salariale s’accentue ainsi après la venue d’un premier enfant puisque les mères assument plus souvent les responsabilités familiales que les hommes. Le manque de places en SGEE agit donc comme un frein supplémentaire à l’égalité salariale. L’obligation de devoir demeurer à la maison pour s’occuper d’un jeune enfant à temps plein se révèle être une surprise pour les nouvelles mères qui s’attendaient à poursuivre leur carrière. En ce sens, la pénurie des SGEE pourrait normaliser le retrait du travail, qui serait alors perçu comme une conséquence inévitable de la maternité. Pour contrer cette tendance, le gouvernement doit affronter son biais de genre économique et investir massivement dans des SGEE de qualité.