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Uchronie d’une pandémie : et si le projet initial des clsc s’était réalisé?

22 avril 2021

  • Anne Plourde

Les centres locaux de services communautaires (CLSC) auraient fêté leur cinquantième anniversaire de naissance cette année. Le conditionnel s’impose parce que ce modèle unique dans le monde occidental, créé au Québec et encensé à l’international, est aujourd’hui en lambeaux, victime d’un sabotage perpétré par les fédérations médicales et les gouvernements successifs, eux-mêmes soumis aux pressions du milieu des affaires en faveur d’une privatisation des services et d’un démantèlement de l’État social. Alors que la troisième vague de COVID-19 déferle sur le Québec, déjà lourdement endeuillé par un des pires bilans au monde quant au nombre de décès provoqués par la pandémie, on peut se demander : la réalisation du projet initial des CLSC nous aurait-elle permis de faire mieux?

Au cœur du modèle des CLSC se trouvait avant tout une remise en question de ce qui était déjà à l’époque le modèle dominant de soins, centré sur les médecins, les hôpitaux et les médicaments. On visait à remplacer cette conception étroite de la santé par une approche globale, sociale et communautaire qui devait s’incarner dans un réseau complet de cliniques publiques créées et gérées par les communautés locales, disséminées partout sur le territoire québécois et dotées d’équipes multidisciplinaires diversifiées, capables de prendre en charge 80% des besoins sociaux et de santé de la population. Autrement dit, si ce projet s’était réalisé, nous aurions fait face à la pandémie avec une approche et des ressources qui nous auraient permis de dépasser la prise en charge strictement médicale des corps individuels.

Pourtant, encore aujourd’hui, la part du lion des ressources investies en santé et services sociaux est consacrée aux mêmes trois postes de dépense, au détriment de tout le reste. La vision hospitalo-centrique prédominante explique d’ailleurs en partie qu’en préparation à la pandémie, le gouvernement ait concentré l’essentiel de son attention sur les hôpitaux, négligeant les CHSLD où le virus était pourtant susceptible de faire les pires ravages. Et alors que les médecins accaparent près de 20% du budget total du ministère de la Santé et des Services sociaux, force est de constater que depuis le début de la première vague, ce n’est pas d’un déficit de médecins dont nous avons principalement souffert, mais bien de pénuries dans toutes les autres catégories d’emploi du réseau.

Or, si les CLSC avaient déployé leur plein potentiel et étaient parvenus à remettre en question l’hégémonie de l’hôpital et de la profession médicale dans le secteur de la santé et des services sociaux, nous n’aurions peut-être pas manqué : de préposées aux bénéficiaires pour que les personnes hébergées en CHSLD soient nourries, lavées et traitées dignement; d’infirmières pour assister les chirurgien·ne·s et éviter le report d’interventions vitales; de travailleuses sociales, de psychologues et d’intervenantes en santé mentale pour apporter le soutien nécessaire aux personnes éprouvées par l’isolement social prolongé; d’auxiliaires familiales pour offrir des services à domicile de qualité et réduire le nombre de personnes forcées de « choisir » le déménagement en résidences privées pour aîné·e·s, où la pandémie a fait 20% de ses victimes; d’organisatrices et d’organisateurs communautaires pour stimuler des solutions collectives aux problèmes sociosanitaires inédits provoqués par le confinement.

Au moment de leur création en 1971, les CLSC étaient conçus comme des vecteurs de changement; ils devaient contribuer à transformer l’approche biomédicale et hospitalo-centrique dominante au sein du réseau, et plus globalement la société elle-même, gangrenée par des conditions de vie et de travail toxiques et par des inégalités sociales criantes, dont les conséquences sur la santé ont été à nouveau mises en évidence par la pandémie. En les démantelant, les élites politiques, économiques et médicales du Québec se sont débarrassées d’un modèle dérangeant pour elles, mais qui se voulait émancipateur pour le reste de la population. Cinquante ans plus tard, nous en payons plus que jamais le prix.

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1 comment

  1. Je suis en accord avec vous sur l’identification de la cause de l’inefficacité actuelle des CLSC. Une plaie issue en grande partie par le paiement à l’acte des médecins dans la vaste majorité des cas et aussi du changement de leur statut en regard des impôts à payer sous la gouvernance de l’équipe Charest-Couillard (Premier ministre / ministre de la Santé), soit le statut de travailleurs autonomes alors qu’en raison de l’assurance maladie, leur clientèle est captive. Enfin, privatisation : d’une part, cliniques privées (3 catégories toutes dirigées par des médecins – certaines spécialisées en chirurgie des hanches et des genoux – très payantes – les services post-opératoires étant assumés par les CLSC) plutôt que CLSC; d’autre part , Agences privées de placement des infirmières, infirmières auxiliaires, préposés aux malades, ayant à leur tête des infirmières – dans quelle proportion, cette donnée est manquante dans votre étude – qui recrutent dans le milieu hospitalier, les vidant ainsi au profit des propriétaires de celles-ci)

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