Budget 2021: une approche étriquée de la relance
26 mars 2021
Cadre financier
En 2021-2022, les revenus du gouvernement atteindront 122 567 M$ et les dépenses s’élèveront à 125 471 M$. Le gouvernement calcule séparément les dépenses pour les mesures de soutien et de relance liées à la COVID-19 (4 284 M$), celles occasionnées par une réforme comptable (732 M$) et celles dédiées à une provision pour les risques économiques (1 250 M$). Le déficit total atteint 9,1 G$. Malheureusement, le gouvernement verse aussi plus de 3 G$ dans le Fonds des générations, portant le déficit à un total de 12,3 G$.
Fait intéressant, en dépit de ce déficit, la dette brute du gouvernement du Québec calculée en pourcentage du PIB sera en baisse. Après être passée de 43,2 % à 49,5 % du PIB durant la dernière année, il est prévu qu’elle redescende à 49,2 % d’ici au 31 mars 2022. À titre de comparaison, l’Ontario, qui présentait un budget déficitaire de 33 G$ mercredi, verra son endettement passer de 47,1 % à 48,8 % de son PIB durant le prochain exercice financier.
Santé
Les dépenses en santé et services sociaux sont à l’image de cette année complètement hors-norme. Les dépenses pour lutter contre la COVID-19 ont fait bondir ce poste budgétaire dans le dernier exercice, ajoutant 6,6 G$ à ce qui était prévu l’année dernière. Notons que ces anomalies rendent ardue l’analyse des données budgétaires. En excluant ces dépenses, le portefeuille de la santé et des services sociaux a crû de 5,8 %, pour atteindre 49,9 G$.
En santé, le gouvernement met l’accent sur les dépenses engagées pour « vaincre la crise sanitaire » (2,3 G$), parmi lesquelles il faut compter 635 M$ en primes pour les travailleuses et les travailleurs de la santé, 635 M$ pour du matériel de protection personnelle et 750 M$ pour l’ajout de personnel. 350 M$ sont également prévus pour la vaccination en 2021-2022.
Évidemment, du côté des crédits, c’est en santé publique qu’on voit le bond le plus important. Le graphique ci-bas montre que ce poste budgétaire, qui a subi des coupes sous le gouvernement libéral et se maintenant sous la barre des 500 M$ (et sous l’inflation), a atteint plus de 3 G$ au cours de l’exercice qui se termine. Le budget 2021-2022 prévoit des dépenses de santé publique qui redescendent à 577 M$, soit une diminution de 23,4 % par rapport au budget 2020-2021. Deux constats s’imposent : 1) on voit à quel point il coûte cher de sacrifier la santé publique comme on l’a fait dans les dernières années en lui consacrant des augmentations annuelles faméliques et 2) l’augmentation de cette année ne permet pourtant pas de rattraper le retard causé par la stagnation des sept dernières années.
Du côté du soutien à l’autonomie des personnes âgées, les désastres observés dans les CHSLD font grimper de 30,8 % les dépenses pour l’hébergement par rapport aux dépenses de 2020-2021, ce qui représente un milliard de dollars de plus. Le rythme est moindre en soutien à domicile (+12,9 %) alors même qu’on soupçonne que le sous-financement de ce poste budgétaire est responsable du nombre nettement plus élevé de décès de la COVID-19 au Québec par rapport à d’autres juridictions telles que l’Ontario. La hausse accélérée des dernières années aura donc été nettement insuffisante, tout comme le rythme actuel de dépenses qui force chaque composante du réseau à devoir composer avec des cas plus lourds que ses moyens ne le lui permettent.
Compte tenu des effets néfastes des nombreux mois de confinement sur la santé mentale de la population et du sous-financement chronique qui a miné ce poste budgétaire dans les dernières années, on pouvait également s’attendre à un réinvestissement massif de ce côté. L’IRIS évaluait à 550 M$ les besoins dans ce domaine. Ce sont plutôt des mesures représentant 57,5 M$ par année que le gouvernement a annoncées hier.
Les autres mesures annoncées en santé comprennent l’amélioration des services de première ligne (105 M$), la réponse aux besoins des personnes vulnérables (51 M$) et des services pour les jeunes en difficulté (50 M$).
Éducation
En matière d’éducation, on observe deux types de mesures dans le budget Girard : celles visant à atténuer les effets de la pandémie (ex. : combler les retards scolaires au primaire et au secondaire, alléger le fardeau financier des étudiants postsecondaires, etc.) et celles qui poursuivent des objectifs qui étaient déjà présents dans les plans du gouvernement (ex : le déploiement des classes de maternelle 4 ans, l’amélioration de l’état des écoles, soutenir la réussite scolaire et hausser les taux de diplomation, etc.).
Une volonté claire de financer le virage numérique dans le secteur de l’éducation apparaît aussi dans ce budget, le gouvernement cherchant manifestement à tirer profit de la pandémie pour accélérer cette transformation. Au primaire et au secondaire, 5,3 M$ sont ainsi prévus en 2021-2022 pour « poursuivre le virage numérique par l’intelligence artificielle », notamment pour favoriser la réussite scolaire par le recours à l’analyse prédictive des risques d’échecs scolaires.
Du côté de l’enseignement supérieur, le budget prévoit 85 M$ sur cinq ans, dont 20 M$ cette année, pour déployer davantage de solutions numériques dans les cégeps et les universités. Autrement dit, on vise la consolidation et l’amélioration des pratiques pédagogiques d’enseignement à distance expérimentées pendant la pandémie bien que celles-ci soient loin de faire l’unanimité.
Des 574 M$ sur 5 ans annoncés pour soutenir la réussite scolaire (l’un des thèmes centraux de ce budget), 205,2 M$ sont prévus en 2021-2022. La moitié de cette somme (110 M$) doit servir à combler les retards scolaires engendrés par la crise liée à la pandémie.
Les 95,2 M$ restants serviront cette année à financer différentes mesures :
- Valoriser, attirer et mobiliser le personnel scolaire (10 M$).
- Ajouter des classes pour les élèves à besoins particuliers (13 M$)
- Favoriser la réussite des élèves autochtones et l’égalité des chances (5 M$)
- Favoriser l’accès à des services de garde en milieu scolaire (13,3 M$)
- Améliorer l’état des établissements scolaires (45 M$)
- Poursuivre le virage numérique par l’intelligence artificielle (5,3 M$)
669 M$ sont également prévus sur 5 ans, dont 277,6 M$ cette année, pour appuyer la persévérance et la diplomation en enseignement supérieur. 55% de ce montant est alloué à certaines mesures d’aide ponctuelles visant à pallier les effets de la pandémie sur les finances des étudiant·e·s postsecondaires. D’une part, un montant forfaitaire de 100$ par session (pour un maximum de deux sessions) est offert à tous les étudiant·e·s (82,6 M$) et d’autre part, les intérêts sur les prêts étudiants sont éliminés pendant un an (72 M$).
On remarque aussi des investissements ciblés visant à accroître le nombre de diplômés dans certains secteurs spécifiques où le besoin de main-d’œuvre a été accru par la pandémie, ce qui fait écho à l’approche habituelle de la CAQ qui mise sur l’arrimage entre la formation et les besoins immédiats du marché du travail.
- Formation de plus d’infirmières (7 M$)
- Bourses aux étudiants et étudiantes de cégeps en technologies de l’information (5 M$)
- Favoriser l’attraction et la diplomation en technologies de l’information (25 M$)
À lui seul, le domaine des technologies de l’information recueille 30 M$, ce qui équivaut à 10,8 % de la somme totale annoncée en enseignement supérieur pour cette année. Si on ajoute à cela les sommes prévues pour le virage numérique, on arrive à 50 M$, soit 18% du total de 277,6 M$.
Autres politiques sociales
En éducation à la petite enfance, 14 M$ sont prévus en 2021-2022 pour former davantage d’éducatrices à la petite enfance et accroître la main-d’œuvre qualifiée en services de garde. 16,3 M$ sont également prévus pour de nouvelles places en garderie en milieu familial. L’IRIS avait calculé en 2018 que le simple rétablissement des subventions de fonctionnement au niveau de 2013 pour les garderies en milieu familial représentait une somme de 154 M$. Autant dire que le gouvernement fait peu d’effort pour favoriser le retour en emploi des femmes, alors que la pandémie a forcé plusieurs d’entre elles à quitter la force de travail.
Le budget Girard prévoit 500 nouveaux logements sociaux pour l’entièreté du Québec. La faiblesse de ce chiffre est frappante lorsque comparée aux besoins, certes, mais aussi en raison de l’argent reçu du gouvernement fédéral (130 M$) et des demandes minimales de la Ville de Montréal, qui comptait plutôt sur 1500 nouveaux logements pour atteindre ses objectifs officiels. Le gouvernement de la CAQ ne semble avoir accordé aucune importance à la crise du logement qui sévit un peu partout au Québec et qui a même amené des Montréalais·e·s à installer des campements et dormir dans des tentes l’été dernier.
Parmi les Mesures pour répondre aux besoins spécifiques des Québécois, des mesures sont prévues pour les prestataires de l’aide sociale, soit la bonification des prestations spéciales de santé qui représente 1,3 M$ en 2021-2022. Il est à noter que ces prestations n’avaient pas été bonifiées depuis 2006. Un maigre 27,2 M$ est aussi consacré en 2021-2022 à « favoriser le financement des organismes communautaires et l’accès à leurs services ».
4,5 M$ pour 2021-2022 ont été annoncés pour rehausser les services pour les femmes victimes de violence conjugale, ce qui est très peu considérant la vague de féminicides qu’a pourtant déplorée le premier ministre lui-même.
Enfin, le gouvernement caquiste est parvenu à faire pire que s’obstiner à ne pas reconnaître l'existence du racisme systématique au Québec en ne prévoyant aucune dépense pour la lutte contre le racisme cette année. Les seules mentions du mot « racisme » tiennent sur une page où sont annoncées des mesures sur le « repositionnement du modèle policier » totalisant 25 M$ d’ici 2023-2024.
Soutien aux entreprises
Signe que certains secteurs de l’économie sont encore à l’arrêt, le gouvernement prévoit 150 M$ pour deux programmes de soutien aux entreprises touchées par la pandémie: le Programme d’action concertée temporaire pour les entreprises (PACTE) et le programme Aide d’urgence aux petites et moyennes entreprises (PAUPME). 25 M$ sont aussi prévus en 2021-2022 pour stimuler les investissements privés dans le secteur touristique.
Le budget comprend également une prolongation du crédit de cotisation des employeurs au Fonds des services de santé pour les employés en congé payé, un cadeau qui représente une dépense de 8,8 M$ en 2021-2022 pour le gouvernement (64,5 M$ depuis la mise en place de cette mesure).
Pour le reste, le gouvernement n’a pas saisi l’occasion de la crise pour réviser sa stratégie économique. Près de la moitié du budget dédié cette année à la « nouvelle économie » (683 M$) se concentre dans des politiques fiscales favorisant le virage numérique des entreprises et, par le fait même, les entreprises des technologies de l’information. Ces dernières bénéficieront également des mesures favorisant la recherche et le développement ainsi que des investissements dans les infrastructures technologiques de pointe (33 M$ en 2021-2022).
Parmi les mesures visant à encourager les entreprises à adopter les nouvelles technologies pour accroître leur productivité, on retrouve aussi une réduction du taux d’imposition des PME (dépense de 44,9 M$ en 2021-2022) pour favoriser les investissements en automatisation et technologies numériques. Par le passé, les baisses d’impôt accordées aux entreprises n’ont pourtant pas coïncidé avec une hausse des investissements. De plus, cette mesure représente une perte de revenus récurrente pour le gouvernement.
Le secteur de l’intelligence artificielle (IA), s’il ne récolte pas cette année de case budgétaire à part entière, profitera de ces derniers investissements de même que de certains projets dont la stratégie d’intégration de l’IA au sein de l’Administration publique, qui devrait être annoncée au printemps, ou encore par l’intermédiaire des sommes dédiées à la prévention des échecs scolaires évoquées plus haut.
Quant à l’ajout de 595 M$ destinés au branchement des foyers à Internet haute vitesse, avec les 14,7 M$ supplémentaires accordés à l’installation de la 5G (ENCQOR), cette mesure soulève des questions pressantes quant à la nationalisation des infrastructures physiques des télécommunications.
Mentionnons finalement que le gouvernement Legault fait à nouveau la preuve qu’il minimise la crise climatique en cours en subordonnant l’environnement au volet économique de ce budget (voir notre analyse dans ce billet).
Main-d’oeuvre et immigration
Les politiques visant l’emploi et la main-d’oeuvre comprennent des mesures de 28,5 M$ en 2021-2022 pour soutenir la formation et la requalification de la main-d’œuvre (surtout dans le domaine des TI et des services de garde), ainsi que des mesures visant à favoriser l’intégration des personnes immigrantes au marché du travail (111,9M$ en 2021-2022).
Ajoutons à cela que selon les documents du Conseil du Trésor, le gouvernement se donne pour objectif en 2021-2022 d’accroître l’apport de l’immigration temporaire en soutien à la relance économique avec comme cible une croissance de 10% des travailleuses et travailleurs sélectionnés à titre temporaire.
Les personnes immigrantes sont comme c’est trop souvent le cas réduites à leur fonction économique, sans se soucier notamment de trouver les moyens de mieux intégrer celles qui sont déjà installées au pays. D’ailleurs, les mesures d’intégration prévues concernent essentiellement la francisation, l’arrimage de « l’offre » d’immigrants aux besoins des entreprises québécoises, ainsi que la régionalisation de l’immigration. Les mesures pour améliorer la reconnaissance des diplômes, un obstacle important avec la discrimination à l’intégration et une cause de déqualification, demeurent floues. En d’autres termes, rien n’est mis en place pour limiter les frictions qui peuvent exister du fait de la demande de travail, la main-d'œuvre immigrante étant plutôt perçue comme devant s’adapter aux besoins des employeurs (et jamais l’inverse).
Fait cocasse : après les bourdes monumentales du ministre Simon Jolin-Barrette dans le dossier de la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), le gouvernement prévoit 2,9 M$ en 2021-2022 pour favoriser l’attraction et la rétention des étudiant·e·s étrangers.
En somme, nous retenons de ce budget que les crises sanitaire, environnementale et économique n’auront pas stimulé l’imagination du gouvernement caquiste en matière de politiques sociales et économiques.