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Les paradis fiscaux contre les écoles : petite leçon de la rentrée

3 septembre 2020

  • Philippe Hurteau

En revenant de ma première rencontre de parents pour la rentrée de mon plus vieux à la maternelle, des paroles de l’enseignante me sont revenues en tête : « Je n’ai pas de matériel, pas de livres, pas de jeux, rien. Si vous avez des dons, je suis preneuse. » Peut-être sans le vouloir, elle venait de nous donner un sérieux rappel à l’ordre sur l’état du financement du réseau scolaire.

Durant ma marche vers la maison, j’ai énuméré les sources du mal : austérité, baisse d’impôt pour les plus riches, déresponsabilisation fiscale des entreprises, financiarisation économique, traités de libre-échange, etc. Les paradis fiscaux figuraient bien entendu dans cette sombre liste. Je me suis alors demandé, en tournant le coin menant à la maison, comment exprimer simplement la place démesurée de ceux-ci dans l’économie mondiale.

Une idée m’est alors venue : si je regardais le palmarès des dix pays recevant des investissements canadiens pour voir desquels ils s’agissaient? Cela ne me dira pas grand-chose à propos de « l’économie mondiale », mais je pourrais toujours découvrir une chose ou deux sur le Canada.

Sans grande surprise, les États-Unis sont le pays qui reçoit le plus d’investissements canadiens. À eux seuls, ils cumulent un peu moins de la moitié de l’ensemble des sommes en question, soit 631,6 milliards de dollars. Vient ensuite le Royaume-Uni, en raison des liens commerciaux unissant la fédération à son ancienne métropole coloniale et la place de celle-ci dans la finance internationale.

C’est ensuite que les surprises commencent. Les positions 3, 4, 5 et 6 sont occupées par de tout petits pays n’ayant pas particulièrement d’infrastructure de production industrielle capable de justifier de tels investissements. Ainsi, le Luxembourg, les Bermudes, la Barbade et les îles Caïmans dépassent l’Australie, les Pays-Bas et même le Mexique. La dernière surprise de ce palmarès vient des Bahamas qui, avec la 10e position au classement, surpassent des pays comme la France, l’Allemagne, le Brésil, l’Inde ou la Chine.

Qu’ont en commun ces pays « surprises »? Vous l’aurez deviné, ce sont des paradis fiscaux notoires. C’est donc dire le niveau de distorsion que ces législations de complaisance permettent de produire dans le commerce international : cinq des dix principales destinations des capitaux d’un pays du G7, le Canada, se caractérisent par le fait qu’elles permettent de contourner le régime fiscal en place à Ottawa et dans les provinces canadiennes.

Tout juste avant la fin de ma marche, je me suis dit qu’il serait également intéressant de « rebrasser » ce palmarès. Si on prenait les dix pays mentionnés, mais cette fois en les reclassant en fonction du niveau des investissements canadiens par habitant, quel serait le résultat?

Voici ce que nous trouvons : les cinq premières places se trouvent occupées par les paradis fiscaux. Aux Bermudes, nous observons pour un peu moins d’un million de dollars d’investissement par tête de pipe! Les îles Caïmans arrivent 2e avec 665 114 $, contre 173 656 $ pour la Barbade, 166 545 $ pour le Luxembourg et 68 108 $ pour les Bahamas.

Pendant ce temps, les États-Unis accueillent 1 930 $ d’investissements canadiens par habitant, tandis que notre autre partenaire nord-américain, le Mexique, se contente d’un maigre 221 $.

Tout cela pour dire que, pendant que l’enseignante de mon fils implore des dons pour meubler sa classe, notre élite économique ne voit pas de problème à placer les sommes qu’elle extorque de notre travail bien à l’abri de l’impôt…

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