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Crise économique due à la COVID-19: devra-t-on payer la note?

22 avril 2020


Contrairement aux États-Unis, les hurluberlus qui auraient préféré que l’on ne change rien à nos habitudes de vies durant l’épidémie et que l’on sacrifie nos personnes malades et âgées sur l’autel de la croissance économique sont demeurés marginaux au Québec. Notre gouvernement a plutôt décidé de suivre les conseils de la santé publique et de faire le nécessaire pour sauver la vie des plus vulnérables. On peut s’en réjouir.

Il n’en demeure pas moins que les mesures de confinement pour combattre l’épidémie de COVID-19 vont avoir un impact d’une ampleur inédite d’un point de vue économique. Le Fonds monétaire international (FMI) s’attend à une contraction du PIB canadien de 6,2% en 2020, avec une forte relance en 2021, à condition que l’économie renoue avec la croissance dès le second trimestre de cette année. C’est pourquoi les gouvernements fédéral et provincial ont injecté des sommes colossales dans l’économie pour soutenir les entreprises et les ménages. Le déficit prévu de près de 200 milliards pour le gouvernement fédéral correspond à environ 11% du PIB. C’est du jamais vu. Le précédent record datait de l’exercice 2009-2010, suite à la dernière crise financière, alors que le gouvernement du Canada avait enregistré un déficit de 55,6 G$ (3,6% du PIB)*.

Une fois la présente crise passée, la question du redressement des finances publiques sera inévitablement posée: qui paiera la note? Pourtant, on pourrait également très bien se demander: devrait-on payer la note? Ce débat sera hautement déterminant pour les prochaines années au Québec. On peut déjà dégager quatre scénarios pour le redressement des finances publiques suite à cette crise sanitaire et économique.

1. L’austérité néolibérale. Une fois les centaines de milliards dépensés, nos gouvernements vont présenter des déficits budgétaires monstres, historiquement inégalés. La méthode néolibérale conventionnelle pour résorber un déficit consiste pour les États à réduire leurs dépenses en coupant dans les services à la population et les conditions de travail de leurs employés, ou encore à augmenter leurs revenus par l’instauration de nouvelles taxes et tarifs. Le Québec vient tout juste de sortir d’une longue période d’austérité, mais il se pourrait fort bien que le gouvernement de la CAQ utilise à son tour cette stratégie qui a fait la marque des libéraux ces quinze dernières années. Dans un tel scénario, la majorité de la population du Québec serait encore perdante.

2. Une réforme de la fiscalité. Plutôt que de couper dans les dépenses, les États pourraient choisir d’augmenter les impôts des plus riches, de façon temporaire ou permanente, à l’image de ce qui a été fait après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agirait d’un effort que seules les plus grandes fortunes seraient appelées à payer. Le manque de préparation criant de nos sociétés face à la pandémie est le résultat des politiques néolibérales des 40 dernières années qui ont contribué à l’enrichissement du 1% le plus fortuné. Il serait tout à fait justifié de leur demander un effort rétroactif qui laisserait intact le niveau de vie de 99% de la population.

3. Un étalement des coûts dans le temps par le recours à la dette publique. Une autre option pour les États aux prises avec des déficits faramineux au terme de la crise serait d’ajouter ces déficits à la dette, tout simplement. Plusieurs États pourraient facilement se le permettre. C’est le cas du Canada et du Québec, qui ont tous deux des niveaux d’endettement très bas par rapport à leur PIB. Cette avenue équivaudrait à étaler le paiement des frais liés à la crise sur plusieurs décennies. Tout le monde paierait pour le remboursement de cette dette, mais très peu chaque année. Les taux d’intérêt, soit le coût de nos emprunts, se situent à un plancher historique et faciliteraient cette stratégie. Enfin, il est bon de rappeler que le Québec a cumulé une réserve de stabilisation de 14 G$ qui doit justement servir à absorber les chocs liés aux crises économiques. Cette marge de manœuvre risque d’être insuffisante à elle seule étant donnée l’ampleur inédite de la crise. Toutefois, le premier ministre et le ministre des Finances eux-mêmes se font rassurant sur la question, rappelant que cette réserve est supérieure au déficit anticipé à l’heure actuelle (12 milliards $).

4. Le recours à la création monétaire. C’est ce qu’on appelle communément faire tourner la planche à billets. Cette dernière option n’est que rarement utilisée et toujours avec énormément de prudence, par crainte de provoquer une spirale inflationniste. Dans ce scénario, le gouvernement emprunterait à la banque centrale les sommes nécessaires à la reconstruction économique. En d’autres mots, l’État emprunterait à lui-même. Techniquement, la banque centrale achèterait des bons du Trésor avec un taux d’intérêt nul et sans délai de remboursement, ce qui apporterait au gouvernement une marge de manoeuvre financière lui permettant de dépenser davantage. En utilisant ce mécanisme de création monétaire, l’État éviterait de pelleter le problème par en avant en augmentant la dette publique. Personne n’aurait vraiment à payer la note en fin de compte. Le Québec n’a pas de banque centrale mais les provinces canadiennes pourraient trouver un arrangement avec le gouvernement fédéral. C’est d’ailleurs ce qui se produit aux États-Unis où la Réserve fédérale (la banque centrale) utilise cette stratégie en ce moment. En effet,près de 500 des 2000 milliards $US du plan de sauvetage mis en branle dans ce pays consistent à des l’achat, par la Réserve fédérale, de bons du Trésor des différents États américains. Des temps inédits justifient des mesures exceptionnelles.

Un mélange des options 2, 3 et 4 est certainement la meilleure solution, celle qui épargnerait le portefeuille de la grande majorité de la population et qui nous donnerait les moyens de non seulement éponger les déficits créés par la présente crise sanitaire, mais également de nous préparer à la prochaine pandémie, qui pend inévitablement au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès. Nous ne pourrons plus vivre dans le déni qui a caractérisé les dernières décennies. L’État devra assumer son rôle d’assureur contre les risques existentiels qui pèsent sur nos sociétés. Nous devrons réinvestir massivement dans notre système de santé et dans tout ce qui pourrait nous aider à passer au travers de la prochaine crise sans la précipitation, le stress et les pots cassés de la crise actuelle. Tout cela va coûter très cher. Il sera donc primordial de changer les termes du débat pour une plus grande distribution de la richesse et de nous doter d’institutions économiques qui répondent aux besoins de la population.

* Mesurés en pourcentage du PIB, les déficits réalisés par le gouvernement fédéral entre 1987-1988 et 1994-1995 étaient plus importants et oscillaient autour de 5% du PIB.

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