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Baisse d’impôt des sociétés = hausse de l’investissement et meilleurs salaires?

29 février 2016

  • FF
    Francis Fortier

Lors d’une entrevue que j’ai donnée accompagné de l’économiste principal de la Fédération Canadienne de l’Entreprise Indépendante (FCEI), ce dernier a affirmé qu’il serait bénéfique pour l’économie que la contribution fiscale des entreprises –qu’elles soient des PME ou des multinationales– diminue. Pour justifier cette position, qui fait tout de même son chemin dans l’espace public, le représentant de la FCEI a avancé que cette baisse d’impôt se traduirait par deux actions majeures des entreprises, soit une hausse de l’investissement et des augmentations salariales de leurs employé·e·s. Pour justifier une telle chose, il se basait sur un sondage réalisé par la FCEI chez leurs membres, donc chez des entreprises.

Évidemment, mon premier réflexe est de me demander s’il y a un décalage entre la réalité et les réponses offertes par les répondants. Entendons-nous, ce n’est pas très engageant de répondre par la positive dans un sondage quand on vous demande si vous allez hausser les salaires de vos employé·e·s en cas de baisses d’impôts. Vaut mieux se baser sur les faits et les actions, et c’est ce à quoi je me suis appliqué. Voici ce que les entreprises ont accompli en termes d’investissement et de hausses salariales avec les baisses d’impôt consenties dans les dernières années.

«Baissez nos impôts, nous le réinvestirons pour stimuler l’économie!»

La première idée défendue par les apôtres des baisses d’impôt des sociétés serait qu’il y aurait un lien direct entre baisse d’impôt et réinvestissement. Au cours des 10 dernières années, les entreprises québécoises ont vu leur taux effectif marginal sur l’investissement (TEMI) baisser d’un peu plus de 20 points de pourcentage. Alors que le TEMI était de 36,1% en 2005, celui-ci est passé à 15,9%. Globalement, cela veut dire que les crédits et déductions associés à l’investissement offrent des baisses d’impôt importantes pour les entreprises qui décident d’investir plutôt que de préserver leur profit à la banque ou encore de les redistribuer sous forme de dividendes comparativement à 2005. En somme, une politique fiscale a été mise en place par les gouvernements fédéral et provincial pour favoriser l’investissement. Si nous suivons la logique de la FCEI –et des représentants patronaux en général- une hausse de l’investissement aurait du suivre les baisses d’impôt consenties au Québec au cours des 10 dernières années. Le graphique 1 expose la baisse du TEMI et la proportion par rapport au PIB de l’investissement privé en immobilisation et en réparation, investissement qui représentait en 2014 environ 8% du PIB.

Source : Taux marginal effectif sur l’investissement : Jack Mintz et Duanjie Chen, « The 2014 Global Tax Competitiveness Report : a Proposed Business Tax Reform Agenda », SPP Research Papers, vol. 8, no 4 Université de Calgary, The School of Public Policy, février, 2015, p.12. Taux d’imposition combines des sociétés, CQFF, https://www.cqff.com/bibliotheque/taux_tablesimpotsociete.htm et pour l’investissement privé : ISQ, http://www.stat.gouv.qc.ca/docs-hmi/statistiques/economie/investissements/prives-publics/ipp_pp_qc.htm (calcul de l’IRIS)

Si, à première vue, il semble y avoir un lien entre la diminution du TEMI et les variations de l’investissement privé, ce lien est plutôt à l’inverse de la croyance voulant qu’une baisse d’impôt engendre une hausse de l’investissement. On voit plutôt une baisse de l’investissement année après année (passant de 9,7% du PIB en 2005 à 8,1% pour 2014) et ce, malgré les baisses du TEMI. La seule exception se situe entre 2008 et 2011. L’hypothèse que nous pouvons avancer sur cette hausse temporaire de l’investissement privé est en lien avec la crise financière de 2008. Comme les marchés financiers étaient très instables, les sociétés ont préféré investir leur argent dans l’économie réelle. Sauf qu’une fois la situation revenue à la normale sur les marchés financiers, on revoit une baisse de l’investissement privé.

«Nos impôts sont trop élevés pour offrir des hausses salariales»

Comme nous le disions précédemment, les sociétés, selon le sondage de la FCEI, bonifieraient les salaires de leurs employé-e-s advenant une baisse d’impôt. Que s’est-il passé depuis 2005 sur le plan des variations salariales dans le secteur privé? Comme nous pouvons le voir au graphique 2, la hausse ou la baisse des revenus annuels pour les employé·e·s du secteur privé ne suit aucune une tendance. Certaines années, on voit une hausse annuelle de 2% (2006), tandis qu’à d’autres, comme en 2011, c’est une baisse de 2%, et ce, alors qu’il y a une tendance à la baisse de l’impôt sur le profit des sociétés pendant toute cette période. Il n’y a donc aucun lien entre la baisse d’impôt consentie aux entreprises québécoises et la hausse, ou la baisse, des salaires.

Source : Taux d’imposition combinés des sociétés, CQFF, https://www.cqff.com/bibliotheque/taux_tablesimpotsociete.htm et variation du revenu réel des employé-e-s du secteur privé, ISQ. http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/travail-remuneration/remuneration-salaries.html, calcul de l’IRIS.

Qu’est-ce qui a changé?

Comme nous venons de le voir, lorsque les sociétés québécoises ont vu leur impôt diminuer, il n’y a pas plus eu de réinvestissement dans l’économie ou de hausse directe des revenus des employé·e·s du secteur privé. Au cours des 10 dernières années, les gouvernements ont opté pour des politiques fiscales ayant permis de dégager du capital pour les entreprises. Aujourd’hui, nous entendons encore dire que s’il y avait une –autre- baisse d’impôt, nous aurions droit à plus d’investissement privé dans l’économie québécoise et qu’en plus les employé·e·s de ce secteur verraient leur salaire augmenter. Si les entreprises québécoises ne l’ont pas fait au cours de ces 10 années, pourquoi le feraient-elles aujourd’hui? Peut-être que quelque chose m’échappe, est-ce que quelque chose a véritablement changé? Ou allons-nous enfin réaliser qu’il existe souvent un décalage important entre les dogmes et la réalité empirique pour produire nos politiques fiscales?

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