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SAQ: Confondre désaccord et erreur méthodologique

20 mai 2015

  • Philippe Hurteau

Samedi dernier, Vincent Geloso a ouvert son blogue à Yvan Stringer, professeur d’économie à HEC Montréal. La raison : permettre à ce dernier de répondre à une lettre que j’ai publiée dernièrement dans La Presse, lettre qui elle-même était une réplique à un premier papier écrit par M. Stringer dans lequel il critiquait avec force la méthodologie d’une étude que j’ai co-signée et qui portait sur la privatisation de la SAQ.

Comme M. Stringer revient à la charge, je me permets également une nouvelle salve. Il semble que le professeur à HEC ait été piqué au vif par ma première réponse, que j’y serais allé d’insinuations déshonorantes. Ce qui, semble-t-il, lui donne l’occasion de faire la leçon :

« Les analyses économiques les plus faciles à critiquer sont souvent le fait de gens spécialisés dans un domaine autre que l’économie. M. Hurteau et son co-auteur ont une formation en science politique et ils se sont brûlés les doigts en se prononçant sur un sujet qui ne relève pas de leur domaine d’expertise. »

Intéressant. Analyser le bien-fondé d’une politique publique (ici la privatisation de la SAQ) serait un sujet à l’extérieur de l’étroit domaine d’expertise du politologue que je suis! Il est certainement plus pertinent à ce stade de ne pas me lancer dans une surenchère qui, de toute évidence, ne mènerait pas à grand-chose.

Concentrons-nous donc sur l’étude critiquée. Deux scénarios y ont été développés afin d’évaluer l’à-propos d’une privatisation partielle de la SAQ, à savoir la vente de 10 % de ses actifs comme il en a été mention dans le rapport Godbout-Montmarquette et encore dans le débat public la semaine dernière.

L’objectif de cette étude était au fond fort simple. D’abord offrir une évaluation de la valeur de la SAQ. Valeur qui, contrairement à ce qui est avancé par M. Stringer, sera déterminée de fait par une négociation à haute teneur politique entre l’État et un éventuel acheteur. C’est ainsi que nous arrivons avec deux scénarios qui marquent les résultats possibles d’une telle négociation : un premier pôle qui situe la valeur de la SAQ à 12,4 G$ et un second à 30,7 G$.

Ensuite, on regarde les impacts de la vente en fonction des choix politiques qui auront présidé à la privatisation. Dans l’étude, nous postulons que le fruit de la privatisation devra être dédié à 100 % au remboursement de la dette publique afin de faire diminuer le coût du service de la dette (les intérêts payés par le gouvernement sur ses emprunts).

Pour évaluer le niveau de diminution du service de la dette, nous avons postulé 3 possibilités: que les emprunts remboursés ont été contractés au niveau des obligations d’épargne sur 10 ans (3 %), au niveau du taux d’intérêt moyen pondéré du gouvernement du Québec pour 2014 (3,9 %) ou à la moyenne des 10 dernières années de ce taux (4,6 %). Une démarche qui, faut-il le préciser, est clairement indiquée dans l’étude.

Avec ces informations, nous constatons que l’État économiserait des montants appréciables sur son service de la dette, et ce, pour les deux scénarios, peu importe le niveau des intérêts applicables.

Finalement, comme il s’agit d’un choix politique qui aura des répercussions à long terme qui dépassent le simple remboursement ponctuel d’une partie de notre dette publique, nous avons voulu vérifier sur une période de 20 ans si l’État y gagnerait davantage (l’argent économisé sur sa dette) qu’il n’y perdrait (les dividendes de la SAQ qui ne lui seront plus versés).

C’est là que, de toute évidence, nous avons un désaccord avec M. Stringer lorsqu’il affirme « [qu’il] est strictement impossible de perdre 1,9 milliard quand on vend un actif qui vaut 1,2 milliard. »

Au contraire, c’est tout à fait possible, si le prix de vente est tellement bas (bref si le gouvernement négocie mal la vente d’un actif collectif, ce qui n’est malheureusement pas à exclure) que rapidement les pertes en viennent à dépasser les gains. C’est dans notre premier scénario que l’État pourrait effectivement perdre, sur une période de 20 ans, 1,9 G$ en vendant 10 % de la SAQ au prix de 1,2 G$.

Le second scénario est plus réaliste ou à tout le moins se veut le reflet d’une vente de 10 % des actifs de la SAQ dans laquelle le gouvernement tirerait un maximum de bénéfice. Dans ce cas et selon nos trois options de taux d’intérêts, l’État perdrait néanmoins entre 245 M$ et 1,2 G$.

Quand M. Stringer nous accuse de mélanger nos propres scénarios, il se trompe. Nous avons d’un côté un scénario à un prix de vente faible qui serait le résultat d’une mauvaise négociation de la part du gouvernement (ou à tout le moins d’une négociation dans un contexte ne lui étant pas favorable) et de l’autre côté un prix de vente reflétant une situation opposée.

Dans ces deux scénarios toutefois, il est tout à fait justifié d’utiliser la même projection de revenu basée sur l’évolution des dividendes des dernières années de la SAQ. En effet, le prix de vente (soit le résultat d’une future négociation entre acteurs aux objectifs et aux moyens non encore définis) n’a aucune incidence sur le niveau des profits de la SAQ. Peut-être que les profits de la société d’État vont baisser dans l’avenir? Peut-être augmenteront-ils encore plus rapidement que par le passé? Ce qui est certain, c’est qu’il est tout à fait raisonnable d’utiliser la tendance des dix dernières années comme étalon de mesure.

Peut-être que la différence entre les économistes et les politologues se situe-t-elle ici. M. Stringer postule que la vente d’un actif sur le marché révèle sa valeur réelle et, en conséquence, le profit qui sera produit par cet actif. Selon cette logique, si la SAQ vaut 12 G$ c’est qu’elle rapportera effectivement 12 G$. Pourquoi? Parce que selon lui, le marché est la seule institution capable d’évaluer avec justesse et précision la valeur des actifs et leur capacité à offrir des rendements. Ainsi, si le gouvernement vend son actif à petit prix, c’est qu’effectivement la SAQ fera de petits profits, car le marché offre l’évaluation la plus juste de ce qui adviendra. Pourtant, rien n’est moins sûr.

La science politique préfère voir une vente comme l’expression momentanée d’un rapport de force. Le gouvernement négociera un prix de vente, on peut faire des prévisions en considérant qu’il obtiendra tel montant au minimum et tel montant au maximum, si la situation lui est favorable ou défavorable. Le résultat de cette négociation ne révèle rien sur la valeur intrinsèque de la SAQ ni sur ses profits à venir.

Une fois les attaques de bas niveau et les insinuations mises de côté, nous nous retrouvons devant un constat assez clair : vendre la SAQ dans les conditions actuelles ne serait pas une option viable pour les finances de l’État. C’est la conclusion à laquelle arrive notre étude. Et c’est, encore pour l’instant du moins, une conclusion que partage le gouvernement.

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