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Dépossession : relire l’histoire du Québec

5 mars 2015


Aujourd’hui, le premier livre de l’IRIS sort en librairie. Toute l’équipe de l’Institut est surexcitée. Bien sûr, nous publions chaque année des dizaines de pages de recherche et de réflexions, mais cette fois-ci ce n’est pas la même chose : c’est un vrai livre, édité, relié et vendu en librairie. Pour des gens qui aiment les livres et qui passent leurs journées à en lire (et, trop souvent, à en acheter), en produire un revêt certainement une grande importance. Ça compte encore plus quand on travaille sur l’ouvrage pendant six ans comme nous l’avons fait pour Dépossession. Pourquoi se donner tout ce mal? Pourquoi mettre tout ce temps pour publier un livre alors qu’on pourrait simplement publier une étude ou une série de billets de blogue?

D’abord, il faut comprendre que nous sortons des sentiers que nous battons habituellement. Dépossession ne s’intéresse pas à l’actualité des politiques publiques, comme le font généralement les travaux de l’IRIS. Ce dont on veut parler cette fois, c’est d’histoire. Nous considérons que, dans l’espace public au Québec, il nous manque un cadre historique précis qui nous permette de bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Pire encore, nous considérons que certaines lectures de notre histoire nuisent à notre compréhension du Québec actuel.

Parmi ces lectures nuisibles, il y a cette idée pratiquement intouchable que la Révolution tranquille a été le moment où nous – le peuple du Québec – aurions pris le contrôle de notre économie et de nos ressources. Selon cette lecture de notre histoire, Maître chez nous, ce slogan, ce projet, se serait réalisé – du moins économiquement. Or, ce que veut montrer Dépossession, c’est qu’il y a bel et bien des maîtres chez nous, mais qu’il ne s’agit pas de la majorité de la population. La Révolution tranquille nous a débarrassés des élites du temps jadis, elle a participé à moderniser l’économie du Québec et sa machine gouvernementale, mais en termes de pouvoir, elle a d’abord été une transition bien plus qu’une émancipation.

Pensons-y un instant. Pensons aux ressources naturelles du Québec. Si nous étions vraiment maîtres chez nous, comment se fait-il qu’alors que tout le monde – population, gouvernement, mouvements sociaux, etc. – professe vouloir en prendre soin et les préserver, c’est malgré tout le contraire qui se produit? Nos forêts sont en lambeaux. Les terres agricoles sont exploitées de façon industrielle et sans respect pour l’environnement lorsqu’elles ne sont pas remplacées par de nouveaux quartiers de la banlieue. Les richesses du sous-sol sont aussi extraites à grands coûts environnementaux pour être rapidement envoyées, brutes, sur les marchés internationaux. Si nous sommes réellement les maîtres de ces ressources, pourquoi laissons-nous tout cela se produire?

La thèse centrale de Dépossession, vous l’aurez deviné, c’est que ce pouvoir, nous ne l’avons pas. La dépossession est un élément de continuité dans notre histoire, qui change de forme, certes, mais qui perdure. Des pontes conservateurs et investisseurs étrangers qui dominaient le Québec des années 1950, le pouvoir est passé à des affairistes bien de chez nous et à une caste de technocrates présente tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Notre ouvrage souligne la continuité de la dépossession au Québec.

Cette compréhension de l’histoire comme dépossession qui perdure est la seule qui nous permette, selon nous, de comprendre pourquoi nous sommes aujourd’hui empêtrés dans le néolibéralisme et dans son austérité. Elle nous permet aussi de sortir de l’idée qu’il faudrait revenir à l’âge d’or que représenterait la Révolution tranquille. Mieux vaut comprendre comment sa mise en place et son inachèvement ont contribué à jeter les fondements du néolibéralisme actuel. C’est à partir de ce constat que nous serons en mesure de penser une réelle émancipation.

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