Nuisibles ballounes
2 octobre 2014
Les gouvernements aiment tester leurs idées. Pour le faire, ils envoient dans l’espace public ce qui a été baptisé des «ballons-sondes» par les médias. Les ballons sont des idées de politiques publiques, pas encore ficelées qu’on propulse – par une fuite ou par une mention lors d’une entrevue – dans l’oreille de la population pour tenter de mesurer sa réaction. On comprend l’idée : les politiques et les gens qui les entourent veulent savoir s’ils auront à affronter ou non l’opinion publique sur un enjeu.
En ce moment, le gouvernement de M. Couillard a tellement rempli l’espace public de ballons qu’on pourrait confondre celui-ci avec une fête d’enfant de 8 ans. Chaque semaine apporte son lot de possibles mesures que le gouvernement pourrait éventuellement mettre en place. Rappelons quelques unes de celles qui ont fait la manchette dans le dernier mois seulement :
– Modulation du tarif des garderies;
– Diminution de service au RQAP;
– Fermeture des conservatoires de musique en région;
– Coupes dans l’aide au devoir et l’aide alimentaire dans les écoles;
– Réduction budgétaire de 300 M$ dans les universités;
– Compressions à venir de 1G$ en éducation;
– Retrait des compensations des personnes handicapées quand elles font du bénévolat.
Ces ballons ne sont pas tous de même nature. Certains sont le résultat d’actions passées; d’autres sont probablement à venir. Certains touchent des régions spécifiques, d’autres sont d’ampleurs nationales. Toutes ces annonces ont cependant deux points en commun : elles sont guidées par une obsession pour l’austérité et elles sont nimbées de brouillard. Je n’irai pas en détail sur la question de l’austérité, vous savez probablement déjà ce que l’IRIS en pense par la lecture que vous aviez faites de cette étude (qu’on devine avoir été la lecture de chevet de Pierre-Karl Péladeau des derniers mois). Autrement, vous pouvez toujours lire le texte de Joseph Stiglitz, prix Nobel en économie, dans publié dans La Presse d’hier, il vous renseignera aussi.
Je veux plutôt me concentrer sur la question du flou propre aux ballons. Il est question ici de la gestion des finances publiques. Cette question a des effets importants sur la vie de nombreuses personnes : tant des employé.e.s que des gens qui bénéficient des services publics. Envisager de perdre son emploi ou de ne plus recevoir les maigres 4,30$ quotidiens qui sont nos seuls revenus en dehors de l’aide sociale peut être cause légitime d’anxiété chez beaucoup de gens. Même chose pour une personne âgée qui apprend par les journaux qu’elle risque peut-être de perdre, un jour, les services offerts pour combler sa perte d’autonomie. Un gouvernement responsable doit faire preuve de clarté et de précision quand il aborde de telles questions, cela relève de sa responsabilité sociale.
Au-delà de cette responsabilité sociale, il y a aussi une responsabilité démocratique. Au sein du modèle représentatif qui est le nôtre, nous devons savoir ce que font et ce que veulent faire les élu-es. D’abord, pour bien saisir la portée de leurs gestes, ce qui nous permet ensuite d’être en accord ou non avec ceux-ci et, dans le cas où nous ne le sommes pas, de leur faire savoir. Pour nous aider à comprendre ce qu’annonce le gouvernement, en théorie, nous avons des journalistes et une série d’organisations qui visent à expliquer les enjeux et les diverses positions à leurs propos. Il est certes possible de critiquer le travail des médias sur cette question, je l’ai d’ailleurs fait ailleurs. Cependant, il est impossible pour les médias de faire un travail adéquat si le gouvernement ne dévoile pas clairement ses intentions et ne donne pas accès à toute l’information nécessaire. Il est encore plus difficile de le faire quand des informations nombreuses, confuses et parfois contradictoires émanent du gouvernement.
Ces ballons-sondes envoyés par le gouvernement sont, entre autre, le résultat du rapport entre les relationnistes et les journalistes. Les premiers veulent être en mesure de prévoir la réaction du public. Les seconds sont prêts à tout pour obtenir une primeur ou une exclusivité. Ainsi, quand ils obtiennent une bribe d’information nouvelle, ils en font une nouvelle, aussi mince soit-elle. En conséquence, l’espace public se trouve noyé sous une série d’affirmations diverses dont on est mal en mesure de qualifier le sérieux, la portée ou l’effet. Les finances publiques deviennent encore plus complexes et obscures qu’elles ne le sont déjà pour le commun des mortels.
Pour le bien du débat public, le gouvernement devrait mettre fin à toutes ses rumeurs en nous présentant clairement ses intentions et leurs conséquences. Toutes ces ballounes étouffent le débat, il faudrait en crever quelques unes et, par la suite, cesser d’en gonfler de nouvelles.