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Précarité des jeunes : la faute aux vieux ?

25 septembre 2014

  • Julia Posca

Dans une étude publiée ce mardi, le Conference Board du Canada conclut que « les jeunes travailleurs sont les grands perdants de la montée des inégalités entre les générations depuis 30 ans. » « Le revenu disponible des Canadiens âgés de 50 à 54 ans », montre l’étude, « est aujourd’hui supérieur de 64 % à celui des 25 à 29 ans contre 47 % au milieu des années 1980. » « L’âge plutôt que le sexe est en train de créer un nouveau clivage dans notre société », poursuivent les auteurs de l’étude.

À première vue, ses résultats semblent confirmer la thèse selon laquelle il existe une iniquité intergénérationnelle dans la société canadienne. C’est cette thèse que mettait de l’avant un regroupement de jeunes employés de la Société Radio-Canada la semaine dernière pour dénoncer la précarité de leur situation :

« Deux castes finissent par émerger. Les employés permanents qui se sont battus pour obtenir leurs droits, certes. Et moi, nous, les précaires, leurs enfants, encore et toujours sur le bord de la route.

Je ne suis pas seul dans cette galère. Fonction publique, éducation, santé… les rouages du transfert de génération se grippent, le mal-emploi ronge la jeunesse québécoise. L’attrition et les gels d’embauche forment notre horizon. »

Si la précarité grandissante des jeunes travailleuses et travailleurs est indéniable, une autre lecture de la situation s’impose. D’une part, rappelons-nous que le rapport du Conference Board s’additionne à la panoplie d’études qui, dans les dernières années, ont montré que les inégalités de revenus se creusent depuis trente ans au Canada. Ces résultats renforcent ainsi notre conviction que nous sommes entrés dans un modèle économique qui désavantage systématiquement les salariés.

Après la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’au milieu des années 1970, la croissance des salaires suivait celle de l’économie, car sa vigueur était fortement liée à la consommation des ménages. C’est ce qu’on a appelé le modèle fordiste. Depuis trois décennies, nous sommes plutôt dans une économie financiarisée. Qu’est-ce que ça veut dire ? D’abord, que la gestion des grandes entreprises est axée sur les rendements en bourse et non sur ce qu’elles produisent réellement. Ces entreprises ont ainsi eu tendance à diminuer leurs coûts de production, à commencer par la masse salariale. Cette exigence de rendement financier a notamment poussé les entreprises à délocaliser leur production vers des pays où les conditions de travail sont souvent médiocres.

Derrière ce qu’on appelle poliment la mondialisation de l’économie se cache ainsi la disparition d’emplois souvent syndiqués et donc mieux rémunérés, entre autres dans le secteur manufacturier. Dans le secteur public, la lutte aux déficits a aussi amené les gouvernements à réduire la taille de la fonction publique, c’est-à-dire, encore une fois, à éliminer des emplois de qualité. L’abolition de ces emplois a en outre créé une pression à la baisse sur les salaires de l’ensemble de la main-d’œuvre.

Bref, on voit bien que c’est le mode de développement de l’économie canadienne qui est, depuis trente ans, défavorable aux salariés en général. Il est normal, dans ce contexte, que les jeunes arrivant aujourd’hui sur le marché de l’emploi soient dans une situation plus précaire que ceux qui commençaient leur vie active dans les années 1970. La réduction du filet social n’a fait qu’empirer cette situation, par exemple en contraignant les jeunes à contracter de lourdes dettes afin de décrocher un diplôme universitaire.

La prudence s’impose donc quant aux conclusions que l’on pourrait tirer de l’étude du Conference Board. On aurait tort de conclure que la formation des jeunes ne correspond pas aux besoins des entreprises. Les données indiquent plutôt le contraire. Par ailleurs, on fait fausse route si l’on croît que dans la situation actuelle, les « vieux » et les « jeunes » s’opposent et qu’il suffit de faire un trait sur les institutions qui ont profité aux baby-boomers pour que les nouvelles générations s’enrichissent à leur tour. Les politiques économiques et fiscales des dernières années, qui cherchaient souvent à attirer des investissements et à augmenter la rentabilité des entreprises dans l’espoir que les profits soient ensuite transférés aux travailleurs, ont en fait systématiquement désavantagé ces derniers.

Il est temps pour nos gouvernements d’adopter des politiques publiques et économiques dont l’objectif soit d’améliorer les conditions de vie et de travail des salariés. Par exemple, pourquoi ne pas avoir bonifier le régime des rentes du Québec, plus efficace pour garantir des revenus de retraite aux travailleurs, plutôt que d’avoir imposé le Régime volontaire d’épargne retraite (RVER) malgré les craintes exprimées par plusieurs experts à propos de la performance de ce type de régime ? Si, pour sa part, le milieu des affaires souhaite renouer le lien de confiance avec la population, les dirigeants d’entreprises devront songer plus sérieusement à accorder aux salaires de leurs employés autant d’importance qu’à leur taux de profit.

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