Budget Leitão : faire l’austérité sans la nommer
4 juin 2014
Avant le dépôt du budget, comme pendant sa présentation, le ministre des Finances Carlos Leitão a parlé de rigueur et de sérieux, mais jamais d’austérité. Pourtant, il est bien question d’austérité dans ce budget, plusieurs ministères obtiendront moins d’argent l’an prochain qu’ils n’en ont cette année. Voici les compressions :
Tableau 1 : Compressions dans les différents ministères
Ministère | En M$ | Différence en % |
Agriculture, Pêcherie et Alimentation |
13,8 |
1,3% |
Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques |
37,9 |
19,4% |
Emploi et Solidarité sociale |
92,5 |
2,1% |
Relations Internationales et Francophonie |
10,1 |
9,6% |
Sécurité Publique |
74,5 |
5,6% |
Tourisme |
3,7 |
2,8% |
Transport |
18,7 |
2,6% |
Travail |
3,8 |
4,0% |
En proportion, ce sont les ministères de l’Environnement et des Relations internationales qui sont les plus durement frappés, mais notons le 92 M$ de moins au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, un montant appréciable, coupé entre autres dans les mesures d’aide à l’emploi.
Nous avons déjà dit ce que nous pensons des mesures d’austérité et de ses effets sur l’économie. En gros, en intervenant peu, l’État continue de maintenir le marasme économique dans lequel se trouve le Québec. On nous annonce d’ailleurs dans le budget une légère diminution des prévisions de croissance annoncées au préalable. Le vérificateur général parlait hier, dans son rapport, d’un biais optimiste quant à la croissance économique depuis 10 ans qui correspondrait à 0,4 % de prévisions de croissance. S’il advenait que ce biais se vérifie cette année encore, le Québec perdrait 200 M$.
Ajoutons que lorsqu’on coupe dans l’aide à l’emploi, évidemment, ça n’aide pas à stimuler l’économie ni d’ailleurs quand on réduit les investissements en infrastructures, comme choisit de le faire le gouvernement.
Plan Nord contre Environnement
Pendant que le gouvernement réduit de 19% le budget du Ministère de l’Environnement, il relance le projet du Plan Nord. On annonce à nouveau des investissements publics pour favoriser le profit d’entreprises privées, notamment grâce à un fonds de 1,25 G$. Il semble que l’austérité ne s’applique pas quand on veut participer à augmenter les profits des minières, souvent étrangères.
Par contre, aucun investissement précis n’est annoncé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec, sauf un plan d’investissements en infrastructures qui comprend 8% pour le transport collectif et 23% d’investissements routiers. Ceci n’annonce rien de bon pour l’atteinte des objectifs de réduction d’émissions de GES du Québec. D’ailleurs, le budget liste des projets qui seront réalisés grâce à ce programme et aucun ne concerne le transport en commun. Le gouvernement annonce également qu’il aimerait voir Hydro-Québec participer à l’électrification du transport en commun, sans faire aucune annonce concrète. Nous avons montré ailleurs que le Québec a peu de chance d’atteindre ses objectifs de réduction des GES, ce budget participe à nous en éloigner.
En fait, pour s’assurer d’émettre encore plus de gaz à effet de serre, le gouvernement se propose de continuer dans la voie ouverte de l’exploration et de l’exploitation pétrolières. En plus, les gaz de schiste semblent être de retour à l’ordre du jour, on peut lire en page B.105 du budget que le gouvernement envisage « une éventuelle mise en valeur du gaz de schiste, dans une perspective durable ». On peut donc prévoir que suite au dépôt du rapport du BAPE, le moratoire sera levé.
PME
Le gouvernement met également l’emphase sur «l’oxygène» qu’il donne aux PME. Toutefois, comme le montre le tableau 2, si l’on regarde les deux principales mesures visant les PME, on voit plutôt, à terme (c’est-à-dire en 2018-19), aucun gain ni pour les PME ni pour le gouvernement. En effet, alors qu’il réduit l’impôt des PME, il réduit aussi leurs crédits d’impôt et leurs subventions. Ce qu’il donne d’une main, le gouvernement le reprend de l’autre.
Tableau 2 : Transfert d’une imposition à une autre (2018-2019)
Mesure fiscale | en M$ |
Modulation du Fonds des services de santé |
-33.1 |
Réduction des crédits et subventions aux entreprises |
36 |
Économie pour le gouvernement |
2.9 |
De plus, s’il est vrai qu’il y a la diminution du taux d’imposition des PME manufacturières, une partie de la réduction proposée s’applique sur l’impôt sur les bénéfices nets de ces entreprises. Or, l’industrie manufacturière est si mal en point que les profits des PME sont bas et donc plusieurs d’entre elles ne verront pas d’avantages à cette proposition. Là où la réduction d’impôt est efficace c’est sur la taxe à la masse salariale, une demande récurrente des représentant.e.s du patronat dont le ministère des Finances semble tester ici la viabilité à petite échelle.
Donc, il n’y pas de gains directs pour les petites et moyennes entreprises, mais plutôt la mise en place d’une transformation de la façon de les imposer qui réduit les modes de perception fiscale et leur efficacité.
Mesures sociales
Du côté des mesures sociales, quelques bonnes nouvelles, mais vraiment peu. On annonce 3000 nouveaux logements sociaux, un crédit d’impôt pour que les personnes âgées qui travaillent paient moins d’impôt et un crédit d’impôt pour qu’elles demeurent actives. Éventuellement, le gouvernement se propose de les aider à payer leur impôt foncier, mais on ne nous précise ni quand, ni comment. Il semble aussi que le gouvernement veuille s’attaquer au coût des médicaments. Bien que la mesure ne soit pas détaillée, il s’agit d’une initiative positive. Dans le cadre du Plan Nord, le gouvernement investit aussi dans l’éducation des Autochtones, mais dans le seul but de les former à participer aux projets économiques du gouvernement. Bref, les propositions intéressantes sont très minces.
À l’inverse, on ne lit pas un mot sur la politique d’itinérance adoptée par le gouvernement précédent. Est-ce à dire que le gouvernement actuel l’abandonne? On apprend par contre qu’on vérifiera la conformité des montants versés aux prestataires d’aide sociale : plus d’inspections et de vérifications à prévoir. On laisse aussi tomber la politique d’assurance autonomie, qui posait d’importants problèmes, mais qui tentait de s’attaquer au défi de l’hébergement des personnes âgées. Alors que le gouvernement ne cesse de parler du vieillissement de la population, il semble ignorer sa principale conséquence soit la nécessité d’héberger les personnes âgées. Le gouvernement annonce aussi qu’il choisit de revoir l’engagement du gouvernement précédent de mieux financer les organismes communautaires. En somme, malgré quelques bonnes idées, les mesures sociales de ce budget annoncent de sombres années à venir.