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Je t’aide moi non plus : quels lendemains prépare le projet de loi 70 ?

21 septembre 2016

  • VL
    Vivian Labrie

Quand on prétend aider un individu dans le besoin en menaçant de lui couper les vivres s’il ne se conforme pas à ce qu’on attend de lui, ceci sous prétexte de « renforcer ses capacités (empowerment) […] pour améliorer, entre autres, le capital humain qui le servira toute sa vie », on n’est pas loin du message aliénant d’une célèbre chanson de Serge Gainsbourg et de son fameux « je t’aime moi non plus ».

Séance après séance alors que l’étude détaillée du projet de loi 70 se poursuit, les propos ministériels sur les changements à venir à l’aide sociale descellent le plancher de revenu qui y est garanti depuis 2005 pour en conditionner une partie à la participation au futur programme Objectif emploi des demandeur·e·s d’aide sociale qui y seront tenu·e·s. On peut se demander où est la cohérence entre les trois mandats en cours du ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale : le projet de loi 70 qui introduit le programme Objectif emploi, le prochain plan d’action requis par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et la mise en route d’un éventuel projet de revenu minimum garanti. À cet égard, il se pourrait qu’une partie de la réponse figure dans l’actualité des prochains jours avec le Forum des idées pour le Québec organisé par le Parti libéral du Québec.

Oublions un instant les propos à côté de la plaque. Oublions le refus d’entendre en commission le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, qui représente les agent·e·s d’aide qui auront à appliquer ces changements, et dont le mémoire s’inscrit en faux face aux prétentions ministérielles sur cette nouvelle façon d’aider par la dissuasion. Oublions les prétentions populistes sur ce qu’on devrait exiger des plus pauvres en échange de leur prestation au nom du principe d’une contrepartie qui apparaît tout à coup dans le décor alors qu’on tait toutes les petites et grandes humiliations vécues au contact d’une administration connue pour être tatillonne. Oublions, alors qu’on valorise tant l’emploi, que les gains de travail permis à l’aide sociale n’ont pas été indexés depuis 1996, ce qui fait que le gouvernement a capté à la source cet aspect de la force de travail des plus pauvres en diminuant leurs prestations d’autant. Oublions les trois cent universitaires qui se sont opposés au projet de loi en juin dernier. Oublions le refus du ministre d’examiner une contre-proposition sans perte d’acquis déposée le 19 septembre par la Coalition Objectif dignité. Oublions la menace d’une adoption imminente par bâillon.

Allons voir ce qui est annoncé sur la page d’accueil de ce fameux Forum des idées. Tiens, quatre bulles « sociales » : « Comment améliorer les pratiques en matière de lutte contre la pauvreté ? » « Qu’en est-il de l’augmentation du salaire minimum ? » « Comment lutter contre les inégalités intergénérationnelles ? » « Devrait-on instaurer un revenu minimum garanti ? » Oups. Puis un sous-titre : « Les politiques sociales au cœur des discussions ». Suivi d’une vidéo d’introduction du premier ministre sur ce forum « non partisan »… organisé par le Parti libéral du Québec. Encore un message paradoxal. Surprise, cinq conférencier·e·s sur onze s’intéressent activement au revenu de base : Juliana Bidadanure, de l’Université de Stanford, Yannick Vanderborght, de l’Université de Louvain, Evelyn L. Forget, de l’Université du Manitoba, Jürgen De Wispelaere, de l’Université de Tampere, Marc de Basquiat, président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) en France. Au vu des tendances représentées, tout cela semble assez proche du réseau BIEN (Basic income Earth Network) auquel réfère parfois le ministre Blais. C’est donc sérieux, cette histoire de revenu minimum garanti.

Le point de cohérence inquiétant entre les trois mandats du ministre : 399 $ par mois

Ici, l’incohérence apparente entre les trois mandats du ministre trouve un point de cohérence. Si l’intention du gouvernement est d’instaurer un revenu minimum garanti versé inconditionnellement à toutes et tous plus bas que le minimum présentement garanti à l’aide sociale (623 $ par mois), alors l’opération projet de loi 70 est nécessaire pour en préparer le terrain en générant de nouvelles exigences pour accéder à la différence.

La question a été posée au ministre en commission parlementaire le 24 août dernier : est-ce que la prestation d’aide sociale qui resterait garantie inconditionnellement (elle passerait de 623 $ à 399 $) après les sanctions prévues en cas de non participation au programme Objectif emploi est le niveau de revenu auquel songe le ministre pour un revenu minimum garanti ? Sa réponse a été que les annonces là-dessus viendraient « plutôt tôt que tard » et qu’il était connu que « même des petits montants modestes » pouvaient avoir un « impact positif ».

Autrement dit, toutes ces envolées oratoires sur les bienfaits d’une nouvelle réforme de l’aide sociale « au mieux inutile et au pire contre-productive », chiffres canadiens à l’appui, comme l’affirme une nouvelle publication, pourraient être simplement en train de servir à opérer une diminution des standards sur le revenu inconditionnellement garanti au Québec. Pour préparer les esprits à un dispositif dont on vantera ensuite l’inconditionnalité, on serait en train de baisser au nom de l’incitation à l’emploi le seuil existant d’une garantie inconditionnelle déjà insuffisante. Et d’augmenter l’assujettissement des plus pauvres à de nouvelles conditions pour assurer leurs besoins de base. S’ils refusent, ce sera leur affaire, comme le répète le ministre. Nouveau message paradoxal.

Des critères à soutenir dans des débats sur la garantie de revenu

Manifestement, le temps est venu d’énoncer les conditions à respecter pour continuer d’avancer au Québec en matière d’aide sociale, de lutte contre la pauvreté et de garanties de revenu. Minimalement, on aimerait entendre les conférencier·e·s invité·e·s au Forum des prochains jours mentionner les critères suivants :

  • Les gains réalisés antérieurement au plan des planchers de revenu garantis dans les protections sociales ne doivent pas être compromis et réduits par une nouvelle formule, tant dans leur inconditionnalité que dans le degré de couverture déjà assuré.
  • On doit prendre en compte ce qu’il en coûte pour vivre.
  • Les résultats doivent aller vers une meilleure couverture des besoins de base pour tout le monde et vers moins d’écarts nets de revenus entre plus riches et plus pauvres.
  • Un saut qualitatif suppose d’encourager une vision plus diversifiée de l’activité humaine que la seule incitation à l’emploi et davantage respectueuse de la contribution et du pouvoir d’initiative de toutes les personnes.

Venant de ces personnes dont l’expertise est sollicitée, ce pourrait être une contribution importante pour maintenir les acquis d’une loi qui a reconnu en 2002 l’action première des personnes pour transformer leur situation et celle des leurs et inciter à plutôt configurer le pas suivant à partir de là.

Une belle idée, même celle d’un revenu minimum garanti, ne justifie pas de baisser la barre de ce qui est déjà garanti. Appauvrir et accabler davantage les plus pauvres dans leur accès au minimum pour vivre, comme condition préalable à un revenu de base inconditionnel et universel qui serait plus bas que le minimum actuellement protégé, apparaît ici comme une tentation à laquelle il faut résister. C’est l’universalité et l’inconditionnalité du résultat qui prime : soit l’accès de toutes et tous à la couverture de leurs besoins de base dans le respect tout aussi nécessaire de leur dignité. Le Québec était en 2011 à 3,6 G$ de l’assurer au niveau de la mesure du panier de consommation, ce qui représentait moins de 2 % du revenu disponible total. Le prochain pas à franchir en matière de lutte contre la pauvreté suppose de trouver comment se persuader de le faire. Chose certaine, il faudra jouer à autre chose qu’à je t’aide moi non plus pour y arriver.

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