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Des promesses électorales à saveur de lutte à la pauvreté

12 décembre 2017

  • Eve-Lyne Couturier

Le gouvernement a présenté hier son plan d’action contre la pauvreté. Pardon, son « Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale ». Le document se lit comme un programme électoral. Ainsi, entre les lignes, on peut lire que si le PLQ est réélu, les groupes communautaires recevront plus d’argent, les logements sociaux promis seront construits, les personnes prestataires d’aide de dernier recours auront plus d’argent dans leurs poches et elles pourront accéder plus facilement aux services de garde subventionnés, aux maternelles 4 ans, à la culture et aux loisirs. Mais avant de déboucher le Cava (le champagne des pauvres), prenons le temps de voir les détails du plan.

Sans surprise, la majorité des mesures sont liées à l’emploi. Il faut favoriser la transition de l’aide de dernier recours à l’emploi, il faut miser sur une éducation vers l’emploi, il faut bonifier les revenus à l’emploi. Bref, la pauvreté, c’est d’abord une question de manque d’emploi. Le titre même du plan d’action nous le révèle : d’abord inclure économiquement, puis encourager la participation sociale (ce qui est toujours un plus à mettre sur son CV).

Ceux et celles qui espéraient voir l’introduction d’une forme de revenu minimum garanti (RMG) risquent d’être fort déçu·e·s. Il y a bien l’annonce d’un « revenu de base », mais il est limité à un seul groupe : les personnes avec des contraintes sévères à l’emploi qui sont prestataires de l’aide sociale depuis au moins 5 ans et demi. La prestation n’est donc ni universelle, ni inconditionnelle. Elle permet néanmoins aux prestataires de travailler un peu puisque le revenu de base continuera d’être versé pendant quelques mois après l’obtention d’un emploi. Pour les autres prestataires, s’ils sont seuls ou sans enfant, on leur fait l’honneur d’augmenter leur revenu (très) graduellement afin d’atteindre le mythique 55 % de la mesure du panier de consommation (MPC), établi par le comité d’experts sur le RMG. Rappelons-le, la MPC permet de déterminer le minimum des dépenses nécessaires pour répondre à ses besoins. Il ne s’agit toutefois pas d’une mesure de « pauvreté ». Même en ayant les revenus nécessaires pour se procurer un panier minimal, plusieurs éléments peuvent demeurer inaccessibles puisque ce ne sont pas toutes les dépenses qui y sont incluses (soins de santé, loisirs, etc.), et qu’il n’y a aucune marge de manœuvre pour des économies ou des imprévus. Si le gouvernement a reconnu l’expertise du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CÉPE), qu’il cite abondamment dans son rapport, il a choisi d’ignorer totalement celle de son propre Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES) qui recommandait pour sa part l’atteinte de 80 % de la MPC.

Dans le plan dévoilé hier, on retrouve une autre pourcentage : celui visant à déterminer le salaire minimum. L’objectif sera d’atteindre, d’ici 2023, 50 % du revenu moyen en travaillant 40 h au salaire minimum. Pourtant, selon l’Institut de la statistique, le temps plein commence à 30 h. De plus, il n’est pas rare de voir des emplois « à temps plein » avec des horaires encore plus courts, particulièrement quand ils sont au salaire minimum. Ainsi, même en utilisant leur propre indicateur, le 50 % semble bien peu. Mais allons encore plus loin. Parsemées dans le rapport se trouvent des mesures à l’effet d’augmenter les revenus des travailleurs et travailleuses précaires. Ainsi, on majore l’exemption pour revenu de travail des prestataires d’aide de dernier recours, on hausse la prime au travail, on ajoute un boni au maintien à l’emploi et on permet la combinaison des revenus de travail et du revenu de base… Bref, on continue de subventionner les milieux de travail qui offrent des emplois précaires plutôt que de demander que chacun fasse sa « juste part » en mettant à contribution les employeurs. Le gouvernement était beaucoup moins gêné lorsqu’il était temps de demander à la population de se serrer la ceinture.

Le plan fait grand cas de la sortie de la pauvreté par l’emploi, et il est vrai qu’une importante part de la socialisation et de l’inclusion sociale passe actuellement par le travail. D’une part, l’accès à l’emploi ne règle pas tout. Dans plusieurs cas, le marché du travail veut dire transitionner vers une précarité salariée. On échange alors une aide de dernier recours insuffisante pour un milieu de travail qui peine à respecter les limites et la dignité de la personne qui travaille. De plus, en ce qui concerne les objectifs du gouvernement, il faudra distinguer ce qui résultera de l’application du plan de ce qui sera plutôt tributaire de la situation économique actuelle. En effet, avec la reprise provoquée par la hausse des transferts fédéraux et la reprise économique mondiale, on voit déjà des entreprises se retrouver en pénurie de main-d’œuvre.

Bien qu’on puisse se réjouir de voir que le rapport reconnaisse que vivre dans la pauvreté, c’est bien plus que manquer d’argent, on a l’impression que l’objectif est plus mathématique que concret. En fait, si le gouvernement vise sortir 100 000 personnes de la pauvreté, c’est simplement pour se positionner dans le groupe des pays se trouvant dans le peloton de tête dans la lutte à la pauvreté. Il s’agit donc d’améliorer des indicateurs « objectifs » plutôt que d’améliorer « subjectivement » la vie des personnes dans la précarité. Est-ce que les prestataires d’aide de dernier recours auront assez pour vivre? À quel genre de qualité de vie auront-ils droit? Voilà des considérations qui passent en second plan. D’abord : améliorer notre score dans le palmarès international, ensuite : mettre tous ces paresseux à l’emploi. Ou peut-être que j’inverse les priorités. Peu importe. L’important, ce sont les apparences.

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