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Ce que le populisme n’est pas (1/3)

19 septembre 2024

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7min

  • Philippe Hurteau

Le sociologue Federico Tarragoni, dans L’esprit démocratique du populisme, attaque frontalement les idées reçues sur le phénomène du populisme. Pour nous aider collectivement à dépasser les anathèmes réducteurs à ce sujet, je propose d’explorer le livre de Tarragoni pour en tirer trois enseignements: 1) mieux comprendre ce que le populisme n’est pas, 2) explorer empiriquement ce qu’il a été et 3) chercher à saisir ce que cette approche stratégique peut vouloir dire pour nous. Dans ce texte, je vais me concentrer sur le premier de ces trois aspects. Deux textes suivront sous peu pour les 2e et 3e éléments. 

Avec la fin de la guerre froide, l’idée qu’il n’existe aucune alternative au monde libéral s’est imposée. D’où, selon Tarragoni, la normalisation et la généralisation d’un usage conformiste du « populisme » par les élites médiatiques: toute remise en question de ce cadre dominant devient déraisonnable, au sens qu’elle serait le fruit d’une pensée « hors raison », uniquement motivée par les pires pulsions autoritaires auxquelles le peuple est associé. Le référent « peuple », loin de se présenter comme le sujet abstrait de la démocratie, devient un indicateur de radicalisation où pulsion autoritaire et activation politique du peuple se trouvent associées. 

Le populisme, en proposant de couper le peuple de l’état de minorité dans lequel le libéralisme le confine – soit de limiter son rôle démocratique à celui d’arbitre-spectateur du conflit entre des acteurs dominants pour la conquête du pouvoir – se rendrait alors coupable d’illibéralisme. Afin de protéger la pratique libérale qui œuvre à réduire la démocratie à un jeu de marketing entre membres accrédités de l’élite dirigeante, il faut discréditer les demandes populaires qui la contestent trop directement. D’où l’utilisation péjorative du populisme: le terme devient l’incarnation même du déraisonnable, voire du dangereux. 

Axiome 1: le populisme est une affaire de démagogie

Une première manière de réduire la portée démocratique des demandes populaires est bien entendu d’attaquer le caractère rationnel du peuple pour mieux rabattre toute désignation populiste comme une forme ou une autre de manipulation. Comme le rappelle justement Tarragoni, le propre du peuple est d’agir politiquement et non seulement, comme le veulent les approches libérales et conservatrices, d’être une masse inerte en attente d’être organisée de l’extérieur et, ce faisant, manipulée. 

L’appel au peuple peut bien entendu s’intégrer dans un dispositif manipulateur: Donald Trump, par exemple, est passé maître à ce jeu où il parvient à complètement brouiller les lignes de partage entre ce qui relève de ses propres intérêts, ceux de ses amis milliardaires et un peuple ouvrier réputé sous attaque et abandonné. Associer Trump au populisme revient alors à construire une équivalence entre le populisme d’une part et la démagogie de l’autre. Les pratiques discursives démagogiques manipulent en créant une adhésion irréfléchie, presque mécanique, entre une option politique et une foule réputée inerte et inapte à penser par elle-même. La démagogie est dès lors foncièrement anti-démocratique et y associer tout référant au peuple revient à adhérer à une vision élitiste de la démocratie: pour éviter les dérives populaires, confions les reines du pouvoir à une élite modérée et ne laissons au peuple le seul soin de désigner ses représentant·e·s parmi les membres de cette élite. 

Dans l’alternative entre démagogie et modération, le « populisme » est invariablement associé au premier terme de ce couple. À quoi bon alors parler de populisme et non simplement de démagogie? La réponse est fort simple: pour mieux protéger la cadre élitiste dans lequel  le « peuple démocratique » ne doit jamais s’instituer en acteur réel du jeu politique.  

Axiome 2: le populisme est transidéologique ou postidéologique

Cette idée que le populisme porte en lui un danger, celui du surgissement d’une masse manipulée qui s’attaque au cadre institutionnel libéral, se complète par l’affirmation de son caractère postidélogique. Le populisme pourrait être de droite ou de gauche, ou encore ni de droite ni de gauche. Il serait, en tout cas, vide de tout contenu. Si le populisme est lié à la manipulation et la démagogie, il n’est donc pas une tradition politique en lui-même, mais une pure pratique discursive dirigée vers la stimulation d’affects au potentiel destructeur. 

Dans les 2e et 3e textes de cette série, on verra en quoi le populisme est en fait tout sauf postidélogique, mais bien une proposition stratégique spécifique à certains courants associés à la gauche politique. Nier ce type d’ancrage historique, social et idéologique revient en fait à consolider l’accusation de démagogie avancée plus haut: à droite comme à gauche, des personnalités politiques mal intentionnées montent le bon peuple contre l’ordre établi en lui mettant en tête des idées pétries d’illibéralisme. 

Ce faisant, il est possible de renvoyer dos à dos la montée des partis racistes de droite et de ceux de la gauche que l’on dit radicale. Le champ de force que la politique produit ne se construit plus alors autour des pôles « gauche vs droite », « socialisme vs capitalisme » ou encore « communisme vs fascisme »; mais est remplacé par une représentation d’extrême-centre: « centre vs extrêmes ». Cela revient à gommer ce qui différencie substantiellement la gauche de la droite au seul profit d’une perspective neutre du politique où tout problème social trouve sa solution technique.  

Axiome 3: le populisme est une alchimie entre démocratie et autoritarisme

Mais qu’est-ce qui mène le peuple à se laisser aller aux démagogues? Pourquoi succombe-t-il aux sirènes de la manipulation soi-disant populiste? Tarragoni répond avec clarté: le rabattement du populisme à un seul fondement démagogique à portée transidéologique, à une simple pratique manipulatoire sans contenu propre,  « reproduit […] à notre insu, des représentations anciennes du peuple [voulant] que le peuple aime naturellement l’autorité. »

De l’Antiquité à nos jours, les attentes populaires seraient invariablement les mêmes: du pain, des jeux et un bâton de police. Lorsqu’il est repu, qu’il est diverti et qu’il aime son chef, le peuple ne peut que souhaiter voir ses libertés sacrifiées sur l’autel de son confort. La critique du populisme, loin de se porter à la défense d’une vision modérée de la démocratie, relève en fait davantage d’un réflexe agoraphobe.  

Axiome 4: le populisme menace!

Le problème fondamental du populisme, dans le regard de ses critiques, peut se résumer ainsi: « les populismes tournent le dos au règlement tacite du métier politique » au sens où il met en œuvre des pratiques destinées à légitimer et non à contenir la colère populaire.. C’est en ce sens qu’il serait par essence démagogique, a-idéologique et autoritaire. Il s’érigerait alors non pas comme une menace envers un ordre social donné, mais contre la démocratie elle-même.

La mobilisation, par des démagogues, des pulsions collectives que réprime l’individualisme libéral ne peut avoir comme finalité que le déchaînement de l’agressivité et de la violence. L’accusation de « populiste » sert alors à opérer un partage entre « le bon grain d’une démocratie normale […] de l’ivraie d’une démocratie pathologique » parce que soumise aux passions de la foule et aux diktats d’un tribun.

***

En suivant Tarragoni, on en conclut que l’utilisation à tort et à travers du qualificatif populiste relève soit de l’inculture, de la paresse ou d’une dissimulation. Inculture face à la réalité empirique de ce que le populisme a été dans l’histoire. Paresse à distinguer entre différentes formes de critiques du cadre libéral actuel. Dissimulation d’une caste politique voulant maintenir ses positions et ses intérêts. 

Dans les deux prochains textes, nous explorerons plus concrètement ce que le populisme a été et ce qu’il peut toujours être. 

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