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Examen de certains enjeux concernant les contrats publics de services professionnels de génie-conseil à Montréal pour le domaine des infrastructures

29 mai 2025

  • Colin Pratte

Il y a dix ans, la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction [ci-après CEIC ou commission Charbonneau] déposait son rapport, à la suite d’une enquête dont les révélations avaient secoué le Québec. Parmi les 60 recommandations formulées, les commissaires ont affirmé qu’« il est primordial de rééquilibrer le recours aux firmes de génie-conseil et de redonner aux donneurs d’ouvrage les coudées franches lorsque vient le temps de déterminer si des travaux doivent être réalisés à l’interne ou octroyés en sous-traitance1 ». Dans la foulée du début des travaux de la CEIC, le ministère des Transports du Québec [ci-après MTQ] avait procédé à l’embauche de 625 employé·e·s entre 2011 et 2014, de sorte que les travaux de surveillance réalisés à l’interne avaient augmenté de 16 à 21 %, et les activités d’inspection, de 43 à 58 %. Le MTQ estimait alors que cette politique avait généré des économies de 11,2 millions $ pour l’année 2013-2014 seulement2.

Cette étude examine les conséquences spécifiques au marché public du génie-conseil en infrastructures, à Montréal, pour lequel le donneur d’ouvrage n’a pas suivi cette recommandation et a, au contraire, augmenté son recours à la sous-traitance depuis dix ans. En effet, la valeur totale des contrats en infrastructures octroyés à des firmes de génie-conseil par la Ville de Montréal a augmenté en moyenne de 18 % par année entre 2012 et 20243.

Table des matières

Introduction

Ce marché public de services professionnels de génie-conseil n’est probablement pas le seul à avoir emprunté une trajectoire d’augmentation des contrats de sous-traitance. Nous nous attardons particulièrement à celui des infrastructures de la Ville de Montréal pour deux raisons. D’abord, ce marché public du génie-conseil est parmi les plus importants au Québec dans ce domaine. Ensuite, ce marché public présente des caractéristiques spécifiques qui facilitent son analyse. En effet, le mode d’octroi majoritaire des contrats préconisé par ce marché public est le système d’appel d’offres par « entente-cadre » ou à « exécution sur demande », que nous définissons en profondeur au premier chapitre. Ce mode d’octroi, par opposition à l’appel d’offres forfaitaire, s’appuie sur une rémunération horaire des consultant·e·s externes, ce qui rend possible une estimation fiable de l’évolution des honoraires professionnels moyens facturés par les firmes de génie-conseil dans les dernières années. Les tarifs demandés par les entreprises privées sont un indicateur central dans l’analyse d’un marché public donné, et la Ville de Montréal est, à notre connaissance, parmi les donneurs d’ouvrage publics qui recourent le plus à ce système dans le cadre de ses appels d’offres de services professionnels de génie-conseil.

Comme nous le verrons, les tarifs professionnels des firmes de génie-conseil pour le marché public du domaine des infrastructures à Montréal ont augmenté de façon substantielle dans les dix dernières années. Cette croissance importante justifie un examen détaillé des facteurs qui l’expliquent, afin de rompre avec une dynamique où les contrats publics accordés dans le cadre de ce marché s’éloignent du juste prix et minent la saine gestion des deniers des contribuables montréalais·es. Nous définissons le juste prix comme un tarif qui reflète l’évolution réelle de l’augmentation des dépenses des firmes et qui leur permet de dégager un bénéfice raisonnable.

Dans le premier chapitre, nous faisons un survol de l’évolution des principaux facteurs de risque reconnus pouvant affecter les marchés publics. Tour à tour, nous montrons que le marché public du génie-conseil en infrastructures à Montréal connaît une augmentation de la sous-traitance, une demande abondante de services externes ainsi qu’une concentration du marché. Ce chapitre aborde également les principaux risques liés au système d’appel d’offres par entente-cadre. Le chapitre suivant démontre que ces facteurs de risques ont eu des conséquences qui se présentent sous la forme de cinq enjeux, dont la croissance singulière des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil. Le dernier chapitre résume les conclusions de l’étude, en plus de formuler sept recommandations, la plupart ayant déjà été proposées par diverses instances de contrôle publiques dans les dernières années.

Portrait des facteurs de risques reliés au marché
public du génie-conseil à Montréal

Ce chapitre présente l’évolution de quatre facteurs de nature à augmenter les risques de distorsion de la concurrence pour le marché public du génie-conseil à Montréal.

Les marchés publics désignent les achats de biens et de services auprès d’entreprises effectués par des organismes publics, municipaux, ou encore par des sociétés d’État4. Le poids de ces marchés dans l’économie est non négligeable. En 2021, les achats publics représentaient 28,7 % des dépenses des différents paliers de gouvernement du Canada et comptaient pour 13,4 % du PIB national, selon une compilation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)5.

L’efficacité et l’intégrité des marchés publics sont essentielles à une saine gestion des fonds publics et à une qualité satisfaisante des biens et services acquis. Au Québec, les marchés publics sont surveillés par diverses institutions publiques. Le tableau 1 énumère les organismes publics ayant des pouvoirs d’enquête et de surveillance à l’égard des marchés publics et des organismes provinciaux et municipaux.

À compter de 2011, le Québec a été secoué par les révélations faites dans le cadre de la CEIC. Les 60 recommandations émises par les commissaires Charbonneau et Lachance en 2015 visaient à « privilégier des réformes structurantes6 », par opposition à une approche axée sur les comportements des individus. En 2013, le rapport Léonard, qui a traité précisément de l’octroi de contrats publics à la Ville de Montréal, proposait également des réformes à caractère structurel, dont la mise en œuvre améliorerait la performance des marchés publics7.

Parmi les facteurs de risques cités dans les rapports Léonard et Charbonneau : la convergence des marchés et la faible concurrence8; la perte d’expertise publique interne et la sous-traitance9; la surchauffe de la demande de contrats publics10; le recours à des contrats de type entente-cadre11.

La surveillance des marchés publics implique entre autres un suivi régulier de l’évolution des facteurs de risques pouvant conduire à une utilisation sous-optimale des deniers publics. Les prochaines sections brossent un portrait sommaire de l’évolution de chacun des quatre risques. Une attention particulière est accordée au risque posé par les contrats de type ententes-cadres, car ce type de contrat et le risque qu’il représente sont possiblement moins connus du public.

1.1 La sous-traitance et la surchauffe de la demande

On observe à Montréal une croissance importante des contrats publics de services professionnels de génie-conseil au cours des dix dernières années. Ces contrats sont majoritairement accordés par l’une des divisions de la Direction générale adjointe des services d’urbanisme, de mobilité, d’infrastructures du réseau routier et de l’eau, dont le rôle est de gérer notamment les infrastructures routières et aquifères, la circulation et l’urbanisme12. Les services professionnels de génie-conseil sont sollicités principalement pour deux types de tâches : la conception de plans et devis ainsi que la surveillance de chantiers de construction.

Le tableau 2 montre l’évolution annuelle de la valeur des contrats octroyés aux firmes de génie-conseil à Montréal. La première colonne présente la valeur des contrats accordés par la Ville de Montréal, par l’un des trois services, soit celui de (1) l’urbanisme et de la mobilité, (2) de l’eau et (3) des infrastructures du réseau routier. La seconde colonne compile l’ensemble des contrats de génie-conseil accordés tant par la Ville que par ses arrondissements, et ce, par tous les services. Les contrats de la première colonne sont donc compris dans la deuxième colonne.

On remarque que les contrats accordés par les trois services de la Ville de Montréal représentent la majorité du marché public de génie-conseil municipal à Montréal. Le chapitre 2 de cette étude porte sur le marché représenté à la première colonne du tableau 2, et exclut donc les contrats d’arrondissements. Entre 2012 et 2024, les contrats pour des services professionnels de génie-conseil accordés par la Ville de Montréal (colonne 1) ont crû en moyenne de 18 % par année.

Cette croissance fait écho à deux facteurs de risques cités, soit le recours à la sous-traitance et l’augmentation de la demande de services pour un marché donné. Dans un rapport publié par l’OCDE portant sur les marchés publics du Québec, l’organisation rappelait que l’abondance de contrats crée des conditions favorables aux entreprises soumissionnaires13, surtout si cette dynamique se déroule dans un contexte de faible concurrence. La prochaine section aborde l’enjeu de la concentration du marché.

1.2 La convergence des marchés

Le tableau 3 présente la part relative des cinq firmes de génie-conseil ayant obtenu la plus grande valeur de contrats publics octroyés en 2024 tant par la Ville de Montréal que par ses arrondissements.

Ensemble, ces 5 entreprises ont accaparé 58,9 % de la valeur des contrats publics de génie-conseil sur le territoire de la Ville de Montréal. La concentration de ce marché n’est pas une donnée nouvelle. Il y a 10 ans, soit en 2014, les 5 premières entreprises avaient obtenu 65 % de la valeur des contrats publics octroyés. Quatre des cinq premières firmes en 2024 l’étaient également en 2014.

La concentration du marché est encore plus aiguë dans le cas des contrats de génie-conseil accordés par la Ville de Montréal par l’un des trois services de l’eau, des infrastructures du réseau routier ou de l’urbanisme et de la mobilité. Le tableau 4 présente la part respective des cinq firmes ayant remporté le plus de contrats octroyés par l’un des trois services cités de la Ville de Montréal.

Il est possible que la concentration plus faible du tableau 3 comparativement au tableau 4 s’explique en partie par le fait que les arrondissements de Montréal octroient des contrats de moins grande taille, ce qui permet à davantage de plus petites firmes de soumissionner.

Le maintien d’une concentration du marché entre les mains de quelques firmes est entre autres favorisé par un type de contrat public spécifique, dénommé entente-cadre, de plus en plus utilisé par la Ville de Montréal dans les dernières années. Les prochains paragraphes définissent ce mode d’octroi public de contrats et expliquent son fonctionnement.

1.3 Les appels d’offres de type entente-cadre 

En 2013, le comité Léonard avait recommandé d’éviter de recourir aux ententes-cadres, étant donné les différents risques qu’elles représentent14. Dans le chapitre 2, nous montrerons en quoi la Ville de Montréal n’a pas mis en œuvre cette recommandation en recourant davantage aux ententes-cadres dans la dernière décennie. Il convient de définir ce qu’est une entente-cadre, et de présenter ses principaux avantages et inconvénients.

1.3.1 Définition et déroulement type de l’entente-cadre

Les appels d’offres d’organismes publics peuvent se dérouler de différentes manières. Or, tous suivent généralement une séquence en quatre temps principaux. Le schéma 1 illustre ces étapes.

Schéma 1
Déroulement simplifié d’un appel d’offres public

Source:« Les étapes d’un appel au marché public», ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/guides-et-outils/marches-publics/les-etapes-dun-appel-au-marche-public (consulté le 25 mars 2025); adaptation de l’auteur.

La variabilité des types d’appels d’offres se présente souvent à la première étape, ce qui a une incidence sur le déroulement des suivantes. La méthode usuelle est dite forfaitaire : l’adjudicataire fournit une description précise d’un bien ou service recherché, à laquelle répondent les soumissionnaires, le processus se concluant par l’octroi d’un contrat, généralement à l’entreprise ayant proposé le prix le plus compétitif. L’appel d’offres de type entente-cadre, aussi connu sous le nom de « contrat à exécution sur demande15 », se déroule différemment. L’organisme public décrit de manière plus générale plusieurs biens ou services convoités et prévoit souvent l’adjudication de plusieurs contrats. Le rapport Léonard définit l’entente-cadre comme

un contrat dans lequel la Ville tente d’obtenir des biens ou services dans un domaine précis, pendant une certaine période, sans identifier précisément les projets à réaliser au moment de l’appel d’offres16.

Voici par exemple le libellé de la description d’un appel d’offres de type entente-cadre formulé par le Service des infrastructures du réseau routier de la Ville de Montréal en 2024 :

Conclure une entente-cadre de services professionnels pour une durée de 36 mois pour réaliser des études géotechniques pour les services centraux, jusqu’à épuisement des enveloppes budgétaires ou jusqu’au 23 octobre 202717.

On remarque que ce libellé, contrairement à un appel d’offres forfaitaire, ne fournit qu’une description générale de plusieurs livrables (des études géotechniques), dont le lieu et l’échéance précis ne sont pas déterminés. Chacune des études géotechniques est rémunérée à l’heure.

Voici un autre libellé d’appel d’offres de type entente-cadre, qui illustre également les aspects général et indéterminé de l’entente-cadre :

Conclure trois ententes-cadres de services professionnels en gestion et surveillance des travaux pour les travaux de réfection d’infrastructures sur le territoire de la Ville de Montréal18.

Une entente-cadre peut prendre plusieurs formes. Dans le cas d’achats de services professionnels de génie-conseil par la Ville de Montréal, le déroulement concret d’une entente-cadre se déroule ainsi :

  1. À partir d’une description générale de plusieurs projets interreliés, la Ville lance un appel d’offres, lequel prévoit généralement plusieurs contrats qui seront consentis à différentes firmes de génie-conseil.
  2. Chacun des contrats prévoit une quantité d’heures de travail et une rémunération des ressources professionnelles recherchées par la Ville.
  3. Les firmes de génie-conseil intéressées déposent une soumission séparée en deux sections distinctes : une partie qualitative, qui décrit la compréhension du mandat convoité, la méthodologie proposée ainsi que l’expérience de la firme et de ses ressources professionnelles disponibles, et une partie monétaire, qui renferme les tarifs horaires pour chacune des catégories de professionnel·le·s participant à l’appel d’offres19.
  4. Un comité de sélection analyse les soumissions reçues, en évaluant d’abord la partie qualitative. Afin de garantir un niveau de qualité acceptable, l’enveloppe renfermant les honoraires professionnels est ouverte uniquement lorsque la section qualitative obtient un score minimal de 70 points sur 10020. La section monétaire de l’appel d’offres est évaluée pour sa part au moyen d’une estimation par la Ville de la valeur du contrat, qui donne lieu à un calcul d’écart entre le prix soumis par la firme et l’estimation du comité de sélection.
  5. Une pondération est effectuée entre les sections qualitatives et monétaires des soumissions afin de parvenir à un score final. Les contrats sujets à adjudication, qui renferment des quantités d’heures variables, sont accordés aux entreprises ayant eu les scores les plus élevés. Une firme ne peut obtenir plus d’un contrat.
  6. Les contrats signés prennent effet, et le service concerné de la Ville de Montréal (eau, urbanisme et mobilité, infrastructures routières, etc.) se prévaut des heures de services professionnels des firmes par le biais d’une série de mandats conçus par des professionnels de la Ville. Les taux horaires des mandats ne sont pas renégociés et sont ceux prévus dans la soumission initiale de la firme. L’entente-cadre prend fin à l’expiration des heures totales prévues au contrat ou à l’échéance de la durée maximale de l’entente indiquée dans l’appel d’offres, soit habituellement 36 mois.

Le schéma 2 illustre le déroulement type d’une entente-cadre de services professionnels de génie-conseil à Montréal.

Schéma 2
Déroulement type d’une entente-cadre ayant une enveloppe totale de 12 M$ attribuée à 4 firmes, Montréal

Source: Bureau de l’inspecteur général de Montréal, Rapport de mi-année 2022, 2022, www.bigmtl.ca/wp-content/uploads/2022/09/rapport-mi-annee-2022-big-vf2.pdf, p. 24 ; adaptation de l’auteur.

L’entente-cadre prend ainsi la forme d’une banque d’heures. C’est surtout à cet égard qu’elle se distingue d’un contrat forfaitaire, puisque l’engagement de la firme concerne non pas la livraison d’un produit ou service précis, par exemple le plan et devis de la réfection d’un aqueduc selon le prix soumis lors de l’appel d’offres, mais plutôt la disponibilité de ressources professionnelles annoncées dans la soumission selon le tarif horaire soumis. Les directions des services de la Ville se prévalent de ces ressources en signant une série de mandats successifs avec les firmes parties à l’entente-cadre, et les mandats sont accomplis généralement selon une rémunération horaire des consultant·e·s externes. Il y a donc deux étapes contractuelles : d’abord la signature du contrat-cadre général à l’issue de l’appel d’offres, et ensuite l’exécution d’une série de mandats à l’intérieur du contrat-cadre. Le tableau 5 compare les contrats forfaitaires aux ententes-cadres, afin d’en mieux cerner les spécificités.

1.4 Les avantages des ententes-cadres

Du point de vue des organismes publics responsables des appels d’offres, les ententes-cadres présentent plusieurs avantages. D’abord, la signature d’une entente-cadre conduit à une série de mandats successifs, ce qui diminue la quantité totale d’appels d’offres à lancer et, en conséquence, génère des économies sur les dépenses administratives21. L’entente-cadre est donc assimilable à un mode d’agrégation de la demande. Ensuite, l’entente-cadre peut se justifier dans un contexte de rareté des ressources professionnelles privées, où l’organisme public se retrouve en compétition avec d’autres organisations pour l’accès à ces ressources (MTQ, Hydro-Québec, autres villes, entreprises privées, etc.). L’entente-cadre garantit un accès à des ressources durant la période prévue au contrat, soit environ trois années, bien que certaines soient plus longues. Par exemple, le Service des infrastructures du réseau routier a conclu en 2023, auprès d’une firme de génie-conseil, une entente-cadre d’une durée maximale de neuf ans, dans le cadre du projet de la rue Sainte-Catherine Ouest22. Également, la plupart des appels d’offres par entente-cadre prévoient l’adjudication de plus d’une entente-cadre à plusieurs firmes de génie-conseil, ce qui prémunit davantage la Ville contre tout manque de disponibilité de la part d’une firme en particulier. Le cas échéant, la Ville pourra se tourner vers une autre des firmes parties à l’entente-cadre.

La conclusion de telles ententes présente également des atouts sur le plan de la rapidité et de la flexibilité des mandats accordés en vertu des ententes-cadres, où une certaine économie de temps est réalisée étant donné l’absence de processus d’appel d’offres distincts pour chacun des mandats23. Dans un rapport sur le sujet, le Bureau de l’inspecteur général le résume de cette manière : « Ce type de contrat est utile lorsqu’un organisme public ne sait pas précisément quand il aura besoin des biens ou services professionnels, mais qu’il sait qu’il aura des besoins à court terme ou moyen terme24. » Le vérificateur général de la Ville de Montréal soulignait aussi cette flexibilité dans un rapport de 2009 portant sur les ententes-cadres, qu’il définissait ainsi : « Entente visant à permettre aux unités d’affaires [les organismes publics] de confier, sur demande, en fonction des besoins, divers mandats à une firme retenue25. » De son côté, le rapport Léonard de 2013 affirmait que « l’objectif de l’entente-cadre est de raccourcir le délai d’octroi de contrats26 ».

En somme, les ententes-cadres facilitent l’accès du donneur d’ouvrage public à des ressources professionnelles limitées, tout en allégeant la charge administrative, ce qui accélère le démarrage des mandats confiés au privé.

1.5 Les inconvénients des ententes-cadres

De manière générale, les avantages attendus des ententes-cadres se matérialiseront uniquement si un certain nombre de conditions sont respectées, la première étant l’existence d’une réelle concurrence entre plusieurs entreprises susceptibles de répondre à l’appel d’offres.

L’entente-cadre étant un large contrat renfermant une succession de plus petits mandats accordés sans appel d’offres supplémentaires aux firmes ayant remporté l’appel d’offres initial, la mécanique de ce type de contrat s’appuie sur la constitution d’un marché fermé à la concurrence. En effet, les mandats sont obligatoirement accordés aux quelques firmes parties à l’entente selon des tarifs professionnels prédéfinis. Afin que ce marché dit fermé ne soit pas synonyme de prix trop éloignés du juste prix, l’étape « ouverte » de l’entente-cadre, soit le moment où l’appel d’offres est lancé et où toute firme de génie-conseil intéressée peut déposer une soumission, doit voir plusieurs concurrents rivaliser pour obtenir le contrat. Cette étape est cruciale puisque, comme mentionné plus haut, elle engage le donneur d’ouvrage public dans une entente contractuelle de plusieurs années où les tarifs des mandats sont fixés d’avance, sans aucune autre phase ultérieure faisant place à la concurrence27.

Or, l’appel d’offres de type entente-cadre, par sa forme même, peut générer une plus faible concurrence lors de l’appel initial. D’abord, il exige des firmes qu’elles rendent disponible un volume important de ressources professionnelles, souvent dans des domaines d’expertises variées. L’évaluation de la portion qualitative des devis tient compte de leur expertise, accordant 30 points sur 100 au critère « qualification et expérience du personnel affecté28 ». La diversité des expertises ainsi que la quantité d’heures-travail requises pour prétendre accomplir l’entente-cadre posent d’importantes barrières à l’entrée aux plus petites firmes de génie-conseil et avantagent ainsi les plus grandes. Plusieurs études scientifiques font état d’un effet négatif des ententes-cadres sur la participation des petites et moyennes entreprises (PME) aux appels d’offres, qui diminuerait ainsi le caractère concurrentiel du marché29.

Un second aspect des ententes-cadres affectant négativement la concurrence découle du fait que l’appel d’offres initial prévoit habituellement l’adjudication de plusieurs contrats. Cette division en plusieurs contrats peut diminuer leur grosseur, et permettre à l’organisme public de se tourner vers plus d’une firme dans la conclusion des mandats successifs et de se prémunir contre toute indisponibilité. Or, l’adjudication de plusieurs ententes-cadres au sein d’un seul appel d’offres augmente la probabilité pour les firmes soumissionnaires de remporter un contrat, ce qui diminue la concurrence entre les firmes. Nous verrons au prochain chapitre qu’un grand nombre d’appels d’offres pour des ententes-cadres ont obtenu autant de soumissions recevables qu’il y avait de contrats accordés. Plus le ratio entre la quantité de soumissions reçues et le nombre de contrats octroyés s’approche de 1, moins un marché est dit concurrentiel.

L’incidence négative des ententes-cadres sur la compétitivité des marchés est reconnue dans les recherches sur le sujet comme un « effet baissier sur la participation [aux appels d’offres]30 [traduction libre] ». On peut retenir la formule suivante, tirée d’un article : « si l’effet baissier sur la participation n’est pas trop fort, l’agrégation de la demande [entente-cadre] conduit généralement à des économies plus grandes31 [traduction libre] ». Autrement dit, l’entente-cadre comme mode d’agrégation de la demande – une succession de mandats est l’objet d’un seul appel d’offres – sera avantageuse uniquement si cette manière d’accorder les contrats ne réduit pas trop le nombre de firmes en mesure de déposer des soumissions.

Le danger majeur de la formule entente-cadre est de générer un marché doublement fermé, soit un marché plus ou moins fermé à la première étape initiale d’appel d’offres où les barrières à l’entrée écartent d’emblée les plus petites firmes, et fermé ensuite à l’intérieur du déroulement de l’entente-cadre, où les mandats sont obligatoirement accordés aux firmes ayant remporté l’un des contrats adjugés.

À long terme, un effet pervers des ententes-cadres peut être celui d’une modification durable de la structure du marché, après une sélection à répétition des plus grandes firmes au détriment des plus petites. Des chercheurs et chercheuses ont mis en garde les organismes publics, signalant que l’usage des ententes-cadres peut mener à « négliger les conséquences sur les structures du marché à moyen ou long terme sur le plan de la concurrence32 [traduction libre] ». Cette perspective à long terme est parfois mise de côté par les organismes publics en faveur de considérations à court terme, comme pouvoir compter sur des ressources professionnelles pour réaliser des travaux parfois urgents, ce qui est un des avantages recherchés par le recours aux ententes-cadres. Le risque que les ententes-cadres contribuent à réduire la concurrence n’est pas négligeable. Au Québec, les contrats publics représentaient en effet 28 % du chiffre d’affaires des firmes de génie-conseil en 202333.

Un marché moins concurrentiel pose des inconvénients évidents sur le plan de l’atteinte du juste prix pour les organismes publics. Un nombre réduit de firmes déposant des soumissions constitue un facteur de risque reconnu dans la mise en place d’un système de collusion. De plus, le modèle des ententes-cadres facilite en lui-même des pratiques de collusion puisque le coût monétaire sur lequel portent les soumissions est un tarif d’honoraire professionnel, et non un coût global pour chaque appel d’offres, comme dans le cas d’un contrat de type forfaitaire. Autrement dit, puisque l’objet monétaire de la soumission est toujours le même (des taux d’honoraires professionnels), la mise en place hypothétique d’un système de collusion devient plus simple étant donné que les communications interfirmes nécessaires pour le faire sont réduites.

En dernier lieu, les ententes-cadres posent des enjeux de transparence et de reddition de comptes, car comme les mandats sont rémunérés à l’heure et ne sont pas rendus publics, les dépassements de coûts demeurent inexpliqués. Dans le cas des contrats forfaitaires, si les coûts dépassent le budget de contingence prévu au contrat, les sommes supplémentaires nécessaires sont approuvées par les instances publiques de la Ville, telles que le comité exécutif. En plus de cet enjeu de transparence au regard des dépassements de coûts, les ententes-cadres ont également pour effet de transférer les risques des contrats sur les épaules de l’organisme public, puisque les firmes n’ont pas d’engagement à produire les livrables selon une somme forfaitaire prédéfinie. L’article 2109 du Code civil du Québec prévoit en effet que sauf exception, le prix des contrats forfaitaires demeure ferme : « Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement34. »

Ce premier chapitre a fait état de la présence d’une série de facteurs de risques relatifs au marché public du génie-conseil à Montréal. Tour à tour, il a été question des risques reliés à la croissance de la sous-traitance et à l’augmentation de la demande, à la convergence du marché ainsi qu’au recours aux contrats de type entente-cadre. L’existence de risques n’implique pas nécessairement que ceux-ci se matérialisent. Le prochain chapitre présente toutefois des données quantitatives et qualitatives qui démontrent que le marché public à l’étude est aux prises avec divers enjeux.

2. Examen des enjeux affectant le marché public
montréalais de services de génie-conseil en infrastructures

La qualité d’un marché public se mesure à sa capacité d’atteindre le juste prix, soit un prix qui s’approche des coûts réels engagés par les soumissionnaires et qui inclut un bénéfice raisonnable35. Dans ce chapitre, les irrégularités sont définies comme des facteurs qui éloignent les tarifs des soumissions du juste prix, en exerçant une pression à la hausse. Le terme « enjeu » ne désigne pas des actes illégaux, mais plutôt des facteurs ou des indices de distorsion de l’effet de concurrence attendu du marché, censé générer un juste prix. Ce chapitre définit cinq enjeux dans le marché public du génie-conseil pour les infrastructures montréalaises. Le premier concerne une dynamique de surenchère des tarifs des firmes de génie-conseil. Les enjeux suivants permettent d’expliquer en partie cette surenchère, à la lumière des informations disponibles.

En plus d’une recherche documentaire, et afin d’enrichir notre compréhension des problèmes affectant le marché public à l’étude, nous avons mené quatre entrevues auprès d’ingénieur·e·s qui travaillaient à la Ville de Montréal, au moment des observations relatées, dans le domaine de la gestion des contrats sous-traités à des firmes de génie-conseil, ainsi qu’une cinquième entrevue auprès d’un·e ingénieur·e ayant déjà été employé par une grande firme de génie-conseil, et qui avait comme client la Ville de Montréal. Également, nous avons rencontré un personne travaillant au sein d’une entreprise de construction qui a régulièrement des contrats publics avec la Ville de Montréal. L’identité des personnes interviewées est gardée confidentielle. Le terme « témoin » est utilisé pour les désigner.

Aux fins de la présente étude, le marché public des infrastructures désigne l’ensemble des contrats publics de génie-conseil du ressort des trois services centraux suivants dirigés par la Ville : Service de l’urbanisme et de la mobilité ; Service de l’eau ; Service des infrastructures du réseau routier36. Les contrats d’arrondissement sont donc exclus de l’analyse. Les contrats de tous les autres services centraux sont également exclus, car ces derniers concernent des ressources professionnelles autres que le génie-conseil. Par exemple, les dépenses du Service de la gestion et de la planification des immeubles comprennent plus d’honoraires professionnels d’architectes que celles des trois services retenus. Autrement dit, l’objectif étant d’interpréter les dynamiques de coûts des contrats dans le domaine de l’ingénierie, nous avons isolé le domaine de contrats publics dits des infrastructures, parce qu’ils mobilisent des services professionnels de génie-conseil.

Enjeu #1 : l’évolution des coûts des contrats publics de génie-conseil en infrastructures à Montréal

L’un des indicateurs clés de l’état d’un marché public donné est l’évolution des coûts des contrats publics, et le rapport qualité-prix qui en découle37. Lorsque le taux de croissance des prix est supérieur à une variable comparative dite de contrôle, soit l’indice des prix à la consommation ou encore une comparaison avec des contrats similaires dans d’autres marchés publics comparables, il y a alors lieu de chercher à comprendre à quoi sont dues cette augmentation singulière et cette baisse du rapport qualité-prix. À ce propos, l’OCDE recommande aux donneurs d’ouvrages publics de suivre constamment l’évolution des prix courants, reprenant un adage économique : « Ce qui ne peut être mesuré ne peut être géré38 [traduction libre]. »

L’évaluation de l’évolution des coûts des contrats publics pose des défis méthodologiques. Par exemple, pour le marché public de l’industrie de la construction, chaque projet comporte des caractéristiques particulières (matériaux, complexité, délai, etc.) de sorte qu’il est plus difficile d’établir une estimation de l’évolution des coûts à partir des données publiques accessibles, qui se limitent bien souvent au coût agrégé du projet et ne détaillent pas les quantités physiques (tonnes, heures-travail, énergie, etc.). Les contrats publics de génie-conseil à Montréal comportent pour leur part des caractéristiques distinctes qui nous permettent de procéder à une estimation fiable de l’évolution des coûts des contrats à partir des données publiques disponibles.

2.1.1 La spécificité des contrats de génie-conseil : heures-travail et entente-cadre

La quasi-totalité des contrats de génie-conseil à Montréal prennent désormais la forme d’ententes-cadres. Ces contrats prévoient une banque d’heures pour chaque poste professionnel. Ce nombre d’heures est ensuite publié sur le Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO). Les firmes de génie-conseil soumettent un tarif horaire pour chacun des postes. Ces tarifs comprennent l’ensemble des dépenses des firmes et une marge de profit. Le tableau 6 présente un exemple en ce sens, tiré d’une entente-cadre de 9,8 M$ conclue en 2022.

Lors de la conclusion des ententes-cadres, un sommaire décisionnel est publié par la Ville de Montréal. À cette étape, le montant final du contrat est publié, mais les taux horaires soumis par les firmes sont gardés confidentiels. Il est toutefois possible d’inférer les taux horaires soumis, avec un degré élevé de certitude. Cependant, seul un type d’entente-cadre permet ce calcul : les contrats publics prévoyant uniquement l’achat d’heures-travail de services professionnels. En effet, certaines ententes-cadres conclues avec des firmes de génie-conseil prévoient l’achat de services professionnels autres que des heures de travail. Par exemple, une entente-cadre de surveillance de chantier pourra prévoir des services de surveillance de la qualité des matériaux utilisés par les entrepreneurs, auquel cas la firme de génie-conseil devra engager des frais d’analyse en laboratoire. La proportion de ces dépenses sur le coût total du contrat n’est pas publiée par la Ville ou accessible sur le SEAO, ce qui empêche d’isoler le coût associé uniquement aux heures-travail de services professionnels. À l’inverse, plusieurs ententes-cadres prévoient strictement l’achat de temps de travail effectué par des professionnel·le·s, sans dépenses d’autres natures. En ces cas, le montant total des contrats conclus correspond au coût de l’achat de services professionnels horaires, à l’instar du tableau 6. Pour ces contrats, il est alors possible d’inférer les taux horaires en faisant appel à un autre outil, le barème gouvernemental des honoraires de services professionnels, connu sous le nom de barème 1235-87, que nous présentons ci-dessous.

2.1.2 Le barème 1235-87 comme outil d’évaluation de la valeur des ressources professionnelles

Comme mentionné, la publication des ententes-cadres de services professionnels de génie-conseil comporte une variable inconnue (les taux horaires soumis par les firmes) et deux variables connues (la quantité d’heures par ressource professionnelle ainsi que le coût total du contrat). Une règle de trois, soit la division du coût total du contrat par la quantité d’heures pour chaque poste, permet d’attribuer à chaque ressource professionnelle un taux horaire donné. Le tableau 7 montre ce calcul appliqué à l’entente-cadre citée au tableau 6.

Le calcul présenté au tableau 7 présente l’inconvénient de supposer que les taux horaires des ressources professionnelles sont les mêmes, ce qui n’est évidemment pas le cas. Par exemple, il escamote la différence de valeur entre un ingénieur senior et un ingénieur junior. C’est pourquoi le gouvernement du Québec a mis en place, en 1987, le barème 1235-87, lequel établit des taux horaires pour les ressources professionnelles engagées par le gouvernement, mis à jour périodiquement. Cet outil vise à guider les organismes publics lors de l’estimation de la valeur des contrats sous-traités. Par exemple, le MTQ ainsi que tous les autres organismes publics du palier provincial ne peuvent accorder un contrat à une firme de génie-conseil dont les taux horaires dépassent ceux établis par règlement. Le tableau 8 présente les tarifs prévus au barème.

On peut donc utiliser le barème gouvernemental pour préciser le premier calcul présenté au tableau 7. Il permet ainsi de déduire les écarts de taux entre les différentes ressources, et de les appliquer ensuite à l’estimation. Le tableau 9 présente les résultats de ce calcul.

On constate un écart supérieur moyen de 6,5 % entre les honoraires professionnels estimés de l’entente-cadre et les honoraires professionnels du barème gouvernemental. Face à ces calculs, on constate d’abord que ce contrat montréalais dépasse de 6,5 % les honoraires jugés maximaux par les organismes publics provinciaux – rappelons que la loi empêche ceux-ci de conclure des contrats prévoyant des tarifs horaires supérieurs aux barèmes énumérés au tableau 8. À partir des calculs que nous permet de réaliser le barème 1235-87, la prochaine section présente l’évolution des taux horaires des firmes de génie-conseil à Montréal depuis 2012, dans le cadre d’appels d’offres relevant du domaine des infrastructures.

2.1.3 Estimation de l’évolution des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil

Le graphique 139 présente une estimation de l’évolution des honoraires professionnels facturés par les firmes de génie-conseil à la Ville de Montréal dans le cadre de contrats publics en infrastructures. Cette évolution des revenus des firmes est comparée à divers indicateurs permettant de mesurer l’augmentation moyenne des coûts de production des firmes. Le graphique est présenté en base 100, afin de pouvoir comparer les taux d’évolution respectifs des variables.

Dans ce graphique, les contrats d’entente-cadre retenus pour analyse ont été sélectionnés en fonction des critères suivants : le bordereau d’heures était en accès libre sur le SEAO ; le contrat a trait à des services de génie-conseil du domaine des infrastructures et a été octroyé par l’un des trois services de l’eau, des infrastructures du réseau routier et de l’urbanisme et mobilité de la Ville ; le contrat était de type entente-cadre et comportait strictement des achats d’heures de travail de ressources professionnelles. Au total, 70 ententes-cadres ont correspondu à ces critères et ont été analysées aux fins du graphique 1. Une entente-cadre comportant plusieurs contrats octroyés n’est comptabilisée qu’une seule fois.

Le tableau 10 énumère les variations entre les variables de référence de l’augmentation moyenne des coûts du secteur du génie-conseil et la variable de l’évolution des revenus des firmes, soit les honoraires professionnels.

Entre 2012 et 2024 et sur la base d’un échantillon de 70 contrats répartis sur 13 années, le taux d’augmentation annuel moyen des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil a été de 5,12 %. Sur la même période, l’IPC à Montréal a augmenté en moyenne de 2,38 %, tandis que les salaires annuels moyens des ingénieur·e·s travaillant dans le secteur privé à Montréal ont augmenté selon un taux annuel de 2,79 %. La croissance des tarifs des firmes de génie-conseil a donc été 2,15 fois supérieure à l’IPC entre 2012 et 2024, et 1,83 fois supérieure à la croissance des salaires des ingénieur·e·s dans le secteur privé, à Montréal. L’évolution des taux horaires des employé·e·s du secteur de l’architecture, du génie et autres services connexes, compilés par Statistique Canada, affiche également un écart avec les honoraires professionnels des firmes de génie-conseil, mais moins marqué que les autres indicateurs. Afin de bien interpréter ces statistiques, il convient de comprendre davantage la dynamique de coûts et de dépenses propres aux firmes de génie-conseil.

Le tableau 11 ventile les postes de dépense des firmes de génie-conseil au Québec en 2023 en se basant sur les données de l’Enquête annuelle sur les industries de services de Statistique Canada. On remarque que près de la moitié des dépenses ont trait à la rémunération du personnel.

À la lumière du tableau 11, les dépenses de firmes de génie-conseil au Québec concernent principalement la main-d’œuvre ; c’est surtout le cas dans les contrats publics de la Ville de Montréal, car ils comportent très rarement des « biens vendus », soit le deuxième poste de dépense moyen des firmes au Québec. La proportion des dépenses reliées à la main-d’œuvre est donc encore plus grande que la moyenne québécoise, qui est une estimation reflétant l’ensemble des activités des firmes de génie-conseil au Québec.

Par conséquent, l’inflation attribuable au coût de la main-d’œuvre est un indicateur important de l’augmentation des coûts des firmes de génie-conseil. En ce sens, le graphique 1 fait état d’un écart grandissant entre une augmentation possible des frais d’exploitation des firmes de génie-conseil et les tarifs facturés à la Ville de Montréal dans le cadre des ententes-cadres relevant du domaine des infrastructures. En d’autres termes, le possible découplage entre les dépenses et les revenus constaté au graphique 1 constitue un indice de surcoût des contrats publics de génie-conseil en infrastructures à Montréal. Faute de données exactes sur l’évolution réelle des coûts de production des firmes de génie-conseil à l’étude, soit le salaire versé à leurs ingénieur·e·s, on ne peut conclure à une augmentation des bénéfices des firmes de génie-conseil. Cette croissance des honoraires est également constatée par les ingénieur·e·s ayant travaillé à la Ville de Montréal que nous avons rencontré·e·s pour cette étude et qui ont observé une augmentation marquée des taux horaires des consultant·e·s externes dans les dernières années.

Sur la base de ces données, il est possible d’estimer pour le marché public à l’étude l’écart entre les honoraires professionnels soumis aux appels d’offres et le juste prix, soit un prix qui tient compte de l’évolution réelle des coûts de production des firmes dans les dernières années. À partir du tableau 9, on peut estimer selon une approche prudente cet écart à environ 20 %, soit l’écart le plus faible entre tous les indicateurs d’inflation des dépenses du secteur, et la courbe exprimant l’évolution annuelle moyenne des tarifs des firmes de génie-conseil en infrastructures à Montréal.

Cette augmentation des tarifs des firmes intervient dans un contexte où la qualité des travaux est jugée en diminution par des représentant·e·s de la Ville de Montréal. Le 13 juillet 2023, à l’occasion d’une table d’échange réunissant à la fois des représentant·e·s de la Ville et des firmes de génie-conseil, la Ville soutenait l’affirmation suivante : « Nous observons une baisse de la qualité des services reçus40. »

Cette hausse des tarifs semble d’ailleurs particulière à Montréal. L’analyse des coûts des contrats selon la même méthode dans d’autres villes n’est pas aisée, étant donné que le recours aux ententes-cadres y est marginal. Nous avons repéré, dans les dernières années, un seul contrat de type entente-cadre dans le domaine des infrastructures pouvant se prêter à une estimation des tarifs professionnels. Il a été accordé par la Ville de Québec en 2021 pour la surveillance d’un chantier de réfection de conduites d’aqueduc. Le tableau 12 compare les honoraires professionnels de ce contrat avec la moyenne de ceux analysés à Montréal la même année.

Cet échantillon comparatif, limité à un seul contrat, est trop faible pour en tirer des conclusions fortes. Il permet néanmoins de soulever des interrogations sur la spécificité tarifaire du marché public montréalais de services de génie-conseil en infrastructures. À cet égard, le recours systématique aux ententes-cadres semble être une caractéristique propre à Montréal.

Enjeu #2 : le recours aux ententes-cadres

2.2.1 Évaluation de la croissance des ententes-cadres dans la dernière décennie

En 2012, les ententes-cadres ont représenté 35 % de la valeur totale des contrats publics octroyés par la Ville pour l’achat de services professionnels de génie-conseil par l’un des trois services de l’eau, de l’urbanisme et mobilité et des infrastructures du réseau routier41. En 2024, cette proportion a bondi à 93 %42. Le recours croissant aux ententes-cadres se hisse au rang de problème, car, comme on l’a vu au premier chapitre, cette méthode d’appel d’offres a été jugée préjudiciable par plusieurs instances publiques de contrôle. Les ententes-cadres comme mode d’attribution de contrats publics ont en effet été l’objet, au Québec, de divers commentaires défavorables de la part d’organismes publics de surveillance des marchés. En 2009, le vérificateur général de la Ville de Montréal documentait les risques de surenchère reliée à cette méthode43. En 2013, le comité Léonard a déposé son rapport, fruit d’une étude sur l’octroi et la gestion des contrats publics à Montréal. L’une de ses recommandations concernait les ententes-cadres :

Recommandation 29 : Préconiser des appels d’offres à prix forfaitaire avec des projets mieux définis et réévaluer l’intérêt des ententes-cadres en services professionnels dans un contexte de planification à long terme des travaux, permis par une approbation du PTI 14 mois avant le début des travaux.

Recommandation 29a : Définir des critères spécifiques justifiant de recourir à des ententes-cadres44.

Selon les membres du comité, le recours aux ententes-cadres s’explique en partie par une absence de planification à long terme des travaux, ce que permet l’adoption du Plan triennal d’investissement, mais dont la précision a été jugée insuffisante. Le format des ententes-cadres permet de raccourcir le délai d’octroi des contrats et ainsi d’accélérer le début de travaux devenus parfois urgents, faute d’un exercice rigoureux de planification. Cet aspect présente des avantages dans un contexte où les travaux publics doivent être réalisés dans de courts délais. Voici un extrait du rapport en ce sens :

En services professionnels, l’objectif de l’entente-cadre est de raccourcir le délai d’octroi de contrats. Comme la Ville tarde à identifier les projets à réaliser pour une année donnée, une fois ceux-ci connus, les délais seront longs s’il faut lancer un appel d’offres pour trouver une firme de professionnels qui confectionnera les plans et devis. Une telle façon de faire retarde l’exécution des travaux, alors que l’entente-cadre permet de procéder en accordant un mandat à l’intérieur du contrat déjà octroyé45.

2.2.2 L’effet des ententes-cadres sur la concurrence sur le marché

En 2022, un rapport du Bureau de l’inspecteur général (BIG) concernant l’octroi de contrats par le Service de l’urbanisme et de la mobilité rejoignait le point de vue du comité Léonard. Les inquiétudes du BIG à l’égard des ententes-cadres concernaient pour leur part l’enjeu de la concurrence :

Le vaste éventail de services et de mandats requis dans les appels d’offres [d’entente-cadre] amène l’inspectrice générale à se questionner sur l’impact sur la concurrence d’exiger une telle diversification. En effet, le fait que les adjudicataires doivent être en mesure de réaliser des mandats aussi différents écarte les petites firmes […]46.

Selon l’inspectrice générale, « le manque de concurrence pour ces appels d’offres est un enjeu à surveiller dans les années à venir47 », appelant à accroître les initiatives pour « augmenter le nombre de firmes souhaitant participer aux futurs appels d’offres48 ».

Il n’est pas rare, en effet, que le nombre d’ententes-cadres de services professionnels de génie-conseil octroyées soit équivalent, ou presque, au nombre de soumissionnaires ayant participé à l’appel d’offres. Le tableau 13 présente le ratio entre le nombre de soumissionnaires conformes49 et le nombre de contrats accordés dans le cadre des appels d’offres de l’année 2023 et 2024 par les trois services de la Ville recourant le plus aux firmes de génie-conseil (Service de l’urbanisme et de la mobilité ; Service de l’eau ; Service des infrastructures du réseau routier).

Le tableau 13 met en lumière une trajectoire où le ratio des soumissions conformes sur les contrats octroyés tend à diminuer. Également, on observe que la valeur des contrats octroyés à l’occasion d’une égalité entre les contrats octroyés et les soumissions conformes reçues tend à augmenter au fil des années, ce qui traduit des conséquences plus importantes découlant de la concentration du marché à l’étude.

Lorsqu’une entreprise dépose une soumission, le nombre d’entreprises ayant également soumis un devis lui est inconnu. Or, cette information est par la suite rendue publique et peut renseigner les firmes sur le degré de concurrence sur le marché. Un petit nombre de firmes en concurrence, un phénomène auquel les différentes barrières à l’entrée des ententes-cadres contribuent, constitue un incitatif à soumettre des devis aux prix plus élevés. L’augmentation marquée des tarifs professionnels de génie-conseil en infrastructures à Montréal, constatée au graphique 1, s’explique possiblement par cette forme de distorsion de la concurrence. La diversité des expertises exigée par les mandats ainsi que la quantité considérable de ressources professionnelles requises de la part des firmes parties à une entente-cadre peuvent nuire à la participation des plus petites firmes, ce qui rejoint les constats de la recherche scientifique évoqués au chapitre 1. Les ententes-cadres sont en effet des contrats de plus grande envergure. En 2012, la moyenne individuelle des contrats de génie-conseil octroyés par les services de l’eau, des infrastructures du réseau routier et de l’urbanisme et mobilité de la Ville était de 1,2 M$, contre 4,9 M$ en 2024, soit une augmentation de 308 %50.

On constate également que le nombre élevé de contrats octroyés par appel d’offres de types ententes-cadres contribue à abaisser le ratio entre les soumissions conformes obtenues et les contrats offerts. Les années 2022 et 2024 du tableau 13 renferment toutes deux un appel d’offres prévoyant l’octroi de 7 contrats-cadres, d’une valeur respective de 27 M$ de 30,7 M$. Ce nombre élevé de contrats octroyés dans le cadre d’un seul appel d’offres augmente les probabilités pour les soumissionnaires de remporter l’un des contrats adjugés. En l’espèce, ces deux appels d’offres de services professionnels pour le contrôle qualitatif de matériaux de construction ont obtenu sept soumissions conformes, soit le nombre exact de contrats octroyés. À ce sujet, la Commission permanente sur l’examen des contrats affirme sans détour qu’« il faut éviter que les firmes aient la certitude de remporter un contrat51 ». Cette réalité est également observée par plusieurs des témoins rencontré·e·s, qui se désolent de cette situation et y voient un danger de surenchère tarifaire. L’un d’entre eux image le tout de cette manière : « Souvent, c’est un jeu de chaises musicales avec autant de chaises que de personnes qui jouent. »

L’appel d’offres à sept contrats de 2024 témoigne des conséquences d’un ratio des soumissions conformes reçues sur les contrats adjugés correspondant à 1 :1. Le processus d’adjudication de contrats multiples structure les différents contrats en ordre croissant en fonction de leurs enveloppes budgétaires, et adjuge les contrats les plus élevés aux soumissionnaires qui ont soumis les prix les plus bas. L’appel d’offres 23-20151 de 2024 présente un écart substantiel entre les tarifs de la firme ayant remporté le premier contrat et ceux de la firme ayant remporté le 7e contrat à l’enchère. Pour des services professionnels identiques, l’écart avoisine 30 %. Le sommaire décisionnel de cet appel d’offres expose clairement la dynamique à l’œuvre dans cette tarification défavorable à la Ville :

En ce qui a trait aux contrats 5 et 7, les écarts de prix obtenus sont principalement dus par [sic] une saturation du marché pour les services de contrôle qualitatif que l’on observe depuis 2019. En effet, avec le nombre important de chantiers depuis ces dernières années, les firmes externes de laboratoire52 ont atteint la limite des ressources disponibles qu’elles peuvent fournir concurremment à la Ville et à ses autres clients publics ou privés. Les firmes étant très sollicitées dans un marché où la demande pour leurs services est très grande, une augmentation des taux horaires du personnel des firmes a été constatée au cours des dernières années sur le marché. Pour ces raisons, et compte tenu du contexte actuel dans le milieu de la construction et des services-conseils associés en contrôle qualité, les écarts de prix pour les contrats 4 à 6 sont jugés acceptables et ne soulèvent pas d’enjeux spécifiques.

Pour le contrat 7, notez qu’une négociation avec le soumissionnaire unique a été effectuée conformément à l’article 573.3.3 de la loi sur les cités et villes. La soumission déposée était de 3 581 126,33 $ taxes incluses, représentant un écart défavorable de 18,8 % par rapport à l’estimation de soumission. AtkinsRealis Canada inc. a modifié sa soumission à 3 498 344,33 $ taxes incluses […] ce qui représente une baisse de 2,7 % par rapport à sa soumission initiale. L’écart de prix pour ce contrat est jugé acceptable53.

Autrement dit, ce marché saturé provoque une surenchère des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil, où celles-ci ont beau jeu d’augmenter leurs tarifs. La négociation entreprise par la Ville est parvenue à diminuer les tarifs de la firme de moins de 3 %. L’écart entre ce prix et les tarifs soumis par la firme ayant remporté le premier contrat à l’enchère demeure néanmoins considérable, et la Ville semble s’en être accommodée malgré tout, en jugeant le prix « acceptable ».

L’étude d’un autre appel d’offres de type entente-cadre ayant un ratio 1 :1 démontre que cette position de négociation défavorable à la Ville survient régulièrement. En 2021, l’appel d’offres 20-18489 a été lancé par le Service de infrastructures du réseau routier, visant à conclure trois ententes-cadres pour des services de gestion et surveillance de travaux. Trois soumissions ont été jugées recevables, qui ont entraîné la conclusion de trois contrats-cadres cumulant 22,9 M$. Une firme ayant obtenu un contrat sur l’un des trois à l’enchère ne peut en obtenir un deuxième, sauf exception. Ainsi, la troisième firme, ayant soumis le prix le plus élevé, a de facto obtenu la troisième entente-cadre. Or, cette firme avait soumis un prix de 12,61 % plus élevé que l’évaluation interne des coûts produits par les responsables de l’appel d’offres. Lorsqu’un appel d’offres ne reçoit qu’une seule soumission conforme, la Ville procéde à une négociation avec la firme soumissionnaire. Le sommaire décisionnel décrit les négociations entreprises avec la firme à propos de ses tarifs :

Le regroupement [nom des deux firmes] devient donc le seul adjudicataire conforme pour le contrat #3, de ce fait, des négociations ont été entamées avec ce dernier afin de négocier le prix du contrat #3. Malheureusement, les négociations ont échoué et le regroupement a maintenu son prix54.

Ce contrat a tout de même été accordé. La faible concurrence et la dépendance de la Ville aux firmes privées placent celles-ci en position de force en situation de négociation. Dans ce contexte de sous-traitance élevé, le fait que ces négociations se soldent en défaveur de la Ville n’est pas étonnant, et traduit la position de vulnérabilité dans laquelle elle se retrouve la plupart du temps.

Le rapport de la commission Charbonneau relate une « guerre des prix » qui a découlé de l’adoption en 2001 et en 2002 des lois 29 et 106, qui prévoyaient le mécanisme d’appel d’offres à deux enveloppes, qualitative et monétaire, toujours en vigueur aujourd’hui. Cette situation, défavorable aux grandes firmes de génie-conseil, a incité ces dernières à prendre part à un système de collusion et de contributions à des partis politiques, afin de tenir en échec l’effet de concurrence induit par le nouveau système d’appel d’offres, qui avait été adopté dans la foulée du scandale des « élections clé en main » de 1999.

Pourquoi, quelque 20 ans plus tard et à la suite des révélations de la commission Charbonneau, ce même mécanisme d’appel d’offres n’a-t-il pas renoué avec une dynamique de concurrence aiguë en ce qui concerne les tarifs ? Une combinaison de deux facteurs principaux explique la dynamique de surenchère tarifaire constatée au graphique 1. D’abord, l’émergence des ententes-cadres, qui écartent d’emblée les plus petites firmes et obtiennent un faible nombre de soumissions conformes, donne lieu à un marché quasi fermé, auquel seules les grandes firmes peuvent prendre part, et ce, sans recourir à des stratagèmes illégaux. Ensuite, l’abondance des contrats et la demande élevée de services externes de génie-conseil découragent les firmes soumissionnaires à se livrer à une concurrence par les prix pour obtenir des contrats, puisque ces dernières sont en quelque sorte assurées de remporter tôt ou tard un appel d’offres d’envergure. Un·e témoin évoque ces deux facteurs ainsi :

On fait un appel d’offres. On va octroyer un contrat à trois firmes, un de 12, de 10 et 8 M$. Mais sur le marché québécois, il y a quatre firmes qui sont capables de répondre à cet appel d’offres là. Donc elles n’ont aucune raison de baisser leur taux. La firme qui a perdu, elle va soumissionner sur le prochain dans six mois et va l’avoir. […] On inonde le marché avec des appels d’offres énormes. Donc il y a peu de joueurs, et comme il y a plus de demande que d’offre, les prix peuvent flamber.

Selon un·e autre témoin, le marché québécois du génie-conseil était autrefois composé de davantage de petites firmes, ce qui dynamisait la concurrence :

À une époque, il y avait plein de petites compagnies, avec parfois moins de 20 employé·e·s, qui étaient capables de soumissionner. Parce qu’on demandait un appel d’offres pour une chose : soit de la surveillance, soit de la conception, soit de faire du design urbain, etc. Maintenant quand on fait un appel d’offres, tu dois faire tout, tout, tout : surveillance environnementale, avoir un labo, faire l’arpentage – on demande quasiment tout […], ce qui fait que ça prend tellement d’expertise large que les petits bureaux d’étude, ils [n’] existent plus, ou ils se sont faits racheter par des plus gros.

Dans un contexte où les donneurs d’ouvrages publics représentent près de 30 % du chiffre d’affaires des firmes de génie-conseil au Québec55, les marchés publics et leurs mécanismes d’appel d’offres peuvent avoir une incidence, à long terme, sur la concentration du marché. En recourant massivement aux ententes-cadres, la Ville de Montréal renforce une dynamique de concentration déjà présente dans le marché du génie-conseil, ce qui nuit à l’atteinte du juste prix.

2.2.3 L’octroi des mandats à l’intérieur des ententes-cadres : reddition de comptes et négociation

Le rapport du BIG insistait également sur le processus d’octroi des différents mandats de services professionnels à l’occasion de l’exécution de l’entente-cadre. À cette étape, le service de la Ville de Montréal responsable de l’entente-cadre soumet un appel de service à l’une des firmes parties à l’entente-cadre. Les honoraires professionnels sont prédéterminés par l’entente-cadre elle-même. La quantité d’heures du mandat, pour sa part, est en principe sujette à négociation entre l’ingénieur de la Ville responsable de la coordination du mandat et la firme de génie-conseil retenue. À cet égard, l’enquête du BIG concluait en 2022 que « les offres de services reçues des firmes de professionnels sont souvent acceptées sans discussion ». Selon un·e témoin rencontré par le BIG, cette absence de négociation peut s’avérer encore plus désavantageuse pour la Ville, car « dans certains cas, le montant de l’enveloppe budgétaire prévu pour la réalisation du mandat, incluant les contingences, était communiqué à la firme qui présentait ensuite une offre de service correspondant à cette enveloppe ».

Cette forme de négligence a possiblement pour effets de gonfler les coûts des différents mandats de l’entente-cadre et d’épuiser hâtivement la banque d’heures globale prévue à l’entente, diminuant ainsi les services obtenus en retour des fonds publics dépensés. Des témoins rencontré·e·s dans le cadre de cette étude ont signalé que l’octroi des mandats à des firmes externes est parfois coordonné par un·e professionnel·le qui n’est pas ingénieur·e. Par exemple, un·e urbaniste de la Ville pourrait avoir une moins grande compréhension des mandats de génie-conseil accordés à l’externe, et ainsi la quantité d’heures de travail qu’ils représentent.

Le rapport Léonard signalait également l’enjeu du pouvoir de négociation de la Ville à l’intérieur de l’exécution des ententes-cadres, ainsi que celui du transfert de risque par rapport aux dépassements de coûts :

[…] cette approche [l’entente-cadre] limite le pouvoir de négociation de la Ville lorsque vient le temps d’établir le coût de chaque mandat, car elle est déjà liée contractuellement avec les consultants. De plus, ces derniers sont rémunérés à taux horaire à l’intérieur des ententes-cadres, ce qui limite considérablement leur responsabilité par rapport aux dépassements de coûts.

En outre, le BIG constatait dans son rapport des problèmes relatifs à la reddition de comptes des firmes de génie-conseil à la suite de la réalisation des mandats, soit le fait que parfois « il n’y a aucun moyen de vérifier qui a réalisé le livrable56 ». Comme mentionné au premier chapitre à l’occasion de la description de l’entente-cadre, l’obtention de ces contrats se fait notamment à la suite d’une soumission des entreprises détaillant les ressources internes que la firme compte affecter aux mandats de l’entente-cadre. Les firmes sont évaluées l’une par rapport à l’autre selon le degré d’expérience et d’expertise de leur personnel. Dans cette soumission, la firme annonce des ressources, sans que la Ville ait la possibilité de vérifier par la suite leur emploi effectif dans les mandats de l’entente-cadre. Le BIG tirait la conclusion suivante dans son rapport à propos de certains contrats octroyés par la Direction de l’urbanisme et la mobilité :

[…] les documents relatifs à la reddition de comptes d’un mandat tels que les rapports d’avancement mensuels et les feuilles de temps ne sont jamais demandés avec la facturation des firmes. Or, ces documents sont essentiels afin de s’assurer que les services professionnels soient rendus selon les besoins et exigences de la Ville de Montréal dans ses appels d’offres […] Or, en ne vérifiant pas qui exécute les mandats, la Ville est par exemple incapable de savoir si les travaux ont été réalisés par un professionnel ayant 10 ans et plus d’expérience ou un professionnel ayant moins de 5 ans d’expérience57.

Cette exigence de reddition de comptes se justifie d’autant plus dans un contexte où la Ville constatait en juillet 2023 une baisse de la qualité des services reçus de la part des firmes de génie-conseil, comme mentionné dans une section antérieure. Les problèmes sur le plan de la gestion des ententes-cadres ont également trait à la question des estimations internes des coûts des contrats, ce dont traite la prochaine section.

Enjeu #3 : la surévaluation du juste prix des contrats par la Ville

L’octroi de contrats de type ententes-cadres plombe la concurrence sur le marché public de services professionnels de génie-conseil, ce qui rejoint des constats similaires d’autres recherches à propos des ententes-cadres58. Lorsqu’un marché est aux prises avec un faible niveau de concurrence, la méthode d’estimation des coûts des contrats par les donneurs d’ouvrage publics doit s’ajuster, afin de mieux déceler les surcoûts.

2.3.1 La méthode d’estimation basée sur l’historique des coûts

Chaque octroi de contrat public est accompagné d’un sommaire décisionnel, produit par la Ville, dans un objectif de transparence. Ce sommaire décisionnel divulgue l’estimation du coût du contrat produit par la Ville et le compare au prix final conclu avec l’entreprise qui a remporté l’appel d’offres. À cette occasion, la méthode interne d’estimation des coûts est décrite. Voici un exemple tiré de l’appel d’offres 20-18489, dans le cadre d’une entente-cadre avec des firmes de génie-conseil :

Les estimations internes préparées au moment de lancer l’appel d’offres ont été établies en fonction des heures prévisionnelles prévues aux bordereaux de soumission selon les taux horaires établis lors des anciens processus pour des services équivalents et majorés afin de prendre en considération l’inflation59. [nous soulignons]

Cette méthode d’estimation se base ainsi sur l’historique des coûts pour des services similaires, soit les coûts de précédents appels d’offres semblables, auxquels le facteur de l’inflation est ajouté. Cette méthode est celle retenue par la Ville pour l’estimation de l’écart entre l’évaluation du coût du contrat et le prix final obtenu. Ultimement, l’évaluation interne de la Ville consiste en une évaluation des prix courants. Une autre méthode, dite basée sur les coûts réels, cherche plutôt à estimer les coûts attendus du contrat en fonction des coûts réels des services. Cette méthode renvoie aux estimations produites plus haut qui ont démontré un écart entre l’évolution des coûts de production de l’industrie et les honoraires professionnels facturés dans les ententes-cadres.

La méthode historique présente des défauts majeurs. Le premier concerne la dynamique de marché à l’œuvre. Le rapport Léonard le résumait ainsi :

Pour que la méthode d’estimation des coûts basée sur l’historique des plus basses soumissions reçues donne des résultats fiables, il faut s’assurer qu’on agit dans un marché de libre concurrence60.

Comme mentionné plus haut, le marché public des services professionnels de génie-conseil en infrastructures à Montréal est sujet à une concurrence déficiente, en raison de facteurs tels que la sous-traitance, l’abondance de contrats et la croissance des ententes-cadres, dont les modalités posent des barrières à l’entrée pour les plus petites entreprises. La méthode d’estimation par l’historique des coûts n’est donc pas appropriée pour surveiller l’évolution des coûts des contrats publics, puisque ceux-ci sont influencés par des facteurs qui poussent les tarifs à la hausse, bien au-delà de l’augmentation des coûts réels des firmes de génie-conseil. En effet, cette méthode peut s’avérer incapable de faire ressortir l’augmentation des tarifs des firmes de génie-conseil au fil des années, ce dont le tableau 9 a fait état.

Non seulement les prix de conclusion des contrats sont souvent supérieurs à l’évaluation interne de la Ville, comme l’exemple de 2021 l’a montré plus haut, mais cette évaluation représente elle-même une surestimation des coûts des contrats. Autrement dit, l’écart entre l’évaluation interne de la Ville et les coûts finaux des contrats serait possiblement beaucoup plus grand si la Ville adoptait une méthode d’évaluation des coûts fondée sur les coûts réels de livraison des services professionnels. Suivant le graphique 1, on peut en effet supposer que les coûts réels des firmes de génie-conseil n’ont pas suivi le même taux de croissance annuel moyen de 5,12 % des coûts des contrats entre 2012 et 2024. La méthode d’évaluation basée sur l’historique des coûts des contrats tend à intégrer ce taux de croissance, et ainsi à rendre l’écart grandissant entre les coûts d’exploitation de l’industrie et les honoraires professionnels difficiles à percevoir.

Des estimations s’approchant davantage des coûts réels de livraison des services auraient le mérite de démontrer que les firmes de génie-conseil déposent des soumissions largement supérieures à ces estimations. Pour tout donneur d’ouvrage public, cette situation est difficile à justifier auprès des contribuables. Le maintien d’une méthode d’estimation par l’historique des coûts a pour effet de sous-estimer l’écart entre l’estimation interne et le prix obtenu de la part des firmes, ce qui diminue l’impression de déficit. Le rendement des dépenses publiques s’en trouve néanmoins tout autant affecté.

Enjeu #4 : les pratiques à améliorer de l’industrie de génie-conseil

Les contrats accordés par la Ville de Montréal à des firmes de génie-conseil ont fortement augmenté dans les dernières années. Les témoins rencontré·e·s y voient un déséquilibre qui favorise une dynamique de surenchère des tarifs. Également, la majorité des témoins interviewé·e·s observent une baisse de la qualité des services reçus par la Ville de la part des consultant·e·s externes. Cette diminution de la qualité concerne divers aspects des contrats de consultation externes, que les prochains paragraphes abordent tour à tour.

2.4.1 La quantité d’heures facturées et la diminution de la qualité des livrables

Trois des quatre témoins rencontré·e·s ont observé une augmentation des heures facturées pour la réalisation de mandats similaires au fil des années. Ils et elles ont mentionné les deux facteurs suivants : (1) le manque de formation de certains consultant·e·s externes, auquel les ingénieur·e·s de la Ville doivent remédier de diverses manières ; (2) le dépôt de livrables comportant des erreurs, qui sont néanmoins facturés en tout ou en partie à la Ville.

Un·e témoin précise qu’il est difficile pour le personnel de la Ville de connaître les raisons de l’augmentation des heures de travail pour divers mandats : « Parfois, pour des tâches qui devraient prendre 20 heures, on nous en facture 30. Est-ce que pendant ce temps-là, il a formé des collègues plus jeunes ? » Ce témoin conclut : « On paie plus d’heures que ce qu’on devrait. Sur l’ensemble, le volume qu’on donne, en dizaines de millions de dollars, c’est sûr qu’il y a des heures. Est-ce que c’est 5 %, 20 %? Je ne le sais pas, mais c’est sûr qu’il y en a. »

Lorsqu’une firme partie à une entente-cadre délègue un·e chargé·e de projet insuffisamment qualifié·e, ou que des erreurs surviennent dans la réalisation des mandats, le surcoût qui en découle est parfois transféré à la Ville, puisque les ententes-cadres prévoient une rémunération à l’heure. À cet effet, trois témoins rencontré·e·s observent que « c’est quelque chose qui arrive de plus en plus souvent », en dépit du fait que les tarifs horaires des firmes ont fortement augmenté : « Ce qu’on constate, et c’est un constat partagé, c’est que les consultants ne se relisent plus et ils se disent “de toute façon il y a un ingénieur à la Ville qui va relire [les livrables] et nous le[s] renvoyer corrigé[s], et après ça, toi [le consultant], t’as juste à intégrer les commentaires”». Autrement dit, la majorité des témoins rencontré·e·s affirment que la Ville paie plus cher pour un service dont la qualité s’est dégradée dans les dernières années.

Au sujet de la qualité du travail des firmes externes, une personne issue du secteur privé de la construction rapporte que l’entreprise pour laquelle il travaille pondère à la hausse le prix de ses soumissions publiques lorsque les plans d’ingénierie fournis dans les appels d’offres sont confectionnés par certaines firmes de génie-conseil. Cette entreprise a constaté dans les dernières années une diminution de la qualité des plans réalisée par certaines firmes, ce qui occasionne une incertitude quant à l’exécution des contrats de construction. Cette incertitude est palliée par des prix soumis plus élevés. De plus, le témoin rapporte que la surveillance de chantier par les firmes externes est de moins bonne qualité que la surveillance de chantier assurée par le personnel de la Ville. Selon lui, le personnel de la Ville connaît davantage les spécificités du chantier surveillé:

C’est le sentiment général que j’ai sur les surveillants des firmes externes, souvent ils viennent juste remplir une liste de tâches qu’on leur a donnée et ils comprennent très peu le contexte de ce qu’ils font ce jour-là, à la différence, souvent, d’un surveillant de ville, qui est bien plus au fait du projet […] Quand on est face à une entente-cadre avec un surveillant de chantier d’une firme d’ingénierie, on a l’impression qu’il est là pour « passer des heures ».

Les divers problèmes (sur le plan des délais, de la qualité des livrables et de la qualification des consultant·e·s externes) sont, selon certain·e·s témoins, normalisés par certain·e·s gestionnaires de la Ville de Montréal. Un·e témoin l’a exprimé ainsi : « […] quand on en parle aux gestionnaires pour qu’ils en parlent aux consultants, on se fait répondre : oui, mais c’est la nouvelle réalité. » Un·e autre témoin fait le même constat :

Un livrable dont on voit qu’ils n’ont pas pris le temps de bien le faire […] on leur mentionne […] Mais nous, l’instruction qu’on a, c’est de ne pas être sévères. C’est de les traiter comme des collègues […] d’être compréhensifs.

Il est courant que les ingénieur·e·s promis dans les appels d’offres, où les soumissions des firmes énumèrent précisément le personnel affecté à l’entente-cadre, ne soient pas ceux ou celles affecté·e·s aux mandats. Selon un·e témoin :

Avant, on nous fournissait des ressources compétentes, qualifiées et allumées. Maintenant, c’est épouvantable. Mais elles ne sont pas disparues. Moi, je suis convaincu que ces ressources allumées, compétentes, et tout, existent […] mais elles [les firmes] ont remarqué qu’elles pouvaient nous négliger, et les ressources compétentes sont attribuées à d’autres projets, à d’autres clients qui sont plus exigeants.

De façon générale, le mécanisme de rémunération horaire des ententes-cadres place le donneur d’ouvrage public dans une position où le sous-traitant a un certain intérêt à épuiser le budget des honoraires prévus au contrat. À cet égard, plusieurs témoins ont exprimé que cette disposition place la Ville dans une situation de vulnérabilité, puisque sous le système des ententes-cadres, la marge bénéficiaire des firmes est obtenue par le biais des heures facturées, par opposition aux contrats forfaitaires, où les bénéfices correspondent aux fonds résiduels non dépensés de l’enveloppe du contrat.

2.4.2 Des cas possibles de pratiques frauduleuses

Les faits rapportés dans cette section s’appuient sur le témoignage d’un·e ingénieur·e qui, après le dépôt du rapport de la CEIC en 2015 et les mesures d’assainissement du marché, a été à l’emploi de l’une des grandes firmes qui obtiennent régulièrement des ententes-cadres de services professionnels de génie-conseil avec la Ville de Montréal. Aujourd’hui, cet ingénieur ne travaille plus pour cette firme, et il n’a jamais travaillé pour la Ville de Montréal.

Le témoin relate que dans le cadre de son emploi pour la firme de génie-conseil, les heures de sa feuille de temps devaient être obligatoirement associées à des heures facturables à des clients. Lorsque les ingénieur·e·s de la firme travaillaient néanmoins sur des projets pour lesquels l’enveloppe budgétaire était épuisée, leur patron modifiait leur feuille de temps pour attribuer de « fausses » heures de travail à des mandats régis par des ententes-cadres avec la Ville de Montréal. Le tout se déroulait à l’insu de celle-ci. Selon ce témoin, les fausses heures étaient facturées à des clients qualifiés de « faciles », dans son cas la Ville de Montréal, qui n’exerçaient pas le même degré de contrôle que d’autres clients. Les « clients faciles » étaient systématiquement des clients publics.

Cette pratique était répandue dans son entreprise, le témoin y voyant une « culture d’entreprise ». Le volume d’heures concernées par les malversations alléguées par ce témoin était non négligeable : « Ça pouvait être 50 % de ta feuille de temps qui était facturée pour des projets [sur lesquels] tu ne travaillais pas, et c’était toujours des projets publics. » À savoir si d’autres firmes faisaient de même, le témoin a affirmé que des amis lui ont fait part de situations similaires dans leur entreprise, mais il précise : « Je ne peux pas m’exprimer sur ce qu’un ami m’a dit […] ça se faisait peut-être d’une manière différente, dans une moins grande ampleur. »

Selon ce témoin, les clients privés de sa firme vérifiaient et négociaient ardemment les factures présentées par la firme de génie-conseil : « Moi je voyais que pour le client privé, c’était viscéral de débourser de l’argent supplémentaire : le “challenge” était 100 fois plus élevé. Avec le client public, on avait toujours ce qu’on voulait à la fin de la journée. On finissait par faire flancher un fonctionnaire. »

2.4.3 L’augmentation des délais

La demande accrue pour des services externes de génie-conseil a notamment pour conséquence d’allonger les délais de production des livrables, selon certain·e·s témoins. La gestion de ces délais supplémentaires varie entre les consultant·e·s externes, mais il semble qu’elle ait un impact sur la charge et le type de travail accompli par les professionnel·le·s de la Ville. Certain·e·s témoins ont en effet observé que les consultant·e·s externes peuvent parfois compliquer le travail des ingénieur·e·s de la Ville. Un témoin s’exprime ainsi :

Il y en a qui ne répondent même pas à nos courriels. Donc c’est silence radio. Ça a quand même un impact sur le nombre de courriels administratifs que je dois envoyer et que je n’envoyais pas avant […] Où est mon rapport ? Quand est-ce que vais le recevoir ? Où est la facture ? Pourquoi je ne l’ai pas reçue ?

Ce même témoin précise que cette situation n’est pas généralisée, mais qu’elle a néanmoins augmenté dans les dernières années.

Cette dynamique de « va-et-vient continu qui doit être fait avec l’externe » semble avoir des conséquences sur la capacité de la Ville à réaliser par elle-même des actes d’ingénierie, soit la conception de plans et de devis ainsi que la surveillance de chantiers : « […] si on avait un peu plus d’attention qui était portée à nos mandats par l’externe, j’aurais plus le temps de faire des projets à l’interne. » Ce témoin s’est montré catégorique : la réalisation de tâches à l’interne par l’unité de service où il travaille à la Ville « prend moins de temps » que lorsqu’elles sont sous-traitées.

Enjeu # 5 : les mécanismes d’encadrement et de gestion insuffisants de la Ville de Montréal

Les paragraphes précédents ont fait état de divers problèmes que rencontre la Ville de Montréal dans la gestion de ses contrats avec des firmes externes. Cette section présente les solutions qui sont à la portée de la Ville à court terme pour y remédier. Nous traitons l’encadrement déficient de la Ville comme un « enjeu », car il contribue à éloigner le coût des contrats publics du juste prix. Les pistes de solution évoquées dans cette section forment avec d’autres les recommandations qui sont présentées au dernier chapitre de cette étude.

2.5.1 L’encadrement public de la hausse des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil

L’augmentation des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil pour les contrats d’infrastructures avec la Ville de Montréal, constatée au graphique 1, pourrait être prévenue. Les organismes provinciaux, tels que le ministère des Transports, qui est l’organisme public concluant le plus de contrats avec des entités privées au Québec – 5,6 G$ en 2023-202461 –, plafonnaient jusqu’à tout récemment les tarifs professionnels admissibles facturés par les firmes de génie-conseil. Le barème 1235-87 établissait en effet des tarifs maximaux. Ce mécanisme de réglementation des honoraires professionnels des ingénieurs engagés dans le cadre de contrats publics, mis en place depuis 1987, est l’objet de débats depuis des décennies en raison de ses différents avantages et inconvénients. Récemment, le gouvernement a procédé à une réforme de l’application du barème, l’abolissant en partie.

À compter de l’année 2020, les tarifs moyens des firmes de génie-conseil pour les contrats en infrastructures à Montréal ont dépassé ceux du barème 1235-87. Puis à compter de 2021, les tarifs des firmes de génie-conseil étaient au moins 10 % supérieurs au barème, selon nos estimations présentées au graphique 1 pour le domaine des infrastructures à Montréal. Pourtant, durant ces années, les contrats des organismes publics provinciaux avec des firmes de génie-conseil prévoyaient des tarifs professionnels ne pouvant dépasser les tarifs du barème 1235-87, de sorte que la Ville de Montréal a payé en moyenne, à compter de 2021, des tarifs horaires au moins 10 % plus élevés que ceux payés par les organismes publics provinciaux.

Au-delà du débat entourant les justifications d’une réglementation établissant un plafond pour les tarifs des services professionnels de génie-conseil, celle-ci permet à tout le moins de constater un surcoût dans les contrats accordés par la Ville de Montréal par rapport à l’ensemble des organismes publics du palier provincial. À compter de 2021, une meilleure surveillance de l’évolution des prix du marché du génie-conseil en infrastructures à Montréal aurait permis de constater un écart avec les tarifs du barème 1235-87, et justifié une intervention réglementaire ou une réorientation de la politique de sous-traitance à des firmes externes.

2.5.2 La méthode d’estimation interne des appels d’offres

Comme mentionné plus haut, la Ville de Montréal préconise une méthode d’estimation monétaire des devis basée sur l’historique des coûts. Plusieurs témoins y voient des problèmes majeurs. Un témoin s’est montré catégorique : « Elle est mauvaise, cette méthode-là. » Lorsque l’écart entre l’estimation interne de la Ville et les tarifs des firmes dépasse 20 %, les résultats d’appel d’offres sont révisés par la Commission permanente sur l’examen des contrats, qui doit produire un rapport et des recommandations au comité exécutif de la Ville62. On peut supposer que si celle-ci préconisait une estimation interne des coûts basée sur l’évolution des coûts réels plutôt que sur l’historique du marché, beaucoup plus de contrats devraient passer par la Commission, ainsi que par le comité exécutif de la Ville, qui décide ultimement du sort de l’appel d’offres ayant obtenu des soumissions trop onéreuses, soit son maintien ou son report. La méthode d’estimation basée sur les coûts réels est d’ailleurs celle appliquée pour les appels d’offres de travaux de construction de la Ville.

Des témoins ont émis l’hypothèse que le maintien de la méthode d’estimation historique s’explique justement parce qu’elle évite que l’octroi du contrat soit retardé par une révision de la Commission permanente de l’examen des contrats. Selon un·e témoin, cette méthode « permet de livrer le projet, quel que soit le coût […] Grosso modo, pour la direction, la fin justifie les moyens. Donc si c’est ça qu’ils nous chargent, c’est ça qu’on va payer ».

L’adoption d’une méthode basée sur l’estimation des coûts réels rendrait davantage visible l’augmentation importante des honoraires professionnels des firmes de génie-conseil pour les contrats publics relevant du domaine des infrastructures. Elle permettrait en outre de mettre en évidence l’effet de marché causé par une abondance de contrats publics ainsi que le faible nombre de firmes de génie-conseil soumissionnaires.

2.5.3 La surveillance et les mesures prises pour remédier à la faible concurrence des appels d’offres de services professionnels de génie-conseil en infrastructures

Le tableau 13 présenté plus haut fait état d’un ratio moyen très faible entre les contrats octroyés et les soumissions conformes reçues à l’occasion d’appels d’offres de services professionnels de génie-conseil en infrastructures. Un témoin affirme que la Ville ainsi que le BIG surveillent davantage les marchés publics de l’industrie de la construction, qui font l’objet de différentes stratégies d’assainissement. Par exemple, les ingénieur·e·s de la Ville peuvent construire leur appel d’offres de manière à prendre à son service un bassin élargi d’entreprises. Un témoin a donné l’exemple de l’industrie des conduites d’aqueduc : un même appel d’offres demandera ou bien une reconstruction de la conduite, ou une réhabilitation de la conduite par la technique de gainage. Cette manière de procéder élargit les champs d’expertises possibles, ce qui qualifie d’emblée davantage d’entreprises pour l’appel d’offres.

Le marché public du génie-conseil, en dépit de son faible degré de concurrence, ne fait pas l’objet de mesures correctives. Selon un·e témoin, « la Ville prend action sur les contrats de construction quand le marché n’est pas sain et très restreint, mais elle ne fait pas les mêmes efforts d’assainissement du marché [pour favoriser une] saine compétition pour les ententes-cadres de génie-conseil ». Ce·tte témoin s’explique mal pourquoi ces marchés publics sont traités différemment :

Dans le génie-conseil […] la saine compétition [n’] est pas là, mais personne [ne] l’adresse [sic]. Le constat qu’on fait dans les contrats de construction, c’est que quand il y a certains secteurs où le marché n’est pas sain, la situation est adressée [sic] et on prend action. Quand tu fais des ententes-cadres, que le marché [n’] est pas sain depuis 2012, tout va bien [ton ironique] ! Si j’avais un marché aussi restrictif qu’on voit dans le génie-conseil dans le secteur de la construction, on aurait pris action ça fait longtemps.

2.5.4 La taille des mandats individuels attribués à l’intérieur des ententes-cadres

Comme mentionné précédemment, le système des ententes-cadres fonctionne en deux étapes. La première, l’appel d’offres initial, vise à sélectionner les firmes parties à l’entente-cadre, selon le nombre de contrats octroyés dans l’appel d’offres. Une entente-cadre peut en effet prévoir l’attribution d’un ou de plusieurs contrats. La seconde étape est celle de l’exécution de l’entente-cadre, où une série de mandats sont effectués par la ou les firmes sélectionnées, à la suite d’appels de services lancés par l’une des unités de services de la Ville. Ainsi, l’étape de l’attribution des mandats n’est pas soumise à la concurrence, puisque les tarifs applicables sont ceux proposés par les firmes à l’étape initiale de l’appel d’offres. Les mandats faisant partie de l’entente-cadre ne sont pas rendus publics.

Un témoin explique qu’il n’y a pas de directives uniformes entre les unités de service de la Ville quant à la taille maximale d’un mandat exécuté à l’intérieur d’une entente-cadre. À partir d’un certain seuil, la Ville pourrait juger que le montant justifie un appel d’offres à la pièce, pour obtenir des soumissions plus avantageuses. Dans les dix dernières années, l’envergure des mandats dans les ententes-cadres a augmenté considérablement. Le témoin estime que les mandats les plus élevés qu’il a observés dans la dernière année avoisinaient les 4 M$. La taille des mandats peut avoir une incidence sur la capacité de contrôle de la Ville sur la facturation. Selon le témoin, les ingénieur·e·s de la Ville « ne font pas du rubber stamping sur les factures. [Ils] pose[nt] des questions, et parfois [ils vont] chercher des crédits ». Mais la taille des mandats peut compromettre ce processus de vérification, car selon le témoin « on est déjà un peu à la limite de notre capacité de contrôle », et des mandats de grande taille augmentent le volume mensuel de factures à contrôler.

2.5.5 Le non-suivi de recommandations de la Commission permanente sur l’examen des contrats par le comité exécutif de la Ville

Comme déjà mentionné, la Commission permanente sur l’examen des contrats s’assure de la conformité des appels d’offres de la Ville de Montréal. Un certain nombre de critères prévoient l’étude d’un appel d’offres par cette instance, qui produit ensuite un rapport destiné au comité exécutif de la Ville de Montréal. La présente section s’attarde à l’évaluation et au traitement de l’appel d’offres 24-20281, une entente-cadre coordonnée par le Service de l’urbanisme et de la mobilité pour laquelle le comité exécutif de la Ville a fait fi d’une recommandation de « suspension d’octroi, le temps de recevoir les conclusions du Bureau de l’inspecteur général63 », et adopté à l’unanimité l’octroi du contrat.

Cet appel d’offres, lancé en 2024, était une entente-cadre qui prévoyait l’octroi de deux contrats. Il n’a reçu qu’une seule soumission, et les tarifs de la firme de génie-conseil étaient de 51,32 % supérieurs à l’estimation interne. Le deuxième contrat a été abandonné, faute de soumissionnaires. Ces deux éléments, la soumission unique et l’écart important avec l’estimation interne, ont justifié une vérification par la Commission permanente sur l’examen des contrats. Le rapport de la Commission indique que, à la suite de l’appel d’offres, le Service de l’urbanisme et de la mobilité a revu à la hausse l’estimation interne du contrat, de manière à réduire l’écart substantiel entre les prix soumis par la firme et l’estimation. Le rapport de la Commission permanente s’étonne de cet « ajustement important de l’estimation […] après l’ouverture des soumissions […] Cette révision peut laisser croire que l’estimation a été revue afin que l’écart soit plus acceptable ».

Finalement, le Service de l’urbanisme et de la mobilité a négocié les tarifs soumis par la firme, et a obtenu qu’ils soient diminués de 8,68 %. Un écart majeur par rapport à l’estimation initiale est demeuré. Considérant ces problèmes, principalement la révision à la baisse de l’estimation, la Commission a recommandé au comité exécutif la suspension de l’octroi du contrat, chose que ce dernier n’a pas faite, à la suite de débats à huis clos64.

2.5.6 Un cas d’asymétrie d’information entre les firmes soumissionnaires

La concurrence parfaite dans le cadre d’un marché public n’existe pas. Or, certains principes reconnus permettent de favoriser la concurrence, et ainsi de générer les prix les plus justes possibles lors d’appels d’offres. L’un de ces principes repose sur l’accès égal à l’information entre les soumissionnaires. Autrement, une asymétrie d’information peut favoriser l’entreprise qui détient des informations que les autres n’ont pas.

Cette section présente un cas récent d’asymétrie d’information, qui a pu avantager la firme de génie-conseil qui a remporté l’appel d’offres. À noter que nous rapportons, sous toute réserve, un cas unique, qui ne suggère pas en lui-même une dynamique récurrente et systémique.

En 2023, le regroupement de firmes de génie-conseil CIMA+ et BC2 Groupe Conseil a remporté l’une des trois ententes-cadres offertes dans l’appel d’offres 21-18899, qui visait « la fourniture, sur demande, de services professionnels de conception en aménagement et en ingénierie dans le cadre de divers projets d’envergure65 ». Ce regroupement a réalisé en 2023, pour un mandat de cette entente-cadre, une « étude d’avant-projet préliminaire dans le cadre du projet de réaménagement de la voie Camillien-Houde et du chemin Remembrance66 », au coût de 1,02 M$.

En 2024, le Service des infrastructures du réseau routier de la Ville de Montréal a lancé un appel d’offres pour des services professionnels de génie-conseil pour la conception de plans et devis du réaménagement de la voie Camillien-Houde et du chemin Remembrance. À cette occasion, le contenu de l’étude d’avant-projet réalisé l’année précédente n’a pas été rendu accessible à l’ensemble des soumissionnaires intéressés par l’appel d’offres. Un document publié sur le portail SEAO de cet appel d’offres indique qu’un soumissionnaire a posé la question suivante : « Est-il possible de prendre connaissance de l’avant-projet définitif de la phase 1 du réaménagement du chemin Remembrance et de la voie Camillien-Houde […]67? », ce à quoi on a répondu : « Non, les plans de l’avant-projet de la phase 1 ne seront pas partagés dans le cadre de cet appel d’offres68. »

Ce refus contrevient aux avertissements du BIG, qui mentionnait dans l’un de ses rapports que « les règles actuellement en vigueur à la Ville de Montréal permettent aux firmes faisant une étude préliminaire de participer au processus d’appel d’offres en découlant, pourvu que l’étude préliminaire soit publiée afin de permettre aux autres soumissionnaires d’avoir accès à la même information69 ».

L’appel d’offres pour la conception de plans et devis du réaménagement du chemin Remembrance et de la voie Camillien-Houde s’est finalement soldé en faveur du regroupement formé de CIMA+ et de la firme d’architecture Lemay. Malgré que ce regroupement ait soumis un prix de 4 % supérieur au deuxième regroupement ayant obtenu la meilleure évaluation, le contrat leur a été octroyé, car l’aspect qualitatif de leur devis, basé notamment sur l’expérience de l’équipe de travail et la méthodologie proposée, était supérieur aux autres soumissionnaires. La différence entre les notes finales des deux regroupements est infime, soit 0,00004 selon le système d’évaluation pondérant le prix soumis et l’enveloppe qualitative70. Il est possible que l’accès inégal à l’étude d’avant-projet ait pu affecter la dimension qualitative des devis, ce qui aurait pu être évité en partageant le contenu de l’étude d’avant-projet à l’ensemble des firmes soumissionnaires.

3. Conclusion et recommandations

Le marché public du génie-conseil pour le domaine des infrastructures à Montréal est aux prises avec une série de facteurs qui exercent une pression haussière sur les tarifs professionnels des firmes de génie-conseil. Ensemble, l’abondance et la taille des contrats, la concentration du marché entre quelques grandes firmes ainsi que le recours aux appels d’offres de type entente-cadre contribuent à distordre la concurrence sur le marché. Cette mise en échec importante de l’effet de concurrence aboutit à une hausse substantielle des tarifs demandés par les firmes de génie-conseil dans le cadre de contrats avec la Ville, bien au-delà de l’évolution des frais d’exploitation moyens du secteur et de l’inflation.

Les conclusions de la CEIC s’inscrivaient dans un contexte où les moteurs de la hausse des coûts des contrats à Montréal et ailleurs au Québec étaient principalement attribuables à des stratagèmes illégaux. Des témoins rencontrés par la commission Charbonneau estimaient que les coûts des contrats publics étaient de 25 à 30 % plus élevés à Montréal qu’ailleurs, « pas seulement à cause de la collusion, mais en partie à cause d’elle71 ». Autrement dit, il existe plusieurs autres facteurs, tout à fait légaux, qui peuvent contribuer à éloigner un marché public du juste prix.

L’examen effectué dans le cadre de cette étude par des méthodes d’enquête accessibles nous porte à conclure que la surenchère tarifaire du marché public du génie-conseil en infrastructures à Montréal s’explique par la structure même du marché ainsi que par son mode d’encadrement public, principalement le système d’appel d’offres par entente-cadre. Nous avons estimé que l’écart entre le juste prix et les prix des contrats publics de génie-conseil en infrastructures avoisine 20 %.

Dans ce contexte, il faut bien comprendre que les obstacles à surmonter pour renouer avec un marché public sain qui conduit au juste prix sont beaucoup plus complexes et difficiles à franchir dans un contexte de facteurs haussiers légaux plutôt qu’illégaux. Deux raisons expliquent cela. D’abord, les outils législatifs ainsi que les principaux instruments d’enquête mis en place au lendemain de la CEIC ou dans la foulée de celle-ci sont surtout conçus pour répondre à des situations où les marchés publics sont aux prises avec des problèmes attribuables à des pratiques ne respectant pas le droit administratif ou criminel. Nous nous référons ici au Commissaire à la lutte contre la corruption (2011), au Registre des entreprises non admissibles (2012), au Registre des entreprises autorisées (2013), à l’Autorité des marchés publics (2017) ainsi qu’au Bureau de l’inspecteur général de Montréal (2014)72.

Ensuite, pour renouer avec un marché public générant un juste prix (un prix qui reflète l’évolution normale des coûts des entreprises soumissionnaires et inclut un bénéfice raisonnable), il ne suffit pas de dévoiler et de faire cesser des pratiques de collusion et de corruption. Au contraire, les enjeux qui affectent le marché public à l’étude concernent la structure générale du marché, ce qui implique un champ d’action au périmètre beaucoup plus large. Il faut donc revoir de fond en comble les politiques publiques à l’origine de ce marché, puisque celui-ci ne produit pas le premier effet attendu, soit un prix juste. La prochaine section présente des recommandations à cet égard.

Recommandations

Comme mentionné précédemment, il a été estimé qu’à l’époque de la CEIC et avant l’escouade Marteau de 2009, qui ciblait les crimes économiques de l’industrie de la construction73, les prix des contrats publics à Montréal pour le domaine du génie-conseil, entre autres, étaient de 20 à 30 % trop élevés. Nous estimons dans le cadre de la présente étude qu’en vertu de ressorts différents, demeurant dans le cadre de la légalité, les prix des contrats publics pour des services professionnels de génie-conseil en infrastructures à Montréal ont renoué avec cette dynamique d’avant 2009. Selon une estimation prudente, nous avons calculé que les prix étaient environ de 20 % supérieurs au juste prix. Cette section formule et développe sept recommandations de nature à rompre avec cette trajectoire d’augmentation considérable des tarifs des firmes de génie-conseil. Plusieurs de nos recommandations en reprennent d’autres, déjà formulées dans des rapports publics antérieurs, mais qui n’ont toujours pas été mises en place.

Recommandation 1 : diminuer la sous-traitance et augmenter la capacité interne de la Ville à réaliser ses travaux d’ingénierie.

La diminution de la sous-traitance et l’augmentation de l’expertise interne des donneurs d’ouvrage faisaient l’objet de l’une des recommandations phares du rapport Léonard, qui se lisait comme suit :

S’assurer de maintenir une compétence interne dans la réalisation des activités pour lesquelles la Ville fait appel à l’entreprise privée, et confier à ses ressources internes la réalisation d’une certaine portion de l’activité74.

La dépendance de la Ville aux firmes externes ainsi que l’abondance de contrats publics placent le donneur d’ouvrage dans une position de faiblesse, qui le rend vulnérable à des surenchères tarifaires ainsi qu’à des problèmes tels que l’augmentation des délais et la baisse de la qualité des livrables. En clair, dès lors que la Ville dépend fortement de quelques grandes firmes externes pour accomplir ses travaux d’ingénierie, celles-ci ont beau jeu d’accroître leurs tarifs tout en diminuant la qualité des services. La sous-traitance des services professionnels de génie-conseil implique de soumettre le coût des contrats publics aux mécanismes du marché et à la visée de profitabilité des firmes, dont la nature même est d’augmenter leurs tarifs autant que la demande le permet. Cette situation n’est pas sans rappeler le cas des agences privées de santé, dont le gouvernement a jugé bon de se sevrer, notamment en raison de leurs pratiques tarifaires abusives75. Le ministre de la Santé Christian Dubé affirmait que « le réseau est à la merci d’entreprises qui ont passé des années […] à augmenter leurs tarifs76 ».

Le critère principal retenu pour discriminer les tâches de génie-conseil à rapatrier au public peut être celui de la récurrence, qui justifie l’embauche interne et garantit une charge de travail minimale. Actuellement, la Ville se retrouve à former, parfois à ses frais en raison du système de rémunération à l’heure, des consultant·e·s externes moins expérimenté·e·s dans le cadre de contrats publics concernant des tâches récurrentes (réaménagement de voies de circulation, entretien du réseau routier et aquifère, surveillance de chantiers de construction, etc.). Il va de soi que ce coût de formation devrait être dirigé vers la qualification de personnel du public plutôt que du privé. Développer l’expertise interne permettrait à la fois de réaliser davantage de travaux à l’interne et de mieux contrôler les mandats à l’externe, sur le plan notamment de l’évaluation des factures et de l’estimation du coût des travaux sous-traités.

La croissance de la capacité interne d’un donneur d’ouvrage public à réaliser davantage de travaux se fait sur plusieurs années. À ce sujet, les recommandations 21 à 27 du rapport Léonard détaillaient la marche à suivre sur le plan de la formation, de l’embauche, du budget, de la spécialisation, etc. Ce plan n’a toutefois jamais été mis en place, et la Ville demeure dépendante de firmes externes qui augmentent leurs tarifs autant que la demande le permet.

Recommandation 2 : adopter une méthode d’évaluation interne des contrats basée sur les coûts réels.

La « capacité de produire des estimations justes77 », pour reprendre les mots des commissaires Charbonneau et Lachance, est un enjeu névralgique pour tout donneur d’ouvrage. Actuellement, la Ville préconise une méthode qui s’appuie sur l’historique des prix du marché, par opposition à une estimation de l’évolution des coûts réels. L’historique des coûts ne permet pas constater les écarts entre les tarifs des firmes et l’évolution de leurs coûts réels. Rappelons que le rapport du comité Léonard signalait les précautions à prendre à l’égard de l’estimation par historique des coûts : « […] pour que la méthode d’estimation des coûts basée sur l’historique des plus basses soumissions reçues donne des résultats fiables, il faut s’assurer qu’on agit dans un marché de libre concurrence. » En l’espèce, le marché public à l’étude n’est pas un modèle de concurrence, quelques grandes firmes étant en mesure d’accaparer la plupart des contrats. Ainsi, la recommandation 32a du comité Léonard formulait une proposition visant à adopter, pour tous les types de contrats accordés par la Ville, une approche basée sur les coûts réels, et non sur l’historique des plus basses soumissions précédentes reçues :

Limiter aux fins budgétaires le recours aux estimations basées sur l’historique, et utiliser des estimations détaillées lors des étapes suivantes du processus78.

Les tarifs facturés par les firmes de génie-conseil, gardés confidentiels pour favoriser la concurrence sur le marché, sont néanmoins colligés par la Ville. Celle-ci pourrait développer un outil interne pour suivre l’évolution des honoraires professionnels, et rapporter ceux-ci à des indicateurs tels que l’inflation ou les coûts estimés, advenant une réalisation à l’interne. Parfois, la lourdeur administrative de la méthode d’estimation par coûts réels est invoquée pour justifier de ne pas y avoir recours. Or, dans le cas des services professionnels de génie-conseil, pour lesquels plus de 50 % des frais d’exploitation des firmes représentent des salaires, la méthode d’estimation par coûts réels est tout indiquée. Elle pose en effet encore moins de difficultés méthodologiques qu’en contexte d’estimation interne de devis de travaux de construction, où le prix de divers intrants doit être considéré (matériaux, énergie, outillage, etc.). La Ville préconise néanmoins l’approche d’estimation des coûts réels pour les travaux de construction, par le biais de la Division de la gestion des portefeuilles de projet et d’économie de la construction, qui estime la valeur de certains contrats de construction, ou sous-traite cette estimation à des firmes spécialisées. Ce devrait être à plus forte raison le cas pour les contrats de services professionnels de génie-conseil, puisque le processus serait beaucoup moins complexe en l’absence d’intrants multiples (matériaux, outillage, etc.).

Une meilleure estimation du coût réel de ces contrats aurait possiblement pour résultat de produire des écarts plus grands entre l’estimation interne de la Ville et les tarifs soumis par les firmes de génie-conseil. Advenant des écarts supérieurs à 20 %, davantage de contrats chemineraient par la Commission permanente d’examen des contrats. Cette meilleure connaissance du coût réel des services reçus par les firmes de génie-conseil permettrait d’éclairer, d’une part, l’évolution réelle des tarifs des firmes de génie-conseil et, d’autre part, le débat entourant l’opportunité de réaliser davantage de travaux d’ingénierie à l’interne.

Recommandation 3 : mieux planifier les travaux dans le cadre du plan triennal des investissements.

En 2013, le comité Léonard décourageait le recours au système d’ententes-cadres, recommandant de baliser son usage selon des critères précis. Le rapport soulignait l’importance de la planification en amont des travaux à accomplir à la Ville, par le biais du plan triennal des investissements. Selon les auteurs du rapport, l’empressement peut décourager le détour par un appel d’offres en bonne et due forme et encourager l’usage des ententes-cadres, tandis qu’une meilleure planification des travaux réduirait l’urgence de procéder à ceux-ci : « Comme la Ville tarde à déterminer les projets à réaliser pour une année donnée, une fois ceux-ci connus, les délais seront longs s’il faut lancer un appel d’offres pour trouver une firme de professionnels qui confectionnera les plans et devis79. »

Recommandation 4a : diminuer les appels d’offres de type ententes-cadres et prévoir des critères précis justifiant son recours.

Cette recommandation réitère celle formulée en 2013 par le comité Léonard, qui a jugé que les ententes-cadres pouvaient représenter un outil efficace pour la Ville, en plus de diminuer certains frais d’appel d’offres. Or, les auteurs du rapport estimaient néanmoins que les ententes-cadres

limite[nt] le pouvoir de négociation de la Ville lorsque vient le temps d’établir le coût de chaque mandat, car elle est déjà liée contractuellement avec les consultants. De plus, ces derniers sont rémunérés sur une base horaire à l’intérieur des ententes-cadres, ce qui limite considérablement leur responsabilité par rapport aux dépassements de coûts.

La présente étude, qui a constaté un recours quasi total aux ententes-cadres, parvient aux mêmes conclusions que le comité Léonard.

Précisons que même en préconisant davantage le système d’appel d’offres forfaitaire, le marché public du génie-conseil à Montréal demeure concentré et aux prises avec une abondance de contrats publics. Autrement dit, les appels d’offres forfaitaires pourraient ne pas générer de meilleurs tarifs que les ententes-cadres. Pour qu’un retour à une majorité d’appels d’offres forfaitaires soit efficace et réalisable, il doit être accompagné d’une diminution de la sous-traitance et d’une meilleure planification des travaux, mise de l’avant aux recommandations 1 et 3.

En plus de diminuer le recours aux ententes-cadres, la Ville pourrait transformer la structure actuelle des contrats-cadres en s’inspirant de pratiques qui existent ailleurs dans le monde. Le système des ententes-cadres peut en effet prendre diverses formes. Dans d’autres pays, tels que le Danemark et le Royaume-Uni, une phase de « mini-compétition80 » est prévue au moment de l’adjudication des mandats exécutés à l’intérieur des ententes-cadres. Également, on retrouve parfois une clause aux contrats-cadres prévoyant que le donneur d’ouvrage peut toujours se réserver le droit de conclure les mandats avec des entreprises extérieures à l’entente-cadre, s’il juge les tarifs soumis non satisfaisants81. Il se peut, cela dit, que diverses contraintes pratiques empêchent l’adoption de telles modifications en contexte montréalais.

Recommandation 4b : diminuer la taille des mandats exécutés à l’intérieur des ententes-cadres.

Une entente-cadre est la constitution d’un marché fermé ad hoc, dont les mandats accordés sont accessibles uniquement aux entreprises sélectionnées à la fin du processus d’appel d’offres initial. L’un des objectifs de l’entente-cadre, du point de vue du donneur d’ouvrage, est de réaliser des économies sur les coûts administratifs découlant de la tenue d’appels d’offres. L’entente-cadre permet en effet de réaliser une succession de mandats, sans tenir de nouveaux appels d’offres pour chacun de ceux-ci. À l’heure actuelle, les ententes-cadres de la Ville de Montréal concernant des services professionnels de génie-conseil donnent lieu à des mandats pouvant atteindre 4 M$. Il est possible que la tenue d’un appel d’offres, pour des mandats de cette taille, génère des soumissions compétitives, et justifie ainsi les frais administratifs découlant du processus d’appel d’offres. Un mandat individuel peut en effet inclure une moins grande variété d’expertises et de besoins en main-d’œuvre, ce qui pourrait toutefois permettre à davantage de firmes de soumissionner. Également, un·e témoin affirme que des mandats de cette taille peuvent compromettre la capacité du personnel de la Ville à contrôler les heures facturées par les consultant·e·s externes. Il arrive en effet que des heures de services facturées par les firmes soient diminuées à l’issue d’une négociation avec le personnel de la Ville.

En somme, une directive claire de la Ville indiquant que les mandats exécutés à l’intérieur des ententes-cadres ne doivent pas dépasser un certain seuil permettrait possiblement de favoriser l’aspect concurrentiel du marché, en plus de garantir un meilleur contrôle de la facturation des consultant·e·s.

Recommandation 4c : rendre publics les mandats accordés à l’intérieur des ententes-cadres.

Le système des ententes-cadres diminue la publicité des dépassements de coûts ainsi que la publication des mandats réalisés par les consultant·e·s externes. Le système d’entente-cadre, rappelons-le, est un mécanisme d’agrégation de la demande, qui réunit au sein d’un seul contrat une série de mandats futurs et indéterminés. À l’heure actuelle, les détails des mandats individuels exécutés à l’intérieur des ententes-cadres ne sont publiés d’aucune façon, ce qui nuit à la transparence de ce marché public et à l’accès à l’information pour le public. Il serait possible de prévoir une diffusion d’informations à l’occasion de l’exécution des ententes-cadres, tout en préservant la concurrence sur le marché, en gardant certaines informations confidentielles, telles que les tarifs des consultant·e·s.

Recommandation 5 : améliorer la reddition de comptes des firmes externes.

Des témoins ont fait part du fait que le personnel des firmes externes nommé dans les soumissions et en fonction duquel la qualité de la soumission est évaluée n’est parfois pas le personnel affecté, par la suite, à la réalisation des mandats de l’entente-cadre, contrairement à la soumission initiale. À ce sujet, le comité Léonard avait émis plusieurs recommandations en 2013, qui ne semblent toujours pas mises en œuvre à ce jour :

41a – prévoir un mécanisme de compensation dans le cas de substitution de ressources ;

41b – exiger, pour toute substitution de personnel, une évaluation d’équivalence par une personne indépendante du chargé de projet ;

41 c – demander aux firmes d’inclure le nom de substituts dans leur soumission, en plus du personnel prévu, et inclure l’évaluation de ce personnel dans la notation, tout en exigeant son utilisation lors de substitution.

Dans un contexte où une baisse de la qualité des livrables a été observée par la Ville et où des témoins ont observé une certaine augmentation du temps facturé pour des mandats similaires dans les dernières années, les recommandations tirées du rapport Léonard permettraient de favoriser le niveau de qualification requis pour l’exécution des mandats confiés aux firmes externes.

Sur le plan de la facturation, des témoins éprouvent certaines difficultés à obtenir la soumission de factures détaillées selon la fréquence convenue, habituellement mensuelle. Afin de faciliter le processus de validation et de contrôle interne de la facturation ainsi que de prévenir toute forme d’abus, le comité Léonard recommandait d’adopter une fréquence de facturation hebdomadaire :

47a – exiger le dépôt de feuilles de temps hebdomadaires par le consultant, que l’employé de la Ville affecté à la supervision de la firme devra signer dans la semaine qui suit.

Le dépôt de factures hebdomadaires, bien que possiblement difficile à mettre en place, permettrait de préserver la capacité de contrôle de la Ville dans un contexte de mandats au volume d’heures croissant.

Un témoin affirme qu’avant la pandémie, il était d’usage, dans le Service pour lequel il travaille à la Ville, que des consultant·e·s travaillent en présentiel dans les bureaux de la Ville. Cette pratique facilite dans un premier temps la coordination des mandats avec l’externe, et dans un second temps permet à la Ville d’exercer un plus grand contrôle sur les factures des firmes. La Ville pourrait renouer avec cette pratique, dans le cadre des mandats d’ententes-cadres qui le permettent.

Recommandation 6 : assujettir les firmes de génie-conseil au pouvoir d’encadrement de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

Les ordres professionnels ont pour première mission de protéger le public et d’encadrer la profession. Tout détenteur d’un titre professionnel est assujetti aux différents pouvoirs de contrôle de son ordre. Contrairement à la majorité des provinces canadiennes ainsi que plusieurs États américains, l’encadrement des ordres professionnels ne s’applique qu’aux individus, et pas aux entreprises de services professionnels82. La 28e recommandation de la CEIC avait proposé en ce sens de « modifier le Code des professions du Québec pour que les firmes de services professionnels reliées au domaine de la construction soient assujetties au pouvoir d’encadrement des ordres professionnels dans leur secteur d’activité ».

L’Ordre des ingénieurs ainsi que l’Office des professions du Québec appuient tous deux cette recommandation83. Les bénéfices de cette réforme seraient multiples. Dans le cadre de la présente étude et étant donné certains problèmes observés à propos de la qualité des livrables des consultant·e·s externes, l’assujettissement des firmes de génie-conseil à l’Ordre des ingénieurs du Québec favoriserait un environnement de travail permettant aux consultant·e·s externes de bien s’acquitter de leurs obligations professionnelles. Également, l’assujettissement des firmes au Code de déontologie des ingénieur·e·s pourrait avoir un effet dissuasif sur toute forme d’abus potentiel ou éventuel. Les ordres professionnels disposent par ailleurs de divers pouvoirs d’audit et de contrôle sur leurs membres.

Recommandation 7 : veiller à la mise en application des recommandations par le biais de la création d’un comité de suivi formel.

La plupart des recommandations de cette étude avaient été préalablement formulées dans d’autres rapports d’enquête, sans être mises en œuvre. À ce sujet, le comité Léonard avait anticipé cette éventualité en recommandant la création d’un « comité constitué du Directeur général, du directeur des finances, du contrôleur général de la Ville auquel collabore un fonctionnaire provenant du Conseil du trésor du gouvernement du Québec, chargé de s’assurer que les recommandations du présent rapport vont être appliquées ; ce comité devra rendre compte au comité exécutif [de Montréal] ». À notre connaissance, un comité de ce type n’a pas été mis en place, outre, à l’échelle provinciale, une initiative citoyenne formée d’expert·e·s regroupé·e·s sous le nom de « Comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau », qui a rédigé à ce jour trois rapports84.

Nous sommes d’avis que la plupart des enjeux constatés dans la présente étude à propos du marché public du génie-conseil en infrastructures à Montréal auraient pu être évités par l’adoption de certaines recommandations et observations formulées par divers rapports publics publiés dans les 15 dernières années.


1 France CHARBONNEAU et Renaud LACHANCE, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. Partie 5, Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, novembre 2015, www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1175409.pdf, p. 132.

2 Ibid.

3 Voir tableau 2.

4 « Les marchés publics », Secrétariat du Conseil du trésor, www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/les-marches-publics (consulté le 22 février 2025).

5 « Public procurement », Organisation de coopération et de développement économiques, www.oecd.org/en/topics/public-procurement.html (consulté le 30 janvier 2025).

6 CHARBONNEAU et LACHANCE, op. cit., partie 4, p. 85.

7 Jacques LÉONARD et Rolland FRÉCHETTE, Rapport du comité-conseil sur l’octroi et la gestion des contrats municipaux à la Ville de Montréal, Comité-conseil sur l’octroi et la gestion des contrats municipaux, mai 2013, 37 p.

8 Ibid., p. 24.

9 CHARBONNEAU et LACHANCE, op. cit., partie 4, p. 135.

10 Ibid., partie 3, p. 493 et 649.

11 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 21.

12 « Organisation municipale », Ville de Montréal, montreal.ca/administration (consulté le 20 février 2025).

13 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Examen d’intégrité dans les marchés publics du Québec, Canada : une approche stratégique contre les risques de corruption, 2020, doi.org/10.1787/g2g95003-fr, p. 47.

14 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 21.

15 C’est le terme retenu par le Règlement sur les contrats de services des organismes publics, et par la CEIC. Voir France CHARBONNEAU et Renaud LACHANCE, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. Partie 5, Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, novembre 2015, www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1175409.pdf, partie 1, p. 68.

16 LÉONARD et FRÉCHETTE, ibid.

17 VILLE DE MONTRÉAL SYSTÈME DE GESTION DES DÉCISIONS DES INSTANCES, Sommaire décisionnel dossier # 1247231063, 2024, p. 1.

18 VILLE DE MONTRÉAL SYSTÈME DE GESTION DES DÉCISIONS DES INSTANCES, Sommaire décisionnel dossier # 1207231087, 2020, p. 1.

19 Code municipal du Québec, article 936.0.1.1., www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/c-27.1?&cible=

20 Ibid.

21 Gian Luigi ALBANO et Caroline NICHOLAS, The Law and Economics of Framework Agreements. Designing Flexible Solutions for Public Procurement, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 4 et 5.

22 COMMISSION PERMANENTE SUR L’EXAMEN DES CONTRATS, mandat SM237231039, 2023, ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/RAPPORT_CEC_WSP_SMC232742003_20230622.PDF, p. 1.

23 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, op. cit., p. 116.

24 BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DE MONTRÉAL, Rapport de mi-année 2022, 2022, www.bigmtl.ca/publications/rapport-de-mi-annee-2022/, p. 24

25 VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DE LA VILLE DE MONTRÉAL, Rapport annuel 2009. V. 3 Gestion des contrats de services professionnels, 2009, p. 158.

26 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit.

27 ALBANO et NICHOLAS, op. cit., p. 187.

28 BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DE MONTRÉAL, op. cit., p. 30.

29 Voir notamment : Daniel AROSA et autres, « Negatice effects on SMEs’ success rates when framework agreements are used in bidding for publics contracts », Public Money & Management, vol. 45, no 1, 2025, p. 7; Albert SÀNCHEZ GRAELLS et Ignacio HERRERA ANCHUSTEGUI, « Impact of public procurement aggregation on competition. Risks, rationale and justification for the rules in Directive 2014/24 », University of Leicester School of Law Research Paper no 14-35, 2014, p. 9 et 10.

30 AROSA et autres, op. cit., p. 3.

31 Ibid.

32 SÀNCHEZ GRAELLS et HERRERA ANCHUSTEGUI, op. cit., p. 7.

33 STATISTIQUE CANADA, Tableau 21-10-0165-01. Services de génie, ventes selon le type de client, www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=2110016501 [produit sur demande].

34

35 PUBLIC SERVICES AND PROCUREMENT CANADA, Practitioner’s guide for procurement pricing. Phase 3, Gouvernement du Canada, décembre 2020, buyandsell.gc.ca/sites/buyandsell.gc.ca/files/phase_3_practitioners_guide_for_procurement_pricing.pdf, p. 357.

36 Le domaine des infrastructures exclut les contrats de génie-conseil d’estimation, de feux de circulation et de maintien de la mobilité. Il ne comprend que les contrats de surveillance et de conception de travaux d’infrastructures du réseau routier et des aqueducs. L’annexe A présente la liste des contrats analysés.

37 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Public procurement performance. A framework for measuring efficiency, compliance and strategic goals, 2023, www.oecd.org/content/dam/oecd/en/publications/reports/2023/08/public-procurement-performance_0ebfe3e7/0dde73f4-en.pdf, p. 5.

38 Ibid., p. 6.

39 L’annexe A présente une liste de ces 70 ententes-cadres.

40 TABLE D’ÉCHANGES ENTRE L’ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL ET LA VILLE DE MONTRÉAL, Fiche de sujet à discuter, 29 janvier 2024, Demande d’accès à l’information, p. 1.

41 La dénomination de ces services a été modifiée au fil des années. Notre compilation retrace les contrats de génie-conseil accordés par ces trois unités, ou leur équivalent dans les 13 dernières années.

42 Procès-verbaux des comités exécutifs de la Ville de Montréal, Compilation et classification des contrats de services professionnels de génie-conseil accordés par trois services de la Ville de Montréal entre 2012 et 2024.

43 VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DE LA VILLE DE MONTRÉAL, op. cit.

44 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 22.

45 Ibid., p. 21.

46 BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DE MONTRÉAL, op. cit., p. 28

47 Ibid.

48 Ibid.

49 « Les conditions d’admissibilité et de conformité », Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/guides-et-outils/marches-publics/les-conditions-dadmissibilite-et-de-conformite (consulté le 22 avril 2025).

50 COMITÉ EXÉCUTIF DE LA VILLE DE MONTRÉAL, Compilation par l’auteur des procès-verbaux de 2012 et 2024.

51 COMMISSION PERMANENTE SUR L’EXAMEN DES CONTRATS, Mandat SMCE237231094, 2024, ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/RAPPORT_CEC_FNX_SMCE235408001_20240223.PDF, p. 3.

52 La Ville de Montréal est dotée d’une « Division de l’expertise et du soutien technique », soit un laboratoire public qui procède, notamment, à des tests et analyses qualitatives de matériaux, de sols, etc. Ce laboratoire célèbre cette année son 100e anniversaire, mais a été marqué par une diminution importante de ses ressources dans les dernières décennies en faveur des firmes privées, dont la Ville dépend davantage aujourd’hui. L’une de ces firmes a d’ailleurs proposé de privatiser le laboratoire de la Ville en 1996. Brian MYLES, « Privatisation des services municipaux : SNC-Lavalin lorgne la voirie », Le Devoir, 13 mars 1996.

53 SYSTÈME DE GESTION DES DÉCISIONS DES INSTANCES, Sommaire décision 1237231094, ville.montreal.qc.ca/documents/Adi_Public/CG/CG_ODJ_LPP_ORDI_2024-02-22_17h00_FR.pdf, p. 11/43.

54 SYSTÈME DE GESTION DES DÉCISIONS DES INSTANCE, Sommaire décisionnel 1207231087, 2021, p. 7.

55 STATISTIQUE CANADA, Tableau 21-10-0165-01, op. cit.

56 BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DE MONTRÉAL, op. cit., p. 31.

57 Ibid., p. 29-30.

58 SÀNCHEZ GRAELLS et HERRERA ANCHUSTEGUI, op. cit.

59 SYSTÈME DE GESTION DES DÉCISION DES INSTANCES, Sommaire décisionnel 1207231087, 2021, p. 8.

60 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 22.

61 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Statistiques sur les contrats des organismes publics, 2023-2024, www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/rapport_statistique_2324.pdf, p. 15.

62 COMMISSION PERMANENTE SUR L’EXAMEN DES CONTRATS, Guide d’information à l’intention des unités administratives, 2019, ville.montreal.qc.ca/executiontravaux/file/75/download?token=o1r-yDZp, p. 5.

63 COMMISSION PERMANENTE SUR L’EXAMEN DES CONTRATS, Mandat SMCE248848014, 2024, ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/RAPPORT_CEC_FNX_SMCE237231085_20240620.PDF, p. 5.

64 COMITÉ EXÉCUTIF DE LA VILLE DE MONTRÉAL, Procès-verbal de la séance ordinaire du 12 juin 2024, ville.montreal.qc.ca/documents/Adi_Public/CE/CE_PV_ORDI_2024-06-12_09h00_FR.pdf, p. 17.

65 COMITÉ EXÉCUTIF DE LA VILLE DE MONTRÉAL, Procès-verbal de la séance ordinaire du comité exécutif tenue le mercredi 9 août 2023, ville.montreal.qc.ca/documents/Adi_Public/CE/CE_PV_ORDI_2023-08-09_09h00_FR.pdf, p. 42.

66 VILLE DE MONTRÉAL, Mandats exécutés dans l’entente-cadre 21-18899, Demande d’accès à l’information, p. 1.

67 VILLE DE MONTRÉAL, Addenda no 1 à l’appel d’offres 24-20697, Ville de Montréal—Service de l’approvisionnement, 2024, p. 1.

68 Ibid.

69 BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DE MONTRÉAL, Rapport et recommandations concernant l’appel d’offres 13-13242, 2014, www.bigmtl.ca/wp-content/uploads/2014/10/rapport-d-enquete-appel-d-offres-13-13242.pdf, p. 22.

70 COMITÉ EXCÉCUTIF DE LA VILLE DE MONTRÉAL, Procès-verbal de la séance ordinaire du 12 mars 2025, ville.montreal.qc.ca/documents/Adi_Public/CE/CE_ODJ_LPP_ORDI_2025-03-12_09h00_FR.pdf, p. 8/29.

71 CHARBONNEAU ET LACHANCE, op. cit., partie 3, p. 167.

72 Voir à ce sujet cet article qui recense les instruments légaux adoptés à la suite de la CEIC : Nicholas JOBIDON, « Scandale de l’industrie de la construction au Québec – Évolution et originalité des instruments normatifs visant à prévenir les risques éthiques dans les marchés publics », Revue international d’éthique sociétale et gouvernementale, vol. 23, no 1, 2021.

73 André NOËL et Fabrice DE PIERREBOURG, « Marteau frappe son premier grand coup », La Presse, 4 février 2011, www.lapresse.ca/actualites/dossiers/crise-dans-la-construction/201102/03/01-4366511-marteau-frappe-son-premier-grand-coup.php.

74 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 19.

75 Anne PLOURDE, Les agences de placement comme vecteurs centraux de la privatisation des services de soutien à domicile, IRIS, 2022, iris-recherche.qc.ca/publications/les-agences-de-placement-comme-vecteurs-centraux-de-la-privatisation-des-services-de-soutien-a-domicile/, p. 12.

76 Daniel BOILY et Davide GENTILE, « Fin du recours aux agences privées en santé : le plan Dubé mis à l’épreuve », Radio-Canada, 14 mai 2024, ici.radio-canada.ca/nouvelle/2072755/agences-privees-infirmieres-dube.

77 CHARBONNEAU ET LACHANCE, op. cit., partie 4, p. 66.

78 LÉONARD et FRÉCHETTE, op. cit., p. 23.

79 Ibid., p. 21.

80 Marta ANDRECKA, « Dealing with Legal Loopholes and Uncertainties within EU Public Procurement Law Regarding Framework Agreements », University of Copenhagen Faculty of Law Legal Studies Research Paper Series, no 34, 2017, p. 9.

81 On peut à cet égard s’inspirer d’une directive de l’Union européenne, qui propose un modèle d’encadrement des ententes-cadres, voir : UNION EUROPÉENNE, « Directive 2014/24/EU of the European Parliament and of the Council of 26 February 2014 on public procurement and repealing Directive 2004/18/EC Text with EEA relevance », EUR-Lex, eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A02014L0024-20240101 (consulté le 14 avril 2025).

82 CONSEIL INTERPROFESSIONNEL DU QUÉBEC, Mémoire du CIQ sur le projet de loi 67, Loi modifiant le Code des professions pour la modernisation du système professionnel et visant l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux, septembre 2024, cdn.ca.yapla.com/company/CPYY3Q7Y2h7Qix1QmIl4X3Rf/asset/files/CIQ_pl67_memoire.pdf, p. 11.

83 Martine VALOIS et autres, Le comité public de suivi des recommandations de la Commission Charbonneau. Rapport 2018, 2018, p. 4.

84 Ibid.

 

Faits saillants

Le marché public de services professionnels de génie-conseil à Montréal pour le domaine des infrastructures est aux prises avec une série d’enjeux qui contribuent à ce que les firmes de génie-conseil soumettent, en moyenne, des prix d’au moins 20 % supérieurs au juste prix, soit un prix qui reflète l’évolution réelle des coûts des services professionnels, et qui inclut un bénéfice raisonnable.

La valeur des contrats externes de services professionnels de génie-conseil pour le domaine des infrastructures à la Ville de Montréal a connu une augmentation moyenne de 18 % par année entre 2012 et 2024. En 2015, la commission Charbonneau avait pourtant recommandé aux donneurs d’ouvrage publics de diminuer leur recours à des services externes de génie-conseil.

La surchauffe de la demande de services professionnels de génie-conseil, couplée à un marché concentré, contribue à une surenchère tarifaire de la part des firmes. Entre 2012 et 2024, les honoraires professionnels des firmes de génie-conseil pour les contrats du domaine des infrastructures ont augmenté de 82 %, soit un croissance plus de deux fois supérieure à l’inflation.

La Ville de Montréal persiste à recourir à une méthode d’estimation interne de la valeur des contrats octroyés qui avait été fortement critiquée tant par la commission Charbonneau que par le rapport de 2013 du comité-conseil sur l’octroi et la gestion des contrats municipaux à la Ville de Montréal, communément appelé le rapport Léonard. À l’heure actuelle, le prix des contrats de génie-conseil est estimé au moyen de l’historique des prix des soumissions passées. Ainsi, la surenchère tarifaire passée des firmes externes devient le point de référence du prix des contrats futurs.

Le marché public à l’étude est aux prises avec un degré de concentration aigu. En 2024, 5 firmes de génie-conseil ont obtenu 76 % de la valeur des contrats de génie-conseil accordés par la Ville de Montréal dans le domaine des infrastructures.

Les processus d’appel d’offres du marché public de services de génie-conseil en infrastructures sont peu compétitifs. Dans les 5 dernières années, 39 appels d’offres représentant 189 M$ de contrats ont été accordés avec autant de soumissions conformes que de contrats offerts. En 2024, 41 % des contrats accordés (9 sur 22) avaient autant de soumissionnaires conformes que de contrats adjugés.

Alors que le rapport Léonard recommandait de diminuer et d’encadrer davantage le recours à des appels d’offres de type entente-cadre, dans lesquels la Ville accorde une banque d’heures étalée sur plusieurs années aux firmes de génie-conseil, la proportion de la valeur des contrats accordés de cette manière est passée de 35 % en 2012 à 93 % en 2024. Les ententes-cadres nuisent à la participation de plus petites firmes de génie-conseil. Entre 2012 et 2024, la valeur individuelle moyenne des contrats a crû de 308 %

La Ville de Montréal, dans le cadre d’une table de concertation avec l’Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG), a fait part en 2024 d’une diminution de la qualité des livrables. Cette observation est partagée par des ingénieur·e·s ayant travaillé à la Ville de Montréal rencontré·e·s dans le cadre de cette étude.

Le comité exécutif de la Ville de Montréal a outrepassé en 2024 une recommandation de suspension de l’octroi d’une entente-cadre de services professionnels de génie-conseil par la Commission permanente sur l’examen des contrats. L’appel d’offres 24-20281 avait reçu une seule soumission, dont les tarifs étaient supérieurs de 51,32 % à l’estimation interne faite par la Ville. Le service responsable de l’appel d’offres avait par ailleurs rehaussé l’estimation interne après l’appel d’offres, ce qui a eu pour effet de réduire l’écart substantiel avec le tarif de la firme, chose que la Commission permanente sur l’examen des contrats a jugé inacceptable.

Des ingénieur·e·s ayant travaillé à la Ville de Montréal et rencontré·e·s dans le cadre de cette étude font part de la difficulté de contre-vérifier les factures soumises par les firmes externes dans le cadre des ententes-cadres. Plusieurs ont observé une augmentation des heures facturées au fil des années, qui est selon eux attribuable en partie à une augmentation du recours à des chargé·e·s de projet externes insuffisamment formé·e·s et expérimenté·e·s. Ces heures de « formation » sont néanmoins la plupart du temps facturées à la Ville.


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