Un nouvel impôt sur le patrimoine
13 mars 2025
Une fois de plus, le gouvernement du Québec s’est engagé dans une vague de compressions pour réduire son déficit budgétaire. En faisant le choix de l’austérité, le gouvernement dégrade davantage l’accessibilité et la qualité des services publics au moment où plusieurs de ces services auraient plutôt besoin d’investissements majeurs. Mais en coupant dans les services, le gouvernement choisit aussi d’ignorer l’autre approche permettant de rééquilibrer un budget : hausser les revenus. Dans cette fiche, nous montrons comment le gouvernement québécois pourrait engranger des sommes considérables grâce à la mise en place d’un nouvel impôt sur le patrimoine des ménages les mieux nantis.
Table des matières
La diminution des impôts sur le revenu au Québec depuis 25 ans
Plutôt que de couper dans ses dépenses pour équilibrer son budget, le gouvernement québécois pourrait mettre en œuvre de nouvelles manières d’augmenter ses revenus. Pour ce faire, il pourrait miser sur la fiscalité. Depuis le tournant des années 2000, le Québec a réduit l’imposition des particuliers, et ces baisses d’impôt répétées ont fragilisé la capacité de l’État à offrir des services publics accessibles et de qualité1.
Le graphique 1 montre la diminution du taux d’impôt effectif payé au Québec depuis 2000. Il est passé de 11,6 à 9,8 % pour l’impôt provincial, et de 21,7 à 18,1 % pour l’impôt combiné fédéral et provincial. Ces diminutions représentent des sommes considérables. Si le taux effectif d’imposition payé par les Québécois·es était le même en 2022 qu’en 2000, ils et elles auraient versé 14 milliards de dollars de plus en impôts cette année, soit 6,9 milliards de dollars de plus à Québec et 7,2 milliards de dollars supplémentaires à Ottawa2.
En d’autres termes, entre 2001 et 2022, les contribuables québécois·es ont bénéficié de baisses d’impôt cumulatives de 105 milliards ou de 215 milliards de dollars si l’on combine l’effet des baisses d’impôt fédérales et provinciales. Ces économies d’impôt ont contribué à l’accumulation du patrimoine chez les ménages. Le patrimoine correspond à la « richesse » accumulée par un individu ou un ménage, ou plus précisément à « l’actif net », c’est-à-dire l’ensemble des avoirs (actif) dont on déduit l’ensemble des dettes (passif).
D’autres phénomènes ont contribué à l’accumulation des actifs au Québec. C’est le cas par exemple de l’augmentation fulgurante de la valeur des actifs immobiliers, qui a plus que triplé (+ 238 %) entre 1999 et 2023, passant de 399 à 1351 milliards de dollars en dollars constants de 2023. La valeur des actifs financiers hors pension a connu une augmentation encore plus rapide sur la même période (+260 %), passant de 128 à 460 milliards de dollars.
Mentionnons également le cas des gains en capital, un type de revenu accaparé en majorité par les mieux nantis3. Le graphique 2 montre la forte augmentation de la valeur de ces gains au cours des dernières années. Après une lente croissance de 5,1 à 6,2 milliards de dollars entre 2000 et 2012, elle est passée de 6,5 à 17,7 milliards de dollars entre 2013 et 2022, atteignant même un sommet de 22,2 milliards de dollars en 2021. Or, ces revenus considérables qui viennent faire grossir le patrimoine des plus riches au Canada et au Québec échappent en grande partie à l’impôt.
Les données récentes sur l’accumulation du patrimoine
Les baisses d’impôt sur le revenu et l’augmentation des revenus des plus riches par le biais, notamment, des gains en capital se sont traduites, pour certains ménages, par une accumulation de la richesse. Pour la mesurer, il faut examiner les données sur le patrimoine.
En octobre 2024, Statistique Canada a publié les dernières données de l’Enquête sur la sécurité financière (ESF). Cette enquête occasionnelle permet, entre autres choses, de suivre l’évolution du patrimoine des ménages canadiens. En effet, ces données sont importantes puisqu’il n’existe pas de registre exhaustif des actifs détenus par les ménages. Il est beaucoup plus difficile d’évaluer la richesse des ménages que leurs revenus, qui font l’objet chaque année d’une déclaration aux fins de l’impôt.
Le graphique 3 montre l’évolution de l’actif net des ménages québécois entre 1999 et 2023 en fonction des quintiles d’actifs. Le classement par quintiles permet d’observer comment évolue le patrimoine de différentes portions de la population, des 20 % les mieux nantis (quintile supérieur) aux 20 % les moins fortunés (quintile inférieur). Remarque : les données sont présentées en dollars constants de 2023, ce qui signifie que les chiffres ont été convertis pour tenir compte de l’inflation.
De 1999 à 2012, en dépit de la récession de 2008-2009, la richesse médiane du quintile supérieur a pratiquement doublé, passant de 818 100 à 1 508 600 $. Après une relative stabilité dans les années subséquentes, elle a repris sa progression rapide après 2019, la médiane des actifs nets du quintile supérieur atteignant 1 830 900 $ en 2023. En somme, même si tous les quintiles ont vu leur patrimoine s’accroître sur la période 1999-2023, l’accumulation de richesse par le quintile supérieur est nettement plus importante que pour les autres quintiles.
À la lumière de ces données, on comprend que le quintile composé des ménages les plus riches au Québec a accaparé, entre 1999 et 2023, une part du patrimoine accumulé (61,7 %) bien plus grande que sa taille dans la population (20 %). Ce quintile a par ailleurs capté 70,7 % de l’augmentation de la valeur des actifs financiers ainsi que 52,3 % de la croissance de la valeur des biens immobiliers, incluant 78,7 % de l’augmentation de la valeur des biens immobiliers autres que la résidence principale4.
Les récentes données de l’ESF permettent aussi de comparer l’actif net des ménages avant et après la pandémie. À cet égard, elles confirment le gonflement des actifs durant la période correspondant à la pandémie (2020-2022). Toutefois, l’ESF présente l’inconvénient considérable de sous-estimer largement les grandes fortunes. En effet, cette enquête de Statistique Canada ne contient aucune donnée sur les ménages les plus riches puisqu’elle fixe un plafond pour les revenus des ménages5.
Pour tenter de brosser un meilleur portrait des actifs nets détenus par les plus riches et de la répartition de la richesse au Canada, le directeur parlementaire du budget (DPB) a développé un calcul permettant d’estimer ces écarts. Le tableau 1 montre dans quelles proportions l’ESF sous-estime la part de la richesse détenue par les quantiles les plus fortunés. Cet écart est considérable, s’élevant à 5,2 points de pourcentage pour le premier 0,01 % et à 11,9 points pour le 1 % le plus riche.
La taxation du patrimoine au Québec
Au Canada, le patrimoine est imposé à travers l’impôt foncier. Il existe deux types de ponction fiscale sur les avoirs fonciers, soit la taxe municipale (calculée sur la valeur foncière des propriétés immobilières) et la taxe scolaire. Au Québec, la taxe foncière municipale représentait en 2023 environ le tiers (34,5 %) des revenus des administrations municipales6. Quant à la taxe scolaire, elle rapporte environ 1 % des revenus de l’État québécois7.
Notons que depuis l’uniformisation et la baisse de la taxe scolaire décidée par le gouvernement québécois en 2018, l’impôt foncier au Québec est désormais un point de pourcentage plus faible qu’en Ontario lorsque calculé en pourcentage du PIB8. Ce simple point de pourcentage représente pas moins de 4,5 milliards de dollars de recettes fiscales de moins pour le Québec.
Mais l’impôt foncier est un mode de ponction fiscale problématique, car il ne favorise pas la justice fiscale. En effet, il n’est pas aussi progressif que l’impôt sur le revenu et ne prend pas en considération la capacité de payer des individus. De plus, il agit comme un incitatif qui encourage les municipalités à autoriser des projets de développement immobilier en fonction de leurs retombées en revenus fonciers plutôt que de leur capacité à répondre aux besoins de la population. En outre, à titre d’impôt sur le patrimoine, l’impôt foncier ne prend pas en considération les autres types d’actifs qui contribuent à la richesse, comme les actifs financiers, qui sont les plus concentrés parmi les plus riches. Pour toutes ces raisons, il serait opportun de réformer l’impôt foncier au Québec. Comme une telle réforme ne peut être réalisée rapidement, nous proposons plutôt de mettre en place sans délai un nouvel impôt sur le patrimoine (NIP) permettant de mieux financer les services publics et de tendre vers une plus grande justice fiscale.
Proposition de l’IRIS : un nouvel impôt sur le patrimoine
La meilleure façon d’agir à court terme pour accroître les recettes fiscales de l’État serait d’instaurer un impôt sur la valeur nette de l’actif des ménages que nous appellerons « nouvel impôt sur le patrimoine » (NIP).
Le NIP aurait pour objectif d’accroître les contributions fiscales des 10 % les mieux nantis, qui sont également ceux qui ont le plus bénéficié des baisses d’impôt des 25 dernières années.
Selon les données de l’ESF, il fallait détenir des actifs nets d’une valeur d’environ 1,8 million de dollars au Québec en 2023 pour appartenir aux 10 % des ménages les mieux nantis9. Toujours selon cette enquête de Statistique Canada, la valeur nette totale de ces 10 % les plus riches de la population s’élève à 1 372 milliards de dollars10. Toutefois, en ajustant avec les données du DPB (voir tableau 1), on peut estimer que ce patrimoine atteignait plutôt 1 626 milliards de dollars en 2023. Enfin, nous avons indexé ce chiffre en calculant l’augmentation moyenne des actifs nets durant les deux dernières années et avons obtenu une nouvelle estimation du patrimoine détenu par ce segment de la population en 2025 de 1 992 milliards de dollars11.
L’IRIS propose ainsi la mise en place d’une taxe progressive sur le patrimoine des ménages excédant 1,8 million de dollars. Elle serait de 0,2 % pour les actifs d’une valeur de 1,8 à 10 millions de dollars, de 0,5 % pour les actifs allant de 10 à 50 millions de dollars, de 1 % sur les actifs de 50 à 500 millions de dollars et de 2 % sur les actifs supérieurs à 500 millions de dollars.
Le tableau 2 montre une estimation des nouvelles recettes fiscales que permettrait d’engranger la mise en place du NIP. Au total, en appliquant les taux progressifs indiqués de 0,2 % à 2 %, cette mesure permettrait d’ajouter quelque 6 milliards de dollars en revenus fiscaux.
Pour être appliqué, le NIP exigerait des particuliers qu’ils déclarent au fisc l’étendue de leurs actifs et passifs au-delà d’un certain seuil de patrimoine. Ce seuil pourrait par exemple être fixé à 1,5 million de dollars d’actifs nets. La constitution de ce nouveau registre permettrait par ailleurs au gouvernement de bénéficier d’informations financières qui rendraient possible une mesure plus précise des inégalités de richesse au Québec.
En plus de contribuer à une meilleure répartition de la richesse et de financer les services publics, cette ponction fiscale serait réinjectée dans l’économie québécoise plutôt que de s’accumuler dans les coffres d’une poignée de familles privilégiées.
1 Ce n’est pas le seul motif qui explique la détérioration du financement des services au Québec. L’adoption d’approches administratives inspirées de la nouvelle gestion publique, par exemple, mène à du gaspillage. Il y a donc malfinancement en plus du sous-financement. Guillaume HÉBERT, Analyse des nouvelles tendances gestionnaires et de leurs effets – Fiche no 1 : la nouvelle gestion publique, fiche socioéconomique, IRIS, 2024.
* L’auteur remercie Mario Jodoin pour ses commentaires durant la préparation de cette fiche.
2 De fait, ces montants sont sous-estimés puisqu’il y avait une plus grande proportion de personnes dans le haut de la pyramide des revenus en 2022 qu’en 2000. Par exemple, il y avait 0,49 % des contribuables qui gagnaient au moins 180 000 $ en 2000 et 1,03 % qui gagnaient, en 2020, 250 000 $ et plus (un seuil qui correspond à celui de 180 000 $ en 2000, une fois ajusté pour tenir compte de l’inflation). Cela signifie que si l’on appliquait en 2020 les mêmes barèmes d’imposition qu’en 2000, davantage de contribuables auraient une plus grande part de leur revenu dans le palier d’imposition supérieur.
3 Jim STANFORD, Faits et mythes sur l’imposition des gains en capital, rapport de recherche, Centre for Future Work et IRIS, août 2024.
4 STATISTIQUE CANADA, Tableau 11-10-0049-01, calculs de l’auteur.
5 Nigel WODRICH et Aidan WORSWICK, Estimation de la queue supérieure de la distribution du patrimoine au Canada, rapport, Bureau du directeur parlementaire du budget, 17 juin 2020. Dans l’ESF de 2016, les revenus étaient plafonnés à 27 millions de dollars.
6 STATISTIQUE CANADA, Tableau 36-10-0450-01.
7 Tommy GAGNÉ-DUBÉ (dir.), Bilan de la fiscalité au Québec – Édition 2024, Cahier de recherche 2024-01, Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques, 2024.
8 État fiscalité du Québec, CPP (section sur les impôts sur le patrimoine).
9 STATISTIQUE CANADA, Tableau 11-10-0049-01. Calculs de l’auteur. On obtient ce chiffre à partir de la valeur médiane du quintile le plus riche.
10 STATISTIQUE CANADA, Tableau 11-10-0075-01.
11 STATISTIQUE CANADA, Tableau 36-10-0661-01. Calculs de l’auteur.

Photo: Ron Cogswell (Flickr)