Entrez sur Amazon.com pour sortir du capitalisme
25 mars 2024
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En octobre 2023, un homme d’affaires influent de la Silicon Valley, Marc Andreessen, a suscité un vif intérêt avec son article « The Techno-Optimist Manifesto ». Tout au long de ce manifeste, l’auteur aborde plusieurs thèmes à travers lesquels il célèbre les nouvelles technologies, le marché et le profit.
L’économiste de renom Yanis Varoufakis confronte cette vision techno-utopiste dans « Technofeudalism: What Killed Capitalism », ouvrage dans lequel il analyse une série de dynamiques économiques et sociales qui émergent au 21e siècle. Selon Varoufakis, nous serions à l’aube d’une Grande Transformation (une expression qu’il emprunte à l’anthropologue Karl Polanyi), soit un changement de paradigme historique similaire au passage du féodalisme médiéval au capitalisme moderne.
L’auteur mentionne d’entrée de jeu que « la métamorphose est au capitalisme ce qu’est le camouflage au caméléon ». Autrement dit, il est dans la nature de ce système de se transformer et de se renouveler, comme en font foi ses 250 ans d’évolution. Cela dit, malgré ces changements, deux piliers ont toujours prévalu : d’une part la présence de marchés commodifiant la terre et le travail, et d’autre part l’accumulation de profits comme moteur de l’économie. Selon la thèse que Varoufakis met de l’avant, ces deux piliers seraient toutefois en train d’être supplantés dans le cadre de ce qu’il appelle le « technoféodalisme », un nouveau système économique et social basé sur la location de terres numériques et sur l’extraction de rentes qui en découle.
Capital traditionnel contre capital infonuagique
Le féodalisme est le système économique et social qui a prévalu durant le Moyen Âge. Dans le cadre de ce régime, les seigneurs concédaient des fiefs, c’est-à-dire des terres qu’ils possédaient, à leurs vassaux en contrepartie d’une rente foncière et à leurs serfs en contrepartie d’une rente agricole.
Pour comprendre la transition du féodalisme au capitalisme, il est nécessaire d’examiner le rôle déterminant qu’ont joué les enclosures, soit le processus qui a mis fin à la propriété seigneuriale de la terre à travers l’érection de clôtures. Se développant vers le 18e siècle, ces enclosures ont eu pour effet de remplacer la terre comme source de l’activité économique et de l’extraction de valeur par le capital. Ce capital dit traditionnel est défini par Varoufakis comme un moyen de production automatisé comme la machine à vapeur, les réseaux électriques ou les robots industriels, qu’un propriétaire capitaliste achète afin de générer des profits.
L’auteur soutient qu’on assiste présentement à l’avènement d’un nouveau type de capital fondamentalement différent de son prédécesseur, le capital infonuagique (cloud capital). En effet, celui-ci constitue un moyen de coordination automatisé, soit des algorithmes qui déterminent les interactions entre les producteurs et les consommateurs se rencontrant sur des plateformes numériques. Le détenteur de capital infonuagique, le seigneur des nuages (cloudalist), développe ainsi l’espace infonuagique dans le but de le louer à des utilisateurs et de générer une rente. L’exemple de la multinationale américaine Amazon illustre bien cette dynamique. Sur son site web Amazon.com, la quasi-totalité des produits qui y sont vendus n’est pas produite par elle, mais bien par des entreprises (vassal capitalists) qui louent un espace sur son nuage en échange d’une rente avoisinant les 40% de la vente du produit.
Par conséquent, cette transformation a pour effet de replacer la terre — ou le capital infonuagique en l’occurrence — au centre des dynamiques économiques et sociales au détriment du capital traditionnel. Mais reste à savoir d’où provient la valeur de ce capital infonuagique.
Salariés contre serfs numériques
Les enclosures ont eu comme effet de commodifier non seulement la terre, mais aussi le travail en transformant les serfs en travailleuses et travailleurs salariés. Les salaires constituent donc une caractéristique centrale des relations sociales capitalistes. En effet, environ 80% des revenus des grands conglomérats comme General Electric, Exxon Mobil ou General Motors servent à payer des salaires. Or, pour les Big Tech (Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft), cette proportion est infime, moins de 1% de leurs revenus étant utilisés pour payer des salaires.
L’auteur attribue cette différence au fait que le capital infonuagique est constitué à partir de la rente qui est extraite du travail gratuit effectué par les milliards d’utilisateurs et d’utilisatrices à travers le monde pour ces Big Tech et qui consiste à téléverser du contenu et à partager leurs données (data). En effet, chaque publication sur Facebook, chaque produit sur Amazon, chaque recherche sur Google, ou même chaque mouvement sur Google Maps enrichit le capital infonuagique des Big Tech. Ainsi, cette dynamique placerait les usagers et les usagères des plateformes dans une condition de serf numérique (cloud serfs) similaire à celle des serfs non rémunérés du Moyen Âge.
En conclusion, bien qu’elle soit contestée par certains (voir cet article et celui-ci), l’analyse de Varoufakis nous offre une nouvelle interprétation de la source de la richesse et du pouvoir au 21e siècle et met en lumière la nécessité de repenser notre système économique et social pour faire face aux défis .
4 comments
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Révolutionnaire mais utopique, à moins quelle soient expliquées les stratégies pour détrôner les Bezos, Jack Ma, Zuckerman de ce monde. Ou je n’ai pas compris l’enjeu.
Au lieu d’écrire : …en commodifiant la terre et le travail une meilleure traduction : marchandisation de la terre et du travail. Avec le capitalisme tout devient marchandise.
La Semaine de la Dignité des Personne Assistées Sociales du Québec existe depuis des années et elle n’attire l’attention que d’une minorité engagée chaque année. Elle mériterait qu’on lui consacre du temps de manière qu’elle joue son rôle de faire réfléchir la population sur le sort qui peut guetter n’importe qui voit sa vie perturbée par un malheur quelconque ou un échec non-appréhendé.
Je vous prie de prendre au sérieux ma requête pour que soit entendu la voix des plus pauvres et que, si les moyens leur manquent, ils aient auprès du public québécois des défenseurs habiles de leur dignité.
Guy Roy
103-4 de Bienville, Lévis, QC G6V 0K5 Tél. : (418) 834-4344
C’est malheureusement une mauvaise traduction !