Un budget peut-il être apolitique?
3 septembre 2018
Notre question : existe-t-il un déséquilibre entre les revenus réels de l’État et les promesses des partis politiques depuis le début de la campagne électorale ?
Une analyse conventionnelle des promesses électorales consistera d’abord à examiner le cadre financier de chacun des partis.
À l’exercice rudimentaire visant à déterminer si les chiffres sont crédibles et si les colonnes des revenus et des dépenses balancent, on pourra ensuite ajouter – tel que recommandé par l’Association des économistes québécois – un deuxième niveau d’analyse, plus périlleux, où l’on cherchera à mesurer quels effets auront les différentes mesures budgétaires proposées sur le comportement des agents socioéconomiques (ex. : les consommateurs, les ménages, les entreprises, les investisseurs, etc.).
Mais au moment où certains s’effraient au nom des « contribuables » qui devront « payer la note » de « toutes ces promesses », il ne faut jamais perdre de vue qu’un budget émane de décisions politiques guidées par des valeurs. Derrière leurs choix budgétaires, les différents partis défendent des visions distinctes de ce qu’est l’économie. Et ce point de vue, en fin de compte, favorise l’intérêt de certains secteurs de la population aux dépens d’autres.
Ainsi, le budget d’un gouvernement n’est certainement pas un mécanisme apolitique sur lequel les politiciens n’auraient aucune emprise, comme le premier ministre Philippe Couillard l’avait laissé entendre en expliquant béatement qu’il était contrôlé par des agences de notation étrangères.
Et alors, est-ce que les partis ont « les moyens de dépenser » à la hauteur des ambitions qu’ils affichent ? Il appert que les quatre formations politiques représentées à l’Assemblée nationale formulent des propositions qui suggèrent d’infléchir des politiques plutôt que de modifier radicalement notre rapport aux finances publiques.
Tous les partis agissent donc à l’intérieur du cadre actuel des finances publiques hérité de plusieurs décennies de néolibéralisme, où l’on cherche à dépolitiser les choix politiques en les soumettant à des objectifs techniques, tels que l’équilibre budgétaire.
Prenons le cadre financier le plus ambitieux, celui de Québec solidaire (QS). Si on augmentait effectivement le budget québécois de 13 milliards comme le propose ce parti, on recouvrerait simplement la marge de manœuvre offerte par le niveau d’impôt total payé au Québec au début des années 2000. QS faisait par ailleurs remarquer que cette hausse du budget (+10 %) serait bien inférieure à celle qu’ont entraîné les politiques budgétaires (+100 %) du parti libéral de Robert Bourassa en trois ans à peine (1970-1973). Il semble donc que ce ne soit pas la capacité « fiscale » qui s’est érodée au fil du temps, mais bien davantage la capacité de reconnaître que les grands projets collectifs justifient aisément un accroissement massif des dépenses si celles-ci servent le bien commun.
Le bien commun, c’est justement ce dont le candidat de la Coalition avenir Québec (CAQ) et ancien économiste de l’Institut économique de Montréal (IEDM), Youri Chassin, a nié l’existence lorsqu’il fit son entrée en politique en avril dernier. Il faisait ainsi écho aux idées libertariennes de l’IEDM. Mais soyons bons joueurs : même si nos idées à l’IRIS sont indissociables de la quête du bien commun et donc diamétralement et systématiquement opposées à celles de M. Chassin, notre ancien vis-à-vis soulève bel et bien des questions politiques lorsqu’il aborde les enjeux de la gestion de l’offre, du nationalisme économique ou de la place du secteur privé en santé. Elles ont le mérite de nous faire réfléchir à la place que l’on souhaite accorder à l’État dans la société et de ne pas nous enfermer dans un débat comptable (comme a pour effet en revanche l’abrutissant compteur de la dette de l’IEDM).
Cette semaine, le chef de la CAQ François Legault affirmait que M. Chassin avait « révisé » chacune de ses positions sur les enjeux nommés ci-haut. Comme quoi M. Legault serait plus néolibéral que libertarien : il ne souhaite pas philosopher sur le rôle de l’État, mais s’évertue à éclipser la teneur politique de ses propositions. Il veut simplement se présenter comme un bon gestionnaire et conduire l’État de façon à le mettre au service des élites d’affaires déjà bien installées et, en ce sens, il s’inscrit en continuité avec le gouvernement libéral de Philippe Couillard.
Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 3 septembre 2018 de La Presse