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Travailleurs agricoles saisonniers: Ottawa a les moyens de faire mieux

8 juin 2021

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5min

  • Julia Posca

On apprenait la semaine dernière grâce à un reportage de Radio-Canada les conditions lamentables dans lesquelles travaillent des employés de l’entreprise de production maraîchère Demers. La journaliste Natacha Lavigne, qui a visité les lieux servant de résidence aux travailleurs étrangers temporaires (TET), a pu constater l’insalubrité et la promiscuité qui y régnaient. Dans les jours suivant la diffusion de ce reportage, le PDG des Productions horticoles Demers a réagi dans une lettre en s’excusant auprès des travailleurs de son entreprise et en promettant que la situation allait être corrigée.

Par le passé, des travailleurs étrangers temporaires ainsi que des organismes de défense des droits ont à de nombreuses reprises dénoncé les piètres conditions que ces salariés doivent endurer dans des entreprises agricoles du Québec, une situation qui dépasse la question du logement. Il est ainsi permis de croire que le cas des serres Demers, loin de constituer un cas isolé qui s’expliquerait par la négligence ou la cruauté de l’employeur, est le reflet d’un problème structurel.

En 2016, le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées s’est penché sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Le rapport produit à l’époque nous donne un aperçu des lacunes de ce programme et permet d’envisager certaines pistes de solution pour mieux protéger les travailleurs migrants.

Un programme aux nombreux défauts

Rappelons que le PTET a été créé en 1973 par le gouvernement fédéral afin de permettre aux employeurs de combler temporairement des besoins en main-d’œuvre en contexte de rareté. Afin d’en bénéficier, ils doivent effectuer une étude d’impact du marché du travail pour déterminer que les postes qu’ils ont à pourvoir ne peuvent être occupés par un·e citoyen·ne canadien·ne ou un·e résident·e permanent·e déjà au pays. Un des quatre volets de ce programme vise spécifiquement la main-d’œuvre agricole et comprend le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS).

Si les employeurs venus témoigner devant le comité en 2016 ont vanté les mérites (et la nécessité) du volet agricole du programme, les travailleurs migrants et les représentants de groupes de défense et d’organisations syndicales qui ont pris la parole dans le cadre de cet exercice « ont offert une perspective différente du PTAS. Selon eux, certaines caractéristiques du programme placent les travailleurs étrangers temporaires dans une situation de vulnérabilité », apprend-on dans le rapport.

Parmi les aspects négatifs du PTAS : le pouvoir dont dispose les employeurs de rapatrier vers leur pays d’origine les travailleurs pour toute raison valable (par exemple lorsque des employés se blessent ou tombent malades) et celui de rappeler des travailleurs spécifiques l’année suivante; le permis de travail propre à un employeur requis pour travailler (permis fermé), qui empêche les participants au programme de chercher du travail dans une autre entreprise et qui est propice à la violation de leurs droits; l’impossibilité pour les TET de toucher des prestations d’assurance-emploi, bien qu’ils contribuent au programme (un droit qui leur a été retiré en 2012); la difficulté pour les travailleurs de formuler des plaintes à l’endroit de leur employeur, alors que la surveillance de ces derniers et la conformité aux règles du PTET en dépendent.

Des solutions déjà identifiées

À la lumière des témoignages entendus et des mémoires reçus, le comité a formulé plusieurs recommandations, parmi lesquelles se trouve l’abolition de l’exigence d’obtention d’un permis de travail associé à un employeur donné; l’octroi de visas de travail pour entrées multiples aux TET occupant un emploi saisonnier; l’étude par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada des « voies d’accès actuelles à la résidence permanente pour l’ensemble des travailleurs étrangers temporaires »; l’étude des mécanismes de surveillance des entreprises, l’abandon du modèle basé sur les plaintes et la hausse de la fréquence des inspections des lieux de travail; l’amélioration des informations transmises aux travailleurs quant à leurs droits et responsabilités dans le cadre du PTET.

Notons que le Parti conservateur (PC) et le Nouveau parti démocratique (NPD) avaient exprimé une opinion dissidente à l’égard du rapport du Comité. Les préoccupations du PC quant au secteur agricole visaient essentiellement les règles auxquelles les entreprises doivent se plier pour se prévaloir du programme. Quant au NPD, il avait jugé l’étude du Comité « totalement inadéquate » et affirmé « que les recommandations du Comité [étaient] insuffisantes pour mettre fin aux abus. » Le parti suggérait notamment d’augmenter les ressources versées aux organismes qui viennent en aide aux travailleuses et aux travailleurs migrants, d’améliorer les lois du travail pour qu’elles permettent leur syndicalisation (un droit que certaines provinces leur ont accordé depuis), de leur permettre d’être soignés au Canada lorsqu’un accident de travail survient, de restaurer l’accès aux prestations d’assurance-emploi et de leur donner accès à la résidence permanente.

En somme, le rapport de 2016 met en lumière le fait que la vulnérabilité des travailleurs étrangers temporaires découle des paramètres mêmes du PTET, un programme qui a institutionnalisé la subordination des travailleurs migrants à l’arbitraire des entreprises. La protection des milliers de travailleurs migrants dont dépend le secteur agricole canadien est donc entre les mains du gouvernement fédéral, qui doit réformer le régime actuel afin de permettre aux travailleurs étrangers temporaires de jouir des mêmes droits que les autres salarié·e·s du pays.

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