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Violences à caractère sexuel au travail : une protection mineure accordée aux jeunes

8 mars 2024

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4min

  • DM
    Djamila Mones

Le projet de loi n°42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, en voie d’être adopté par l’Assemblée nationale, ramène discrètement la protection des mineures au travail sur le devant de la scène.

Ce projet de loi fait suite au rapport « Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail : se donner les moyens pour agir », remis en mars 2023 au ministère du Travail. Dans leur rapport, les expertes identifiaient 42 recommandations pour une réforme législative visant l’adaptation du droit du travail aux particularités du harcèlement sexuel et des agressions à caractère sexuel et pour mieux répondre aux besoins des victimes. De nombreux organismes, OBNL et syndicats les ont reprises dans leurs mémoires.

Le projet de loi initial ne le faisait pas. Dépendamment de l’issue finale du texte, le gouvernement pourrait (encore) ne pas se montrer à la hauteur de cet enjeu. Si c’était le cas, la protection des mineures au travail contre les violences et agressions à caractère sexuel (VACS) resterait fantomatique.

En pratique, le premier élément qui fragilise actuellement les mineures tient au fait que le Québec est la seule province au pays à n’offrir aucune forme de soutien ou représentation juridique pour les personnes non syndiquées, ce qui est souvent le cas des personnes mineures. Isolée, la victime se trouve responsable de défendre sa demande d’indemnisation, auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) voire des tribunaux, contre son employeur qui aura droit d’accès à son dossier médical (et qui pourra être l’agresseur lui-même). Cela est d’autant plus problématique que les mineures peuvent être invitées à entrer en médiation, l’entente qui en résulterait conduisant au retrait de leur plainte. 

Ensuite, l’administration de la preuve de la lésion professionnelle des suites de l’agression repose encore lourdement sur la victime. Le système actuel de reconnaissance de la lésion en lien avec une VACS, à la CNESST, exige de prouver que la victime n’a pas consenti : la CNESST cherchera, par exemple, à déterminer si la victime a demandé à l’employeur de faire cesser le comportement problématique. Or, la Cour suprême du Canada s’est déjà prononcée sur ce que le consentement en matière sexuelle recouvrait : le silence, la passivité ou le comportement ambigu d’une personne ne valent pas consentement; l’absence de résistance ne peut équivaloir à consentement.

Troisièmement, la loi actuelle limite sévèrement et de manière parfaitement discriminatoire l’indemnisation des personnes mineures dans le cadre d’une lésion professionnelle liée à une violence à caractère sexuel. En l’état, les mineures ne peuvent prétendre qu’à une indemnité de remplacement de revenu fixe : 126$ par semaine, en 2024. Comme l’ont souligné plusieurs organismes auditionnés, ce montant fixe ne correspond souvent pas à la perte de capacité de gain réelle des victimes, notamment celles qui ne sont pas assujetties à l’obligation de fréquentation scolaire ou qui travaillent en dehors de l’année scolaire.  

Concrètement, cela veut dire qu’une personne mineure qui est victime d’une VACS au travail se retrouve démunie : en amont si la prévention est liminaire (ce sera le cas dans les milieux non syndiqués), en aval en l’absence d’aide juridique gratuite, d’accueil de sa parole et d’une indemnisation pleine pour couvrir ses pertes de revenus. Cela sans compter les dommages collatéraux, notamment psychologiques.

Au Québec, on peut légalement travailler à partir de 14 ans, sauf exception. De fait, le travail fait partie de la vie d’une partie substantielle des jeunes de 13 ans: environ 60 % d’entre eux en 2019 et un tiers des enfants de cet âge (35,5 %) occupait un emploi formel pour un employeur ou pour l’entreprise familiale pendant l’année scolaire. En 2023, 50% des jeunes de 15 à 19 ans alliaient travail et études.

Est-il raisonnable que les mineures soient si peu protégées contre les VACS, dont on sait qu’elles concernent au bas mot un quart des femmes au Québec – et que ce sont les jeunes femmes de moins de 34 ans qui demeurent parmi les groupes les plus vulnérables ?

En 2020, 25% des femmes au Québec ont déclaré avoir subi des comportements sexualisés inappropriés et discriminatoires en milieu de travail au cours des 12 mois précédents. Pourtant, ces agressions restaient presque invisibles : au Canada en 2020, toutes provinces confondues, les victimes déclaraient ne pas avoir déposé de plainte ou de grief dans plus de 90% des cas…

Les VACS sont un problème réel pour les mineures au travail, qui sont de plus en plus nombreuses, mais ne bénéficient pas de la protection juridique qui leur est due. L’équité entre les victimes de violences à caractère sexuel justifierait d’étoffer les droits des mineures, en amont et en aval lorsque le mal est déjà fait. 

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