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Un mois des Noirs au Québec, mais pourquoi?

26 février 2014

  • FF
    Francis Fortier

Février, nous le connaissons comme le mois le plus court, celui de la St-Valentin et, cette année, celui des Olympiques. Nous oublions par contre que c’est aussi le mois de l’histoire des Noirs. La raison d’être de ce mois est entre autres de préserver le devoir de mémoire du passé et de célébrer l’apport de la culture afro-américaine à nos sociétés. Mais pourquoi est-ce pertinent de souligner l’histoire des Noirs au Québec et en 2014? Nous ne sommes pas les États-Unis avec ses grandes plantations de coton et l’héritage esclavagiste qui en découle. Nous sommes une province qui donne une chance égale à tous et toutes peu importe leur origine. Et si nous prenions le temps, aux côtés de nos concitoyen.ne.s noir.e.s qui commémorent la mémoire de leur lutte et de leur héritage culturel, de voir quelle place le Québec actuel et passé leur offre? Et si nous n’étions pas si différents des États-Unis, mais juste un peu moins pire?

Il est vrai que le Québec et même le Canada n’ont pas vécu une période esclavagiste noire aussi importante que celle qu’ont connue les États-Unis. Mais il ne faut pas croire que nous sommes exempts de cette pratique. Après tout, le Québec s’est formé, tout comme les États-Unis, sur les bases coloniales des empires français et anglais. Frank Mackey nous rappelle d’ailleurs, dans son livre : Esclavage et les noirs à Montréal : 1760-1840, que l’esclavagisme noir (sans oublier celui des autochtones) a existé ici aussi. C’était certes de moindre envergure que chez nos voisins du sud, et bien qu’il n’y avait pas de loi permettant l’esclavagisme, celui-ci existait dans la pratique. C’est tout simplement qu’une partie de notre histoire s’est également construite sur une conception erronée d’une supériorité des « blancs européens » sur les « autres », peu importe qu’ils soient noirs, chinois ou autochtones.

Mais le passé c’est le passé, le Québec est maintenant une société ouverte aux différences et à l’intégration, donc un tel mois n’est peut-être pas si nécessaire. Il est vrai que juridiquement, nous sommes tous égaux devant la loi. Mais comme pour l’esclavagisme du XIXe siècle, parfois la pratique va à l’encontre du juridique. Le Québec n’est peut-être pas raciste, mais le traitement de ses citoyen.ne.s n’est pas nécessairement homogène. Deux domaines sont principalement soumis à cette logique inégalitaire : le profilage racial des corps policiers et le marché du travail.

Le profilage racial des policiers n’est pas la manifestation de cas isolés, de certains policiers. Un rapport produit en 2010 par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) faisait le point sur le profilage ethnique. Le rapport a été considéré comme « alarmant » par le service lui-même. Dans des quartiers dit sensibles du nord de la ville, 40% des jeunes hommes noirs ont été soumis à un contrôle d’identité, contre seulement 6% pour les Blancs. En plus, ceci s’ajoute au fait qu’une augmentation de 126% des contrôles d’identité sur des Noirs a été observée.

Il est souvent avancé que l’intégration sociale passe par l’intégration sur le marché du travail. Le taux de chômage chez les minorités visibles en général est beaucoup plus élevé que dans l’ensemble de la population. C’est donc le cas chez les Noirs. Alors que le taux de chômage au Québec est d’environ 7,7%, chez ce groupe il est à 18%. Bien que la question de la reconnaissance des diplômes soit évoquée pour expliquer le phénomène, nous parlons ici d’un groupe qui est présent au Québec depuis plus qu’une génération, limitant la validité de l’explication de la reconnaissance des études faites dans le pays d’origine. Le problème est plus large, comme en témoigne l’histoire du  journaliste du Journal de Montréal qui avait, il y a quelques années, décidé de vivre pendant sept jours dans la peau d’un Noir. L’une des conclusions de cette enquête de terrain, est qu’il existe une forme de racisme latent au Québec, et ce, même en 2013. Ce qui expliquerait en plus grande partie les difficultés spécifiques rencontrées par les Noirs sur le marché du travail.

Il est vrai que nous n’avons pas fait de l’esclavagisme le fer de lance de notre économie comme c’est le cas aux États-Unis. Il est tout aussi vrai que juridiquement nous sommes tous et toutes égales, mais dans la pratique, nous ne sommes pas totalement émancipés d’un certain racisme passif, et c’est la raison principale pour laquelle nous devons maintenir le mois des Noirs, au moins pour que nous puissions réfléchir sur notre société québécoise.

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