Syndicalisme | Les lois « Right-to-Work » ont-elles un effet positif sur l’économie et le travail ?
19 Décembre 2025
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Durant la dernière année, le gouvernement de François Legault a multiplié les mesures contraignantes à l’encontre du syndicalisme au Québec. La proximité de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec le monde des affaires peut expliquer son biais défavorable aux organisations qui défendent l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Il n’en demeure pas moins que plusieurs des politiques antisyndicales – et antidémocratiques – mises de l’avant par le gouvernement sont fondées sur une analyse erronée du rôle des syndicats dans la société québécoise et des conséquences de leur présence. Dans cette série d’articles, l’IRIS déboulonne les mythes sur le syndicalisme et met en relief la grande diversité des enjeux liés à l’action de ces regroupements de salarié·e·s.
Les lois Right-to-Work favorisent-elles la santé économique des États qui les ont adoptées? Pour les partisans de ce type d’approche, qui luttent contre le syndicalisme, elles auraient un effet bénéfique puisqu’elles promettent plus de flexibilité et de compétitivité. Le nom de ces lois, qui se traduirait par « le droit au travail », leur donne par ailleurs un vernis de vertu. Il est donc pertinent de voir si la condition salariale des travailleurs et des travailleuses est meilleure dans les États ayant une faible concentration syndicale.
Divulgâcheur : au nom de la liberté individuelle, les lois Right-to-Work plombent en fait les salaires et la consommation, en plus de miner la sécurité au travail et le tissu économique tout en contribuant à dégrader les conditions de travail déjà précaires des salarié·e·s pauvres. En somme, comme nous le verrons dans ce texte, ces lois ont des conséquences macroéconomiques néfastes, notamment en termes de stimulation de la demande et d’inégalités économiques. Il est par conséquent inquiétant de constater que le gouvernement québécois s’inspire de ces législations antisyndicales étasuniennes au moment de déposer des projets de loi tels que le PL 3.
Des lois issues de la paranoïa
Nées dans les années 1940 au moment où sévissait aux États-Unis une véritable paranoïa anticommuniste, les lois Right-to-Work (RTW) s’appuient sur un discours qui encense la compétitivité et la liberté individuelle. Elles interdisent aux syndicats d’exiger une cotisation obligatoire aux salarié·e·s qu’ils représentent. Ce faisant elles privent les organisations syndicales de ressources vitales puisque les travailleuses et les travailleurs sont désormais en mesure de profiter des protections et hausses salariales négociées collectivement sans avoir à y contribuer.
En apparence, il s’agit d’une simple mesure de liberté contractuelle. En réalité, ce mécanisme fragilise les outils sur lesquels repose le mouvement ouvrier puisqu’elles créent un incitatif au désengagement collectif. L’effet négatif sur le taux de syndicalisation est instantané dans les juridictions qui adoptent ce type de loi. Aux États-Unis, en 2022, le taux de syndicalisation moyen dans les États sans lois RTW était de 14,6% alors que celui dans les États avec lois RTW était de 5,6%.
Quand le taux de syndicalisation recule, les salaires augmentent moins vite
L’influence du syndicalisme sur les salaires est majeure. Les États américains où la densité syndicale est forte affichent un salaire minimum moyen 40 % plus élevé que ceux où elle est faible. Ce n’est pas une coïncidence : la présence syndicale exerce une pression à la hausse sur les bas salaires, non seulement par la négociation collective, mais aussi par son effet d’entraînement sur les politiques publiques et la fixation du salaire minimum. C’est ce que montre le graphique 1.
Dans ces États, les syndicats jouent un rôle structurant pour soutenir le revenu disponible des ménages, la consommation et, ultimement, la stabilité macroéconomique. À l’inverse, dans les États soumis aux lois Right-to-Work, la faiblesse syndicale tire vers le bas l’ensemble de l’échelle salariale, contribuant à une économie plus inégalitaire et plus fragile.
Lorsqu’on scrute davantage les données du Bureau of Labor Statistics des États-Unis, on s’aperçoit que pour l’ensemble de la population le salaire moyen de l’heure est plus faible (32,31$/heure) pour les états RTW que dans les autres états du pays (36,78$/heure). On constate aussi que les gens travaillent en moyenne davantage (34,5 heures/semaine) dans les états RTW que dans les autres états (33,7 heures/semaine) mais que le salaire annuel moyen est néanmoins inférieur (58 223 $) dans les états RTW que dans les autres (64 711$).
Quand le taux de syndicalisation recule, les inégalités augmentent
En affaiblissant la négociation collective, les politiques Right-to-Work compriment d’une part les salaires et contribuent d’autre part à la concentration des revenus chez les plus riches. Comme le montre de manière éloquente le graphique 2, à mesure que le taux de syndicalisation recule, la part du revenu captée par les 10 % les plus riches augmente. Autrement dit, le recul des syndicats favorise la redirection de la richesse vers le portefeuille de ceux qui sont déjà les plus riches.
Des lois qui tuent
Les conséquences de l’adoption de lois de type Right-to-Work ne se limitent pas aux revenus. Elles touchent aussi la sécurité et la santé des travailleuses et des travailleurs. Les données montrent que le taux de blessures mortelles est près de 40 % plus élevé dans les États Right-to-Work, comme on peut le constater dans les tableaux 1 et 2.
Ceci s’explique par le fait que les organisations syndicales, qui agissent à titre de contre-pouvoir, sont en mesure de contraindre les entreprises à mettre en place des normes de sécurité, d’identifier et de signaler les risques dans les milieux de travail et de former les employé·e·s à la prévention. Lorsque ce contre-pouvoir s’effrite, les milieux de travail deviennent plus dangereux. En d’autres termes, affaiblir les syndicats ne fait pas que réduire les salaires : cela cause des blessures et cela coûte carrément des vies.
En somme, les lois RTW ne créent ni prospérité ni liberté : elles institutionnalisent un modèle économique fondé sur la compression des salaires et la fragilisation des protections collectives. Elles favorisent autrement dit l’enrichissement des plus fortunés au détriment de la sécurité des salarié·e·s et du bien-être de la population.