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Syndicalisme | Le Québec : une exception syndicale?

21 novembre 2025

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Durant la dernière année, le gouvernement de François Legault a multiplié les mesures contraignantes à l’encontre du syndicalisme au Québec. La proximité de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec le monde des affaires peut expliquer son biais défavorable aux organisations qui défendent l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Il n’en demeure pas moins que plusieurs des politiques antisyndicales – et antidémocratiques – mises de l’avant par le gouvernement sont fondées sur une analyse erronée du rôle des syndicats dans la société québécoise et des conséquences de leur présence. Dans cette série d’articles, l’IRIS déboulonne les mythes sur le syndicalisme et met en relief la grande diversité des enjeux liés à l’action de ces regroupements de salarié·e·s.

Par les temps qui courent, on entend beaucoup dire que les syndicats prendraient trop de place au Québec, surtout quand ceux-ci déclenchent des grèves qui dérangent notre quotidien. À écouter certains médias, on a l’impression que le Québec serait une exception et que les syndicats seraient plus présents et plus puissants ici qu’ailleurs. Voyons, en comparaison avec le reste du Canada et les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), si notre situation est si exceptionnelle[1].

Le graphique 1 présente l’évolution du taux de syndicalisation au Québec depuis 1997. Sur la période de trente ans, il connaît une tendance légèrement à la baisse jusqu’en 2018 alors qu’il semble se ressaisir. Globalement, les fluctuations ne sont surtout pas très grandes alors que le taux de syndicalisation varie entre 37,5% et 35,5% pour l’ensemble de la période.

À 36 % de sa main-d’œuvre syndiquée en 2024, est-ce que le Québec constitue une exception au Canada ? Le graphique 2 présente le taux de syndicalisation par province.

On constate que les provinces se divisent en quatre groupes. D’abord, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador sont les deux provinces canadiennes les plus syndiquées, avec un taux de syndicalisation autour de 36-37 %. Suivent le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan, où le taux de syndicalisation se situent à environ 30-31 %. Le troisième groupe, qui a un taux de syndicalisation qui oscille autour de 29 %, est composé de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de la Colombie-Britannique. Enfin, le groupe des moins syndiqués, l’Alberta et l’Ontario, ont moins du quart de leur force de travail qui est syndiqué.

Le Québec est bien parmi les provinces les plus syndiquées, mais, contrairement à ce qu’on croit habituellement, il n’est pas la première puisque Terre-Neuve a un taux de syndicalisation plus élevé.

D’aucuns nous diront que le taux de syndicalisation plus élevé au Québec que dans la plupart des provinces canadiennes est causé par le fait que le gouvernement a plus d’employé·e·s au Québec qu’ailleurs et que le secteur public est fortement syndiqué. Une étude du gouvernement du Québec nous montre que cette hypothèse est fausse. En effet, si le Québec a bel et bien un peu plus d’employé·e·s dans le secteur public, la différence avec le reste du pays est marginale. En 2022, au Québec, 26,5% de la force de travail était dans le secteur public, alors qu’en Ontario cette proportion était de 23% et que, dans le reste du Canada, elle était de 25,4%. Ce qui explique la différence, c’est qu’au public comme au privé, les taux de syndicalisation au Québec sont d’environ 10% plus élevés que dans le reste du Canada.

Si le Québec a, en effet, un taux de syndicalisation relativement élevé dans le contexte nord-américain (bien que, en contexte canadien, ce statut soit moins exceptionnel qu’on le dit), qu’en est-il des comparaisons internationales ?

La mesure des taux de syndicalisation à travers le monde est particulièrement complexe, parce que le droit du travail diffère d’un pays à l’autre. Par exemple, la France n’apparaît pas dans ces données, mais si elle y était, elle afficherait un taux de syndicalisation très bas, autour de 10%, même si 98% des travailleurs et des travailleuses sont couvert·e·s par des conventions collectives de secteurs (c’est-à-dire qui s’appliquent à l’ensemble de la main-d’œuvre dans un secteur, qu’elle soit syndiquée ou non), ce qui donne un pouvoir important aux syndicats. Bref, il faut prendre ces comparaisons avec précaution.

Il n’en demeure pas moins que le graphique 3 nous donne une bonne idée de la situation générale. Il y a un groupe de pays très peu syndiqués, avec 15% et moins de taux de syndicalisation, et dans lequel on retrouve les États-Unis. Ensuite, un groupe autour de 20% de taux de syndicalisation, souvent concentrés dans le secteur public : la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Autriche. L’Italie et le Canada font un peu bande à part avec un taux autour de 30%, juste avant la haute marche qui mène aux pays avec une majorité de travailleurs et de travailleuses syndiqué·e·s (la Belgique et l’ensemble des pays scandinaves). Le Québec se trouverait donc quelque part entre l’Italie et la Belgique, mais plus proche de la première que de la dernière.

Que peut-on en conclure? D’abord, il est vrai de dire que, face aux États-Unis et à certaines provinces canadiennes, le taux de syndicalisation du Québec est plus élevé. Cependant, même dans ce contexte, une province a un taux de syndicalisation supérieur à celui du Québec, Terre-Neuve, tandis que trois autres provinces ont des taux pas très éloignés de celui du Québec. Il faut aussi rappeler que, dans les pays membres de l’OCDE, ce sont plutôt les États-Unis qui sont une exception avec un taux de syndicalisation particulièrement bas.

Justement, quand on élargit la comparaison, on se rend compte que le Québec est à l’intérieur d’un petit groupe d’États où les syndicats jouent un rôle important dans la société, sans qu’on leur reconnaisse une place aussi grande que dans les pays où la majorité des travailleurs et des travailleuses sont syndiqué·e·s. Donc, le taux de syndicalisation du Québec n’est pas si exceptionnel, ni au Canada ni dans le reste du monde.

Bien sûr, savoir s’il y a trop ou trop peu de syndiqué·e·s ou si les syndicats « prennent trop de place » au Québec est une question subjective. Pour certaines personnes, il y aura toujours « trop » de syndicats, mais ça, c’est une autre question…


[1] Cet article est inspiré de cette brochure: Philippe HURTEAU, Les syndicats nuisent-ils au Québec?, Montréal, IRIS, 2014.

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