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La redistribution au sein du régime québécois d’assurance parentale

7 février 2025

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8min


Le Québec s’enorgueillit de ses programmes sociaux qui visent à protéger la population de différents chocs de revenu et à redistribuer la richesse au sein de la société. En revanche, lorsqu’on étudie en profondeur certains de ces programmes, on constate que certains de leurs paramètres ne cadrent pas parfaitement avec cette mission sociale. Cet article porte sur les paramètres d’un de ces programmes : le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Nous présenterons d’abord certaines de ses caractéristiques importantes pour ensuite discuter en quoi celles-ci pourraient mener à une redistribution inégale de la richesse.

Depuis le 1er janvier 2006, le RQAP permet aux travailleurs et aux travailleuses québécois·es d’obtenir des prestations lors de la naissance ou l’adoption d’un enfant. Ces prestations sont calculées à partir du salaire moyen lors des 26 semaines précédant le congé. Dans le régime de base, la mère a droit à 70% de son salaire assurable durant 18 semaines et le père à 70% de son revenu assurable durant 5 semaines. Un congé de 32 semaines peut être partagé entre le père et la mère à raison de sept semaines à 70% et 25 semaines à 55%. Si les deux parents ont pris au moins huit semaines du congé chacun, ils peuvent se partager un supplément de quatre semaines de prestations supplémentaires à un taux de remplacement de 55% (RQAP, 2024). Dans le cadre du régime particulier, les prestations sont bonifiées, mais la durée du congé est raccourcie. Ces prestations sont financées à partir de cotisations obligatoires qui correspondent à 0,494% et 0,692% du salaire assurable pour l’employé et l’employeur, respectivement.

Tout comme l’assurance-emploi, le RQAP atténue la perte de salaire en la remplaçant par une prestation calculée à partir du salaire assurable de l’individu. Ainsi, une personne qui gagne un salaire assurable plus élevé obtient une prestation plus importante pour subvenir à ses dépenses qui sont probablement aussi plus élevées. En revanche, contrairement à l’assurance-emploi qui protège contre un choc externe à l’individu (un licenciement), le RQAP atténue une diminution de salaire causée par une décision individuelle. En effet, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA, 2022, p.25) a déterminé que seulement 20 naissances sur 1000 étaient non planifiées au Canada. Ainsi, l’utilisation d’une logique d’assurance qui atténue un choc est erronée dans le contexte du congé de maternité/paternité. En réalité, le RQAP offre plutôt une aide financière aux individus qui décident de devenir parents pour qu’ils se consacrent à cette nouvelle tâche durant les mois entourant l’arrivée de leur enfant.

Si on s’éloigne d’une logique d’assurance pour se rapprocher d’une perspective d’aide, on perçoit le problème différemment. En effet, comme le montant de l’aide dépend du salaire antérieur du prestataire, elle est offerte de manière inégale. Contrairement aux allocations familiales qui offrent des prestations plus importantes aux ménages à faibles revenus, le RQAP leur offre moins d’aide.

On pourrait facilement contre-argumenter que, contrairement aux allocations familiales, le RQAP est financé à partir de contributions obligatoires. Ainsi, les individus ayant des revenus plus élevés ont versé des montants plus élevés au RQAP et sont donc en droit d’obtenir des prestations plus élevées. Dans un sens, chaque individu aurait une sorte de compte de banque auprès du RQAP. Il serait juste que ceux et celles qui y déposeront plus d’argent durant leur vie active puissent en retirer plus lorsqu’ils ou elles prennent un congé de maternité ou paternité.

Même si cette métaphore actuarielle est plutôt jolie, elle ne correspond pas parfaitement à la réalité. En effet, une proportion importante des prestations ne provient pas des contributions du prestataire durant sa vie active, mais vient plutôt des autres contribuables qui ne recevront jamais de prestation. Une simulation permet de bien comprendre cette réalité. À des fins de simplification, supposons qu’il n’y a pas d’inflation, qu’il n’y a aucune augmentation salariale et que le taux d’escompte est zéro[1]. Supposons de plus que l’individu gagne 50 000$/année de l’âge de 21 à 65 ans sauf lors de ses deux congés de maternité. Au total, cette personne aura contribué directement (contribution de l’employé) et indirectement (contribution de l’employeur) 25 499$[2] au RQAP durant sa carrière. Si elle prend deux congés de 45 semaines (30 semaines à 70% et 15 semaines à 55%), elle obtiendra une prestation de 28 125$/année, pour un total de 56 250$ durant sa carrière. En somme, la somme de ses contributions correspond à 45% de la somme de ses prestations durant ses deux congés de maternité. La métaphore du compte de banque ne fonctionne donc que pour 45% de la prestation. Le reste, soit 55%, est financé par les cotisations des autres membres de la société.

Pour bien visualiser la contribution de la société en fonction du salaire d’un individu, comparons la différence entre les contributions et prestations à vie pour deux individus ayant un salaire annuel de 40 000$ et de 70 000$ qui prendraient chacun deux congés parentaux en utilisant les mêmes paramètres que dans l’exemple précédent. Dans le premier cas, la société contribue un montant de 24 601$, alors que cette contribution s’élève à 43 051$ pour l’individu dont le salaire est de 70 000$. Si on pousse cette comparaison jusqu’à inclure les individus qui ne se qualifient pas pour le RQAP, parce que leur salaire est trop faible, ces derniers ne reçoivent rien de la société. En somme, la société québécoise donne plus d’argent aux individus ayant des revenus plus élevés qu’à ceux ayant des revenus plus faibles dans le cadre du RQAP.

Cette iniquité est amplifiée lorsqu’on tient compte de la variation de la durée du congé de maternité en fonction des revenus. Alors qu’un individu dont les revenus sont élevés peut survivre avec 70% de ses revenus, cette tâche est beaucoup plus difficile pour celui ou celle qui gagne le salaire minimum et se retrouve ainsi avec des revenus sous le seuil de la pauvreté durant un congé de maternité. Cette situation pourrait forcer des parents à faibles revenus à retourner plus hâtivement sur le marché du travail et ainsi à renoncer aux prestations du RQAP auxquelles ils ont droit. Les données fournies par le Conseil de gestion de l’assurance parentale (CGAP) montrent en effet une légère augmentation de la durée de congé de maternité en fonction des revenus. Alors que les mères seules dont le salaire annuel se situait entre 10 000$ et 20 000$ ont pris un congé de 47,9 semaines en 2022, celles dont le salaire se trouvait entre 70 000$ et 80 000$ ont pris en moyenne un congé de maternité de 49,7 semaines durant la même année[3] – une différence de presque deux semaines. Les ménages à faibles revenus reçoivent donc moins d’argent de la société pendant moins longtemps.

Ces iniquités deviennent encore plus difficiles à accepter lorsqu’on tient compte du fait que tous les parents effectuent le même travail : s’occuper de leur nouveau-né. Le slogan « à travail équivalent, salaire égal » devrait donc s’appliquer dans ce contexte. En effet, les tâches sont les mêmes que le parent ait gagné 10 000$ l’an dernier ou 100 000$. Ainsi, la rémunération pour ce travail devrait être la même pour tous les parents, peu importe leur revenu antérieur.

Le gouvernement n’est pas insensible à ces iniquités. En effet, en septembre 2021, il a bonifié les prestations pour les individus dont le salaire était inférieur au salaire minimum. Ils profitent maintenant d’un taux de remplacement plafonné à 85% durant l’entièreté du congé de maternité/paternité pour le régime de base et plafonné à 100% pour le régime particulier. À partir d’un certain seuil, plus le salaire antérieur augmente, plus la bonification diminue jusqu’à disparaître complètement lorsque l’individu atteint le salaire minimum. Même si cette mesure est un pas dans la bonne direction, elle n’est pas suffisante pour redresser l’iniquité fondamentale du RQAP. En sachant que le RQAP s’attend à générer un surplus d’au moins 239 millions en 2028 (CGAP, 2024, p. 25) il a les moyens d’augmenter les prestations des individus à faibles revenus pour augmenter l’équité du régime.


L’auteur aimerait remercier le CGAP pour la compilation des statistiques spéciales et particulièrement Étienne Poulin et son équipe pour certaines clarifications et suggestions.

[1] On peut aussi supposer que le taux d’escompte correspond au produit du taux d’inflation et du taux d’augmentation salariale et arriver au même résultat.

[2] La partie de l’employé et de l’employeur multiplié par 50 000$ durant une période de 43 ans, soit ((0,00494+0,00692)*50000)*43.

[3] Les données sont issues d’une demande d’accès à l’information auprès du CGAP pour les données de 2022. Les statistiques utilisées font référence aux mères ayant demandé un congé dans le régime de base lorsque les deux parents ont été prestataires.

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