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2 mai 2018

  • Philippe Hurteau

Chaque année, on souligne le 1er mai avec une augmentation du salaire minimum, parfois d’un maigre 0,10 $ de l’heure, parfois de plus. Cette année ne fait donc pas exception à la règle. Si elle est aussi importante pour maintenir vivante la mémoire des luttes ouvrières (le 1er mai, si vous ne le saviez pas, on se remémore le massacre de Haymarket Square, ainsi que la répression d’un mouvement de grève ayant réuni quelque 340 000 travailleurs états-uniens en 1886), cette journée marque d’abord un moment charnière pour les différentes luttes visant l’amélioration des conditions de vie de ce que l’on nommait, dans un passé pas si lointain, la classe ouvrière.

Depuis 2 ans, c’est le salaire minimum qui retient l’attention. Plusieurs groupes se mobilisent et revendiquent l’atteinte d’un salaire minimum de 15 $ de l’heure, tandis que le gouvernement tergiverse : il dit d’un côté être contre cette idée en raison des effets négatifs qu’il craint sur l’activité économique, mais de l’autre, il augmente ses propres cibles en permettant une hausse à 12 $ de l’heure. Bien entendu, jamais le premier ministre ne reconnaîtra que la pression sociale ait pu jouer un quelconque rôle dans cette dernière décision, ou encore qu’il ne s’agit que d’une manière peu subtile de tenter de faire oublier les politiques d’austérité.

Derrière les écrans de fumée et les demi-mesures du PLQ se trouve pourtant une réalité bien simple : il y a près d’un million de travailleurs et de travailleuses pauvres au Québec. Pour eux et elles, il n’existe pas beaucoup d’options pour améliorer leur sort, si ce n’est une augmentation substantielle du salaire minimum. Tout délai maintient des gens qui travaillent au salaire minimum dans la pauvreté, une situation tout aussi inacceptable qu’injustifiable.

15 $, un minimum

Sur le principe, personne ne débat vraiment : tout le monde voudrait un salaire minimum assez élevé pour permettre aux salarié·e·s de vivre dignement. Mais dans les faits, les choses se compliquent : on dit craindre les impacts sur les emplois, les PME, l’inflation, etc. On lance plein de raisons afin de justifier le maintien du salaire minimum à un niveau insuffisant.

Cependant, rarement ce type de crainte se trouve-t-il accompagné d’un effort de démonstration. C’est donc pour cela que mes collègues et moi avons produit plusieurs études (celle-ci, celle-ci, celle-ci et celle-ci) afin de montrer qu’une hausse plus substantielle (à 15 $ de l’heure, par exemple) serait une bonne politique publique. Voici, en condensé, les éléments d’analyses que nous avons mis de l’avant depuis 1 an et demi :

  • Le niveau actuel du salaire minimum est insuffisant. Malgré la hausse de 0,75 $ de l’heure, nous sommes toujours à 3,28 $ de l’heure d’un niveau de rémunération qui permettrait aux bas salarié·e·s vivant seuls de se sortir de la pauvreté.

  • Une hausse à 15 $ de l’heure serait bénéfique pour 98 % des gens concernés par la mesure, c’est-à-dire que seulement 2% des personnes affectées risquent de vivre un impact négatif causé par cette mesure (pertes d’emplois ou diminution d’heures).

  • Un salarié·e sur quatre gagne actuellement moins de 15 $ de l’heure. L’augmentation du salaire minimum relancerait vers le haut la structure de la rémunération pour tout le monde, supplantant donc allègrement tous les risques d’impacts négatifs.

  • Il est vrai qu’une hausse marquée pourrait avoir un impact sur l’inflation. Celle-ci oscillerait entre 1,1 et 2,6 %. Encore ici, les hausses de salaire pour les bas salarié·e·s dépassent de beaucoup cet impact limité sur l’inflation.  

  • La théorie économique nous dit qu’un salaire minimum trop élevé met à risque les PME. Toutefois, les exemples empiriques contredisent la théorie. Au Québec, c’est lors d’importantes hausses du salaire minimum en 2008, 2009 et 2010 que le taux de fermeture des PME était le plus bas.

  • Pour compenser les risques de pertes d’emplois, le gouvernement pourrait mettre en place un programme de soutien aux personnes et aux entreprises touchées négativement. Nous avons évalué que la hausse à 15 $ de l’heure, en raison de l’augmentation des revenus d’emplois, générerait également un rehaussement des revenus fiscaux du gouvernement québécois de 681 M$ à 930 M$. Il serait donc intéressant de concentrer ces sommes dans les secteurs et les régions les plus sensibles aux fluctuations du salaire minimum.

  • Contrairement à ce qui est avancé par les associations patronales, l’augmentation de l’exemption de base (soit le montant sur lequel nous ne sommes pas imposés) n’aurait qu’un impact négligeable sur les bas salarié·e·s. Une hausse à 13 500 $ de cette exemption rapporterait entre 67 $ et 267 $ aux salarié·e·s ayant des revenus se situant entre 15 000 $ et 30 000 $. À l’inverse, une hausse du salaire minimum augmenterait le revenu de ces salarié·e·s d’un montant allant de 1 178 $ à 1 240 $.

  • Finalement, nous évaluons les retombées économiques (l’augmentation de l’activité économique découlant de la hausse du salaire minimum et donc de la consommation des ménages) à une somme variant entre 2,2 G$ et 3,4 G$. Ces sommes seraient réparties dans toutes les régions du Québec et viendraient stimuler des économies régionales qui en ont grandement besoin.

En clair, la mobilisation pour le salaire minimum à 15 $ de l’heure est tout à fait fondée sur le principe, et les objections ne collent pas aux faits.

Alors, en ce 1er mai, camarades, rappelez-vous cette maxime trop souvent oubliée : seule la lutte paie !

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