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Merci Michel

3 février 2021

  • Eve-Lyne Couturier

Il y a plusieurs années, je me suis retrouvée par un concours de circonstances à travailler sur le sujet des retraites. Entourée de personnes qui savaient ce qu’elles faisaient plus que moi, j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus au sujet, jusqu’à écrire un chapitre de livre complet sur l’histoire de cette institution au Québec. Au fil de ce travail, j’ai eu la chance de croiser plusieurs personnes inspirantes. L’une d’elles a été particulièrement marquante. Il s’agit de Michel Lizée, décédé la semaine dernière.

Cet homme calme, patient et pédagogue a dédié une bonne partie de sa vie à démocratiser les régimes de retraite, d’une part en donnant des formations pour vulgariser l’importance d’adhérer à ces régimes et de les comprendre, et d’autre part, en créant un modèle de régime adapté à des groupes difficiles à couvrir. Pendant longtemps, le type de régime de retraite par défaut était les régimes à prestations déterminées: les employé·e·s et les employeurs cotisaient au même fonds et des prestations garanties étaient versées au moment de la retraite. Cela avait comme avantage de rendre la fin de la vie active plus prévisible, puisqu’on savait combien d’argent nous serait versé chaque mois. Toutefois, ce type de régime n’est pas adapté à tous les milieux de travail. Si seulement trois personnes touchant un salaire moyen contribuent à un fonds, celui-ci ne sera jamais assez résilient pour garantir les vieux jours de ces travailleurs et travailleuses. Pour être viable, il doit y avoir une masse critique de salarié·e·s à assurer pour répartir le risque et pouvoir constituer un fonds assez garni pour résister aux chocs économiques.

L’alternative, devenue la solution préférée des employeurs, est alors simplement d’individualiser les risques liés à la retraite. Tout le monde cotise dans le même fonds, mais aucune prestation n’est garantie. C’est ce qu’on appelle un régime à cotisations déterminées. À la fin de sa vie active, le montant accumulé individuellement est le montant disponible pour assurer ses vieux jours. Il faut alors prévoir combien d’argent s’octroyer en fonction de ses besoins et de son espérance de vie. Se tromper pourrait vouloir dire une fin de vie dans la pauvreté. Retirer son capital en pleine crise économique aussi.

Pour les groupes communautaires et de femmes qui, il y a quelques années, réfléchissaient à un moyen d’améliorer les conditions de travail de leurs salarié·e·s, le dilemme était là. On sait que les femmes ont généralement une vie active moins longue (raccourcie, entre autres, par la maternité) et que leurs revenus sont plus bas. Sans surprise, les femmes de 65 ans et plus vivent dans la pauvreté dans une plus grande proportion que leurs confrères, en plus de vivre plus longtemps. L’option de régime à prestations déterminées apparaissait comme la meilleure, la plus avantageuse et la plus sécuritaire, mais les groupes concernés étaient généralement composés de peu d’employé·e·s. L’option de se doter de régimes de retraite à cotisations déterminées aurait donc été la plus simple, mais aussi la moins profitable pour une population déjà vulnérable.

Arrive Michel Lizée, un économiste qui a bâti le service aux collectivités de l’UQAM, un département dédié à mettre en lien l’université avec des groupes sociaux plus en marge de l’institution, par exemple des groupes communautaires et de femmes, des organisations syndicales, des associations de communautés ethnoculturelles et autochtones, de même que divers autres groupes non gouvernementaux impliqués dans des activités à caractère social, économique, culturel ou environnemental. En collaboration avec la FTQ, il développe un nouveau modèle, les régimes de retraite à financement salarial (RRFS). Il s’agit de régimes de retraite à prestations déterminées, mais conçus pour regrouper plusieurs employeurs. Il devient alors possible d’atteindre une masse critique de travailleuses et de travailleurs en regroupant des organisations qui peuvent compter aussi peu que deux personnes.

Mais avoir eu une bonne idée n’était pas suffisant. Légalement, cette nouvelle façon de faire ne rentrait pas dans les cases déjà existantes. Il a donc fallu plusieurs années de représentation auprès d’élu·e·s et de fonctionnaires pour expliquer et défendre l’avantage et la sécurité du modèle. Michel Lizée a été infatigable sur le dossier et c’est grâce à son travail acharné qu’aujourd’hui, plus de 15 000 personnes bénéficient de ce type de régime.

Malheureusement, peu a été fait pour étendre ce type de régime. Seulement deux régimes de retraite existent à ce jour sous le modèle RRFS: celui de la FTQ qui regroupe divers petits employeurs, et celui des groupes communautaires et de femmes. Ils sont tous les deux bien financés et efficaces, mais méconnus. Il faut dire que, depuis leur création en 2008, ces régimes ont toujours été administrés sous des gouvernements pour qui la responsabilité individuelle était plus importante que la gestion collective des risques. Sur la critique de ces priorités, Michel Lizée était aussi infatigable.

C’est sur ce front que nos chemins se sont croisés, moi la jeune chercheuse qui critiquait le Rapport d’Amours sur les retraites, lui, le vieux routier qui avait tout à m’apprendre. À plusieurs reprises, j’ai eu la chance de le lire, de l’écouter, de bénéficier de sa sagesse. Quand on évoquait de nouvelles réformes sur les régimes de retraite, mon premier réflexe était toujours de regarder sa réaction et d’analyser les chiffres au fil de son argumentaire. Quand j’étais invitée à faire une présentation en sa présence, j’étais à chaque fois très nerveuse avant de commencer et reconnaissante à la fin, quand j’avais l’opportunité d’échanger avec lui. .

J’aurais aimé compter sur sagesse encore longtemps… Son regard solidaire sur les retraites nous manquera. Sa patience et sa pédagogie aussi. Merci Michel, pour tout. Et compte sur nous pour continuer de jouer aux chiens de garde avec nos acquis en matière de retraite.

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