Les politiques pro-productivité, bonnes pour les travailleurs ?
13 juillet 2015
Il y a deux ans, l’IRIS publiait une étude montrant que la rémunération des travailleurs et travailleuses du Québec a augmenté moins rapidement que la productivité du travail pendant les dernières décennies. On peut bien s’évertuer à créer de la richesse, concluait l’étude, mais encore faut-il que les gens qui la génèrent puissent en profiter…
Ellen Russell, une collègue de l’Université Wilfrid Laurier, et moi-même avons voulu pousser plus loin la réflexion pour voir si les politiques mises en place ces dernières années pour favoriser la productivité avaient eu un impact sur la distribution des gains de productivité. Nous avons formulé l’hypothèse que nonobstant leur effet sur la productivité au final, certaines de ces politiques avaient eu un impact négatif sur le pouvoir de négociation des travailleurs et travailleuses et donc contribué à diminuer leur capacité à accaparer une forte part des gains de productivité à travers leurs salaires, augmentant ainsi le fossé entre productivité et rémunération. Si c’était le cas, cela remettrait en cause le bien-fondé de ces politiques pour une bonne partie de la population.
En d’autres mots : peu importe si une politique du gouvernement favorise ou non la compétitivité de l’économie, elle ne sert pas à grand-chose pour monsieur madame tout le monde si elle leur ôte en même temps leur capacité d’obtenir des meilleurs salaires.
Pour vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé une analyse statistique pour toutes les provinces canadiennes entre 1981 et 2010. Quant aux politiques étudiées, nous avons retenu : (1) le programme d’assurance-emploi, (2) le salaire minimum, (3) l’ALÉNA.
Un salaire minimum et un programme d’assurance-emploi généreux sont souvent accusés de générer des rigidités dans le marché du travail et donc de constituer un frein à la croissance. Quoi qu’il en soit, une bonne assurance-emploi contribue de manière positive au pouvoir de négociation des travailleurs en diminuant l’effet d’une mise à pied et en donnant plus de temps pour la recherche d’emploi par la suite. Quant au salaire minimum, lorsqu’il est plus élevé, il pousse les autres salaires vers le haut en servant de référence.
De la même manière, un accord comme l’ALÉNA est réputé avoir facilité les investissements, mais il permet aussi à certaines compagnies de menacer leurs travailleurs et travailleuses de délocalisation lors de négociations.
À ces variables, nous avons ajouté le taux de chômage et le taux de syndicalisation. Un taux de chômage élevé tend à diminuer le pouvoir de négociation des travailleurs et travailleuses, puisqu’il y a alors beaucoup de personnes pouvant potentiellement les remplacer et qu’il ne sera pas aisé de se retrouver un emploi en cas de licenciement. Par contre, un taux desyndicalisation plus élevé suggère un mouvement ouvrier plus organisé. Ainsi, toute politique qui tendrait à augmenter le taux de chômage, par exemple la politique anti-inflationniste des années 1980 et 1990, ou diminuer le taux de syndicalisation tendrait à diminuer le pouvoir de négociation des travailleuses et travailleurs québécois.
Nos résultats tendent à montrer qu’il y a une corrélation entre pratiquement chacune des politiques étudiées et la différence entre les gains de productivité et l’augmentation de la rémunération des travailleurs et travailleuses.
Ainsi, un salaire minimum plus faible est associé à une plus grande différence entre productivité et salaires. De même, un taux de chômage plus élevé ou un taux de syndicalisation plus faible sont associés à une croissance plus rapide de la différence entre productivité et salaires. Même chose pour les années suivant l’ALÉNA ou une plus faible générosité du programme d’assurance-emploi, en termes de pourcentage du revenu remplacé en cas de chômage.
Par conséquent, le fait que les gouvernements provinciaux se soient employés à garder le salaire minimum réel relativement bas depuis plus de trente ans, par exemple, n’est donc pas anodin et les hausses des dernières années pourraient avoir un effet bénéfique sur une bonne partie des travailleurs et travailleuses. De la même manière, il n’est peut-être pas surprenant que le gouvernement conservateur ne parvienne pas à exciter les foules aves ses initiatives de libéralisation du commerce et des flux de capitaux à l’échelle internationale. Nos résultats suggèrent également qu’une forte syndicalisation est associée à une meilleure capacité générale pour les travailleurs et travailleuses d’aller chercher leur part des gains de productivité.
Encore une fois, comme il y a deux ans, cette étude nous amène à souligner que dans l’élaboration de toute politique publique visant à accroître la productivité, les effets que celle-ci pourrait avoir sur la capacité des travailleurs et travailleuses à aller chercher une juste part de ces gains doit être évaluée. Favoriser la productivité ne doit pas être fait d’une manière qui mine le pouvoir de négociation des travailleurs, sinon cette productivité risque de ne pas bénéficier à grand monde.
Les résultats de notre étude viennent d’être publiés dans l’International Productivity Monitor.